La stratégie budgétaire espagnole : un exercice d’équilibriste

par Bénédicte Kukla et Antonio Teixeira, économistes au Crédit Agricole

– Le gouvernement espagnol a présenté les détails des mesures de son budget 2012 avec l’objectif de se conformer aux cibles budgétaires établies avec la Commission européenne, mais sans trop endommager la croissance.

 – Ce travail d’équilibriste n’a pas réussi à convaincre les marchés. L’assainissement budgétaire risque de se heurter à la dégradation de la conjoncture qui rétroagit négativement sur les finances publiques via le jeu des stabilisateurs automatiques. Si le retournement conjoncturel au premier trimestre s’annonce moins important qu’initialement prévu, le chemin risque d’être long avant de retrouver le chemin d’une croissance solide et durable.

– Pendant que les marchés se focalisent sur les finances publiques, la réduction de l’endettement du secteur privé et la gestion du dégonflement de la bulle immobilière restent les principaux défis pour l’Espagne et ses banques.

La semaine dernière le gouvernement espagnol a présenté les détails des mesures budgétaires pour réduire le déficit budgétaire de 8,5% du PIB en 2011 à 5,3% en 2012. Le budget 2012 prévoit 27,3 Mds d’euros d’économie en plus des 15 Mds d’euros déjà annoncés en décembre 2011.

L’effort de réduction du déficit espagnol est le plus élevé parmi les pays de la périphérie en 2012.

Les autorités espagnoles ont présenté un budget dont l’objectif premier est de se conformer aux cibles budgétaires établies avec la Commission européenne, mais sans trop endommager la croissance.

Les autorités ont cherché cette fois-ci à préserver le revenu disponible des ménages, d’autant plus qu’une hausse de l’impôt sur les revenus a été déjà actée en décembre 2011. Aucune augmentation de la TVA n’est prévue, malgré un taux nettement inférieur à la moyenne de la zone euro (à 18% contre 19,6% en France, 21% en Italie et 19% en Allemagne). En revanche, l’augmentation des taxes sur le tabac, l’électricité et le gaz devrait peser sur les dépenses des ménages. Du côté des dépenses de l’Etat, les retraites et les allocations chômage ont été épargnées. Les salaires des fonctionnaires ont été gelés, mais le budget alloué à l’investissement et aux politiques d’emploi a été réduit, une mesure surprenante dans un pays où sévit un chômage de masse (à 23,7% en février).

L’ajustement se concentre donc sur les entreprises avec une réforme de l’impôt sur les sociétés et un allègement des déductions. Le gouvernement a également proposé un plan d’amnistie, censé rapporter 2,5 Mds d’euros, mais dont les résultats restent incertains.

Les marchés n’ont pas été convaincus par ce budget d’austérité, comme en témoigne la remontée des taux publics espagnols depuis cette annonce.

Il y a en effet plusieurs risques associés à ce plan qui nous amène également à rester prudents quant à la réussite de celui-ci.

  1. Une proportion importante (44%) de l’ajustement du budget 2012 dépend des budgets des régions. Le déficit des finances publiques régionales a nettement dépassé l’objectif en 2011 (à -2,9% du PIB contre -1,3% initialement prévu) et ce en raison de déséquilibres structurels liés au poids des dépenses dans le secteur de la santé publique et à l’éducation. Les mesures d’économies annoncées sur ces deux postes de 10 à 15 Mds d’euros ne seront pas évidentes à réaliser.
  2. Les primes de risque sur les titres souverains restent élevées ce qui va alourdir mécaniquement le poids des intérêts surtout si cette tendance se pérennise.
  3. Des recettes fiscales potentiellement moins importantes que prévu en raison d’une conjoncture dégradée, même si le retournement conjoncturel au premier trimestre s’annonce moins important qu’initialement anticipé.

Nous anticipons un déficit budgétaire de 6 à 6,5% du PIB en 2012, ce qui représente un effort budgétaire encore très important, mais plus réaliste vu le contexte récessif actuel.

La gestion de l’endettement du secteur privé reste le défi majeur de l’Espagne

Le problème d’endettement de l’Espagne est avant tout de nature privé. Alors que la dette publique est estimée à 68% du PIB en 2011, la dette des entreprises non financières est estimée à 134% du PIB et celle des ménages à 82%1. La bulle de crédit qui a gonflé sur un tandem immobilier/ménages a soutenu une croissance artificiellement élevée entre 2000 et 2007, avec un secteur de la construction hypertrophié, gros pourvoyeur d’emplois non qualifiés.

Aujourd’hui, le processus de désendettement du secteur privé est en marche mais est loin d’être achevé, avec au centre un secteur bancaire fragilisé car il est très exposé au risque immobilier (l’encours de crédit décroît de 3,77% a/a à fin décembre).

Si le taux de CDL sur les prêts habitat reste à ce jour gérable (à 2,7% à fin décembre), le niveau total de créances douteuses est lui historiquement élevé (7,91 % du total des créances en janvier 2012) en lien avec la montée des faillites d’entreprises liées au secteur de l’immobilier (promoteurs, entreprises du bâtiment… avec un taux de CDL supérieur à 20%).

Si le secteur de la construction a connu un véritable coup d’arrêt et continue de purger dans la durée les excès de stocks, les prix immobiliers n’ont pas corrigé autant que ne le laisse suggérer les excès commis durant la période de boom. Le recul des prix depuis l’éclatement de la bulle immobilière (environ 20%) reste limité comparativement à celui enregistré en Irlande, pays également confronté à une bulle immobilière majeure.

Les banques conservent dans leur bilan un stock élevé d’actifs immobiliers ce qui réduit l’excès d’offre sur le marché et freine l’ajustement à la baisse des prix avec des effets de valorisation favorable. C’est pourquoi le gouvernement a demandé aux banques de provisionner davantage ce risque (provisions supplémentaires de 52 Mds d’euros). Viennent s’ajouter à cela, les nouvelles exigences réglementaires pour renforcer les fonds propres dans le cadre de Bâle III. L’ensemble devrait se traduire par une nouvelle phase de consolidation dans le secteur, afin de créer des entités viables et solides capables de jouer leur rôle d’intermédiation.

L’enjeu si d’éviter des recapitalisations par l’Etat en retour pèseraient sur les équilibres budgétaires et pourraient faire dérailler la dynamique d’endettement au point de menacer la soutenabilité des finances publiques. Les banques espagnoles, qui ont marqué de l’appétit pour les injections de liquidité de la BCE (LTRO à 3 ans en décembre et février) en étant les seconds contributeurs européens derrière l’Italie, ont acheté ainsi du temps pour permettre d’assainir leur bilan de manière ordonnée.

Les opérations de portage avec le recyclage de cette liquidité sur le marché de la dette publique domestique devraient gonfler temporairement leurs revenus, mais accroît l’interdépendance entre risque souverain et risque bancaire.

Au total, dans un environnement récessif avec un taux de chômage qui ne cesse d’augmenter, le risque est celui d’un engrenage entre montée des défauts, rationnement du crédit et approfondissement de la récession selon un schéma auto- entretenu.

L’économie espagnole à nouveau en récession économique

Après une baisse du PIB de 0,3% t/t au quatrième trimestre 2011, l’économie espagnole devrait afficher une baisse de l’activité plus marquée au premier trimestre 2012.

La confiance des consommateurs, déjà basse, s’est encore effritée depuis le début de l’année (-7,8 points sur le trimestre). Selon les enquêtes de la Commission européenne, les consommateurs espagnols anticipent une poursuite de la dégradation du marché du travail dans les prochains mois ainsi qu’une hausse des prix. Dans ce contexte, les ventes au détail restent en berne sans toutefois s’enfoncer davantage dans le rouge. Au total, la consommation privée devrait baisser de 1,1% t/t au T1-2012 (après -1,0% au T4 2011).

Du côté des entreprises, la conjoncture est plus mitigée. Dans le secteur des services, la confiance s’est nettement redressée (+6,3 points), mais à partir d’un niveau bas. Le moral des industriels s’est quant à lui stabilisé autour de la ligne de flottaison. Les données d’activité dans l’industrie restent pour le moment moroses, avec une production industrielle qui s’inscrit toujours sur une tendance baissière en février (-3,0% a/a après -2,5% en janvier). Les enquêtes PMI des directeurs d’achat dans l’industrie indiquent une poursuite de cette contraction de l’activité en mars, sur des rythmes légèrement ralentis. Les anticipations de commandes continuent de baisser.

Le déficit commercial de l'Espagne s'est réduit de 28% en janvier, par rapport à janvier 2011, à 3,192 milliards d'euros. Les importations ont diminué de 1,7% à 20,5 milliards, tandis que les exportations ont augmenté de 5,3% à 17,3 milliards d'euros. Ce rééquilibrage de la croissance vers des moteurs extérieurs est encourageant et souhaitable mais ne devrait pas suffire dans un premier temps à amortir la faiblesse de la demande domestique.

Au total, nous anticipons une baisse de 0,6% t/t du PIB au premier trimestre 2012, une contraction moins forte qu’initialement anticipé mais qui pourrait s’accentuer au deuxième trimestre au fur et à mesure de la montée en puissance des mesures d’austérité qui vont probablement mordre sur l’activité domestique.

NOTES

  1. Mckinsey Global Institude, Debt and deleveraging: Uneven progress on the path to growth , janvier 2012.

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