par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
D’après la première estimation d’Eurostat, la croissance de la zone euro a commencé à ralentir au troisième trimestre, avec une progression du PIB de 0,4% T/T après 1,0% le trimestre précédent. Les écarts entre les différents pays de la zone sont encore importants avec une hausse de 1,3% pour la Finlande alors que la Grèce enregistre une chute de 1,1%, mais ils sont moins marqués que le trimestre précédent (Allemagne : 2,3% et Grèce : -1,7%). Au troisième trimestre, l’économie allemande continue de progresser à un rythme plus rapide que la zone euro dans son ensemble (0,7% T/T) mais revient sur un rythme de croissance plus compatible avec son potentiel. La France, elle, reste l’élève moyen de la zone avec une croissance de 0,4% T/T.
Les hétérogénéités au sein de la zone euro ne sont pas un phénomène nouveau, elles ont toujours été fortes depuis la naissance de l’euro. Pour caricaturer, les pays ont eu des stratégies de croissance très différentes (et non coopératives) au cours de la décennie passée :
- D’un côté, certains pays ont privilégié leur demande domestique, en la finançant bien souvent à crédit. Ces pays ont enregistré des rythmes de croissance très élevés. Cette bulle du crédit a été permise par la faiblesse des taux d’intérêt qui prévalaient dans la zone euro. En effet, d’une part, la politique monétaire de la zone n’était pas forcément adaptée à la situation de chaque pays. Par ailleurs, les primes de risque sur les dettes périphériques étaient extrêmement faibles, quelques points de base, ne reflétant pas les différences structurelles des économies.
- De l’autre côté, certains pays ont choisi de privilégier le secteur exportateur et ont mené une politique de compression des coûts. Cette politique de l’offre a, en particulier, été menée en l’Allemagne.
Ces spécialisations ont renforcé les divergences structurelles des économies. Pendant la dernière décennie (2000- 2008), la zone euro a enregistré une croissance moyenne de 2,0%. Les pays qui ont choisi la première stratégie ont connu des rythmes de croissance beaucoup plus élevés que la zone euro (3,9% pour la Grèce, 3,3% pour l’Espagne, 4,9% pour l’Irlande) alors que ceux qui ont choisi la deuxième stratégie n’ont affiché qu’une modeste progression (1,5% en moyenne pour l’Allemagne). Aujourd’hui, nous assistons à un renversement de tendance, avec l’éclatement de la bulle du crédit.
Si l’hétérogénéité de la zone euro n’est pas nouvelle, elle ne posait guère de problème dans une période de croissance forte. La situation s’est fortement dégradée avec la crise, cette dernière révélant des problèmes institutionnels importants, comme la clause de « no bail out » (pas de sauvetage d’un pays par les autres en cas de problème) qui s’est avérée intenable ou l’absence de politique budgétaire commune. Par ailleurs, la crise a également mis en exergue l’insuffisance des critères de convergence de Maastricht. En effet, l’un des principaux problèmes a clairement été de ne focaliser l’analyse que sur des critères de finances publiques (déficit et dette au sens de Maastricht) et non sur des critères de croissance structurelle des économies (solde extérieur, qualité de la croissance,..). Cette critique n’est pas nouvelle mais elle prend tout son sens actuellement avec la crise institutionnelle que traverse la zone euro et les réflexions menées aujourd’hui commencent à aller dans ce sens d’élargissement des critères.
La problématique des hétérogénéités de la zone euro, grand thème de l’année 2010, risque fort de rester d’actualité dans les années qui viennent. En effet, les divergences au sein de la zone euro vont persister en 2011/2012. Comme en 2010, elles seront notamment liées à la capacité des pays (ou non) de répondre à la demande extérieure, avec l’Allemagne comme principal gagnant. Par ailleurs, les politiques budgétaires vont également exacerber les divergences, l’austérité budgétaire risquant fort de peser significativement sur les rythmes de croissance des pays concernés (Grèce, Irlande, Espagne,…), avec l’émergence du cercle vicieux croissance faible/difficultés à respecter les objectifs budgétaires affichés. Les mauvaises nouvelles sur ces pays vont continuer d’affluer ce qui suggère que la crise que traverse actuellement la zone euro n’est pas encore terminée.