La stratégie européenne de l’Allemagne ne s’infléchira pas beaucoup après les élections

par Nicolas Doisy, Stratégie et Recherche Economique chez Amundi

Depuis un an, les sondages sont remarquablement stables : à 40%, la CDU/CSU a une large avance sur son score de 2009 (7%), tandis que Mme Merkel est créditée de 62% d’opinions favorables. La popularité de Mme Merkel semble appelée à déterminer le facteur politique le plus central de cette élection: avec une avance de 33% sur son opposant direct, Peer Steinbrück, Mme Merkel semble assurée d’être le prochain chancelier. En soi, ceci laisse penser qu’elle continuera à déterminer largement la politique européenne de l’Allemagne.

Compte tenu du déclin de son partenaire de coalition (FDP), la seule vraie incertitude pour Mme Merkel est si elle conduira sa coalition actuelle ou une autre Grande Coalition, comme en 2005-09. En effet, les préférences des électeurs en termes de coalitions mettent une coalition SPD/Verts à égalité avec une nouvelle Grande Coalition. Dans le même temps, si les sondages ne donnent pas l’actuelle coalition CDU/CSU & FDP comme une alternative crédible à une Grande Coalition, les chances de cette dernière s’accroissent: c’est là que réside le seul suspense possible.

En raison de son retard sur l’actuelle coalition dans les sondages, la coalition SPD/Verts dépendrait certainement du soutien de Die Linke (gauche traditionnelle) pour survivre un mandat entier. Ceci est presque une garantie qu’une telle coalition rouges/verts reste un des scénarios les plus improbables de ce scrutin. En effet, les programmes européen et économique du SPD et des Verts sont trop europhiles pour qu’ils puissent s’assurer du soutien de Die Linke pour aussi longtemps.

Une des raisons de cette absence de suspense est que Mme Merkel a préempté tous les thèmes électoraux importants durant la campagne, dont la crise de l’euro et les sujets sociaux. À cet égard, elle s’est emparée du thème du salaire minimum de même qu’elle a approuvé d’importantes hausses salariales, faisant d’une pierre deux coups: elle confisque ainsi certains des thèmes dominants du SPD, tout en organisant la transition vers une croissance tirée par la demande interne.

Mme Merkel a aussi clos le débat sur la résolution de la crise de la zone euro en convainquant l’opinion publique allemande que son refus de tout bail-out est le dernier rempart contre une union budgétaire complète, qui reviendrait à dérober le contribuable allemand. Le SPD a donc abandonné toute ambition de pousser une fédéralisation plus rapide de la zone euro, notamment via des Eurobonds. La dernière fois qu’il a abordé le sujet c’était il y a deux ans et demi, au printemps 2011.

La stratégie européenne de l’Allemagne : tirer avantage de la courbe de Laffer de la dette pour obtenir une réduction de dette

Comme c’est le cas depuis juillet 2010, l’Allemagne continuera donc à organiser sa stratégie européenne autour d’un objectif de minimisation de la contribution de ses contribuables à la résolution de la crise (budgétaire et bancaire) de la périphérie. Le soutien de l’électorat allemand est, indubitablement, un premier argument politiquement légitime pour le prochain gouvernement allemand: si la souveraineté du corps politique de la périphérie doit être respectée, de même doit l’être celle de l’Allemagne dans une zone euro qui demeure fondamentalement une confédération inachevée.

À cette fin, l’Allemagne tire avantage (intentionnellement ou pas) de la dynamique de la courbe de Laffer de la dette pour forcer les détenteurs d’obligations souveraines périphériques à prendre leur part des pertes a réaliser (voir graphique 4 et encadré). En effet, la courbe de Laffer de la dette montre que, au-delà d’un certain seuil, la valeur de marché de la dette d’un pays surendetté tend à décliner en fonction de sa valeur faciale, car rembourser des dettes excessives agit de la même façon que des impôts trop élevés: les deux tendent à déprimer une économie1.

En effet, la Grèce a déjà franchi ce seuil définitivement, alors que, à l’automne 2011, l’Italie et le Portugal ont été poussés temporairement au-delà, jusqu’aux deux vagues de LTRO de la BCE. Sans surprise, le haircut imposé aux obligations grecques l’an dernier s’est déjà dissipé, puisque la Grèce était de retour sur le sommet de la courbe de Laffer de la dette à fin 2012: ceci appelle clairement un autre haircut (plus) important sur la dette grecque dans un futur (pas très lointain) ou, sinon, un défaut grec sec.

Les cas italiens et portugais sont très instructifs concernant les solutions à l’insoutenabilité des dettes: les LTRO de la BCE ont restauré la valeur de marché de leur dette à parité, depuis la zone de haircut de leur courbe. Ceci soulève un redoutable défi politique pour l’Allemagne, dans la mesure où cela démontre que des interventions non-conventionnelles de la BCE, bien calibrées et ciblées, peuvent limiter les dégâts. Ceci démontre qu’il y a un arbitrage politique à réaliser entre politiques monétaires non-conventionnelles et un simple haircut.

Cet arbitrage a déjà été résolu de facto par l’Allemagne: avec peu de financements européens en réserve pour recapitaliser les banques, les créanciers de ces dernières sont appelés à encaisser le choc sur les obligations souveraines. En effet, l’audit des actifs bancaires par la BCE (asset-quality review) servira sûrement de stress tests (informels) destinés à déterminer la taille du filet financier à ouvrir (très probablement par la BCE elle-même) pour stabiliser les banques. Et parmi les actifs à risque se trouvent les obligations souveraines périphériques portées par les banques périphériques.

Le véritable enjeu pour la zone euro sera celui de la préparation par la BCE d’un matelas de sécurité suffisamment épais pour que les banques périphériques puissent absorber des pertes sur les obligations souveraines périphériques, en sus d’autres pertes à prendre sur, par exemple, des prêts (aux ménages) ou de l’immobilier. En effet, l’audit bancaire devrait être le moment où la BCE ajuste à la baisse la valeur des obligations souveraines périphériques (c’est-à-dire impose une réduction de dette virtuelle) détenues par les banques (périphériques, en particulier) depuis fin 2011 et qui, à ce jour, servent de substitut à une véritable recapitalisation.

NOTES

  1. Un exemple historique d’une telle situation est typiquement celui de l’Allemagne après la Première Guerre Mondiale, qui dut rembourser des réparations de guerre excessivement élevées (exigées par la France, en particulier). Après nombre de tentatives différentes, la communauté internationale dut admettre qu’une réduction de dette était nécessaire, laquelle fut mise en œuvre sous la forme des plans Young et Dawes qui ramenèrent les réparations dues par l’Allemagne de 269 milliards de Marks-or à 112 milliards, une réduction de 60 %.