par Edward Bonham Carter, Vice-président du conseil d’administration chez Jupiter Asset Management
Les politiciens ont pris en 2016 la mauvaise habitude de jouer les intrus sur les marchés financiers. La décision britannique de quitter l’Union Européenne et la victoire de Donald Trump aux élections présidentielles américaines ont fait un peu le même effet à certains d’entre nous que lorsque la porte sonne et qu’on va l’ouvrir pour découvrir quelqu’un qui n’est ni invité ni le bienvenu à une soirée qui se passait très bien sans lui. Et cela devrait durer en 2017.
Même si les 100 premiers jours de la présidence de Donald Trump seront soigneusement scrutés pour des questions politiques, l’Europe devrait revenir au centre de la scène l’année prochaine étant donné les élections nationales qui vont se dérouler en France, en Allemagne et aux Pays- Bas. Les résultats de ces votes pourraient bien sceller la victoire des forces anti-establishment et anti-mondialisation qui ont joué un très grand rôle dans le résultat du référendum sur le Brexit et sur l’accession à la présidence de Donald Trump. Parallèlement à la tenue de ces élections, l’Union Européenne et le Royaume-Uni vont devoir affronter les conséquences, voulues ou non, du Brexit.
Les politiciens occidentaux s’étant saisis de la mondialisation pour expliquer les maux dont souffraient les économies de leurs pays respectifs, les appels aux gouvernements pour protéger les industries nationales et les emplois se sont fait entendre de plus en plus fort. L’instauration de politiques protectionnistes, bien qu’étant une source d’inquiétude, ne devrait avoir selon moi qu’un impact limité dans le monde dématérialisé dans lequel nous vivons aujourd’hui, où la plupart des échanges portent sur des services et se passent sur internet. Les économies émergentes ont plus à craindre, notamment à la lumière des déclarations de Donald Trump sur la mise en place de droits de douane de 45% sur les produits chinois, mais même là on peut être optimiste dans la mesure où plus de la moitié des transactions asiatiques se font à l’intérieur de la zone. Pour ce qui est des inquiétudes concernant les devises émergentes qui pourraient chuter encore face au renchérissement du dollar et augmenter d’autant plus le service de la dette en dollars, il me semble que la plupart d’entre elles ont déjà fortement baissé cette année, prenant déjà en compte la hausse probable du dollar. Il s’agit bien d’une baisse, mais elle a été plutôt bien accueillie par les exportateurs des marchés émergents qui ont pu en tirer bénéfices en vendant leurs produits à des prix plus compétitifs.
La santé de l’économie chinoise reste néanmoins un élément capital de la prospérité de la région. Nous avons maintenant suffisamment de preuves qui montrent que la Chine est sur le bon chemin pour se tirer d’affaires et qu’elle fait en sorte de gérer ses niveaux de dettes, même si la croissance du pays a tendance à décélérer. Les prix des matières premières, à l’instar du pétrole, commencent à montrer une certaine résilience et cela tient en partie à la demande chinoise soutenue qui continue d’augmenter.
Concernant l’Inde, l’autre géant économique de la région, nous devrions assister à de fortes perturbations de court terme à cause de la démonétisation – la décision très soudaine du gouvernement de supprimer les billets de 500 et 1000 roupies et d’en émettre d’autres – mais l’instauration probable d’une taxe sur les biens et services en avril 2017 et la potentialité de voir les taux baisser d’ici les 12 prochains mois sont de bon augure pour le pays.
Sur les marchés développés, les projets de Donald Trump de faire appel aux baisses d’impôts et de fortement augmenter les dépenses d’infrastructures pour stimuler l’économie américaine envoient un message clair : c’est maintenant à la politique budgétaire du gouvernement et non plus à la politique monétaire de la banque centrale que revient la lourde tâche de relancer l’économie. Le gouvernement britannique est en train d’envoyer le même type de messages. Les marchés obligataires ont réagi en conséquence, avec une chute des prix et une hausse des rendements entraînée par la perspective d’une augmentation de l’inflation du fait de la relance budgétaire. Reste à savoir savoir si ce mouvement de vente sur le marché obligataire marque le début de la fin d’un rally obligataire qui dure depuis 35 ans ou non. Il est bien possible que les rendements obligataires aient atteint leurs niveaux les plus bas et que nous assistons à une période de range-bound trading en 2017.
Concernant les actions, les prévisions d’inflation vont forcément avoir une influence sur leurs parcours en 2017. Depuis la fin de la crise de 2007/2008, les prix des actifs ont d’une manière générale fait bien mieux que ceux à quoi on s’attendait, avec des valorisations au plus haut de leurs niveaux historiques et des actions considérées comme bon marché comparées aux obligations. Le retour de l’inflation devrait être bénéfique pour des secteurs comme les valeurs bancaires, dont les revenus vont augmenter dès que les banques centrales commenceront à remonter les taux pour contenir la hausse des prix. Les secteurs des métaux, des minières et de l’énergie devraient eux aussi en bénéficier dans la mesure où une hausse de la croissance économique se traduit souvent par une augmentation de la demande pour ce type de produits. Dans une certaine mesure, nous devrions assister à la poursuite du renversement de tendance sur la mode des valeurs de croissance : en effet, pendant de nombreuses années les investisseurs ont préféré acheter des valeurs ayant une croissance plus rapide que celle des marchés et une politique de réinvestissement des bénéfices, plutôt que des actions « value » ayant un cours de bourse ne reflétant pas la valeur réelle de l’entreprise.
En résumé, l’année dernière nous a montré que le consensus concernant les bienfaits de l’économie de marché commençait à se fissurer. Les investisseurs vont devoir s’adapter à une nouvelle réalité politique qui commence seulement à prendre forme. A mesure que cette dernière se dessine, nous devons nous attendre à vivre une période de volatilité renforcée sur les marchés. Les investisseurs restent à la fois nerveux et prudents, notamment en Europe où l’appétit pour les actifs risqués – les actifs comme les actions, les matières premières , certaines obligations dont le cours est très volatile – a fortement diminué. On a aussi assisté à une baisse du nombre d’introductions en bourse – un signe supplémentaire de nervosité. Ceci étant dit, les réactions des investisseurs ont été plus mesurées que paniquées et ceci est plutôt encourageant pour la suite.
Dans ce contexte, le recours à la gestion active, où les gérants utilisent leur expertise pour analyser les valeurs en profondeur et sélectionnent les actions ou les obligations qui devraient obtenir de belles performances quelles que soient les conditions de marchés, reste selon moi toujours aussi pertinent, si ce n’est davantage dans le Meilleur des Mondes actuel.