par Jean-Jacques Friedman, Chief Investment Officer chez Natixis Wealth Management
Ce mois d’août a été riche d’enseignements, avec des marchés financiers qui ont reflué après avoir atteint leur point haut de l’année à fin juillet, sans que l’économie réelle ne connaisse de nouvelle dégradation. Retour sur ce drôle d’été.
Pour les investisseurs qui se reconnectent à leurs écrans en cette rentrée, les occasions d’avoir le blues seraient trop nombreuses pour en dresser la liste exhaustive : poursuite de la guerre commerciale entre les deux principales puissances économiques et politiques, inquiétude autour de l’Italie, activité industrielle en Allemagne toujours aussi médiocre, probabilité d’un Brexit sans accord…
Cette accumulation peut certes miner le moral non seulement des investisseurs, mais de tous les citoyens qui ouvrent un journal, et peser ainsi sur la confiance du consommateur ou de l’industriel, provoquant de ce fait une dégradation économique. Mais avouons tout de même que la majeure partie de ces nouvelles s’inscrit dans la durée, et semble constituer le énième épisode d’un feuilleton dont les rebondissements suscitent de moins en moins de poussées d’adrénaline.
Les deux faits marquants de l’été
De nouveaux éléments sont certes intervenus, avec les tensions à Hong Kong ou la crise argentine, mais le mois d’août aurait pu suivre la pente de la torpeur estivale de ce début d’été. C’était sans compter sur la présence de Donald Trump, formidable scénariste capable de renouveler en permanence ses effets et de secouer les opinions publiques ou bien les marchés. Sa première salve a été tirée dès l’annonce par la Fed d’une baisse de « seulement » 25 points de base : il déplora dès lors la décision de sa banque centrale, jugeant que « le problème était la Fed elle-même ! ». Mais, la résonnance sur les marchés ayant sans doute été trop faible à ses yeux, dès le lendemain, il haussa le ton et menaça : « de nouvelles taxes s’appliqueront dès le 1er septembre sur les importations chinoises, et d’autres pourraient suivre… ». Cette fois, le message fut parfaitement reçu avec une chute de la Bourse et une plongée des taux obligataires.
Cette séquence estivale de tweets présidentiels semble témoigner d’une tentative de jouer une partie de billard à trois bandes, telle que Donald Trump les affectionne : quasiment menacer de quitter l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), s’adresser directement à la Chine en durcissant son bras de fer avec Xi Jinping pour créer davantage d’incertitude et mettre une pression plus forte encore sur le président de la Réserve fédérale pour lui faire accentuer sa politique monétaire à l’avenir. Mais c’est incontestablement un jeu dangereux !
Les tweets de Donald Trump interviennent souvent sur des plus hauts de marché et les corrections boursières qui s’en suivent ne viennent certes pas « casser » les supports techniques les plus solides. Mais cet interventionnisme engendre des vagues d’incertitude, en ravivant les inquiétudes des consommateurs dont la confiance est altérée par la possibilité de voir leur pouvoir d’achat érodé par des hausses de taxe. Du côté des entreprises, les décisions de dépense d’investissement deviennent plus difficiles et certains investisseurs sont conduits à réviser à la hausse la probabilité d’une récession économique.
Après les tweets de Donald Trump, c’est là que le second signal d’importance du mois d’août est intervenu, avec l’inversion de la courbe américaine des taux – les taux long terme devenant inférieurs au taux à court terme.
Or, depuis une quarantaine d’années, ce phénomène a très souvent précédé une récession dans un délai de 6 à 18 mois. D’où le discours partout répété et amplifié de la possible survenue d’une récession quasi-mécanique à terme. De notre côté, nous considérons que ce signal peut certes affecter la confiance et menacer de devenir ainsi autoréalisateur, mais qu’il serait dans les circonstances actuelles beaucoup plus d’ordre psychologique que réellement validé économiquement.
Inversion de la courbe des taux : quels enjeux ?
Revenons sur ce point :
- Une inversion de la courbe des taux survient généralement après une hausse rapide des taux courts, initiée par une banque centrale afin de ralentir une croissance excessive et éviter un phénomène de surchauffe. Les taux longs montent alors, mais pas au même rythme que le durcissement monétaire, créant une inversion de la courbe, qui entraine un renchérissement des conditions de crédit pour les entreprises et ménages, destiné à casser la dynamique. Or, nous sommes aujourd’hui dans une situation où les conditions monétaires restent très favorables en termes de taux et d’accès à la liquidité.
- Cette situation sur les taux est totalement inédite : forte baisse des taux courts, interventionnisme en direct sur la partie longue de la courbe avec la politique de quantitative easing – achats par la Fed de titres publics – taux longs négatifs dans beaucoup de pays avec par exemple une courbe des taux totalement négative jusqu’au 30 ans en Allemagne. Partant du constat que tous ces critères ont été impactés, le schéma habituel d’interprétation de la courbe des taux est totalement modifié.
- La médiatisation même de ce signal sur la courbe des taux a considérablement modifié le rôle de chacun. La Fed pourra réagir en abaissant ses taux courts de manière plus prononcée pour annuler ce signal négatif. En anticipant une telle action, les investisseurs ont quant à eux poussé les prévisions de baisse des taux au-delà de ce que les économistes jugent adéquat avec le niveau d’activité réel.
- Enfin, les autres signaux traditionnels qui surviennent concomitamment à cette inversion de courbe lors d’une récession restent pour l’instant majoritairement absents ou faibles aujourd’hui. Nous ne constatons pas de dégradation du marché de l’emploi américain, ni de chute de la profitabilité des entreprises ou encore d’augmentation des primes de risque des obligations d’entreprise.
La question est de savoir aujourd’hui si une erreur de pilotage dans le conflit sino-américain pourrait venir modifier la donne actuelle et jouer le rôle de choc exogène, transformant ainsi un scénario de simple ralentissement en récession (à l’instar de ce que nous avons historiquement constaté au travers d’une crise sur le crédit ou d’une brutale augmentation des prix du pétrole).
Quid des prochaines semaines ?
Les investisseurs attendent donc en premier lieu une normalisation des relations entre les Etats-Unis et la Chine, pour que les agents économiques reprennent leurs décisions de consommation et d’investissement. Le second point qui devrait prendre de l’ampleur au cours des prochaines semaines est celui du constat des politiques monétaires accommodantes, qui semblent à la fois s’inscrire dans la longue durée – depuis le changement opéré il y a quelques mois – mais dont les effets trouvent aujourd’hui leurs limites. Le débat devrait donc porter prochainement sur les politiques budgétaires et la façon dont elles prendraient le relai ou s’associeraient à cette nouvelle donne monétaire.
Ce sujet devrait prendre corps en Europe et de nouvelles baisses d’impôts sont déjà envisagées aux États-Unis, alors que du côté du Congrès américain, la question du déficit élevé n’est pas à l’ordre du jour. L’inflation quant à elle continuera d’être tirée vers le bas par les tendances lourdes de l’économie, comme la démographie ou les nouvelles technologies.
En termes d’allocation d’actifs, les investisseurs restent encore absents des marchés actions, inquiets du risque de dérapage induit par la « guerre » commerciale sino-américaine. Certes, elle subsistera au cœur des questions internationales pendant encore de nombreux mois, voire des années, et la Chine ne fera pas de cadeau au Président américain, en pleine campagne de réélection… Mais il suffirait que les « frères ennemis » lâchent un peu de lest pour redonner de l’élan aux marchés financiers.
Dans ce contexte, nous surveillons les points tels que les moyennes mobiles 200 jours qui pourraient servir de supports techniques et permettre de repasser surexposés en actions dans nos portefeuilles. En effet, le taux élevé de liquidité chez les principaux acteurs constitue un élément de soutien pour les marchés financiers, en complément des politiques monétaires durablement accommodantes, auxquelles pourraient s’adjoindre de nouveaux soutiens budgétaires.