par Anne-Lise Cornen, Juan Carlos Rodado et Yuze Yuan, économistes chez Natixis
L’environnement domestique et extérieur se dégrade. Alors que la conjoncture économique et politique du pays est désastreuse, le Brésil n’est plus noté en catégorie Investment Grade par 2 des 3 agences de notation. L'inflation reste supérieure aux objectifs des banques centrales (sauf au Mexique), tandis que les devises continuent de se déprécier en raison des prix du pétrole et des difficultés chinoises. Seul le Mexique tire son épingle du jeu grâce à une consommation plus forte que prévu. Les changements politiques en Argentine et au Venezuela ont des effets positifs mais renforcent l’incertitude. Nous avons abaissé notre prévision de croissance pour la région à -1,3% pour 2015 (contre -0,8% précédemment) et à -2,5% pour 2016 (contre -0,7%).
1/ Brésil : la récession la plus longue de l’histoire
A -4,5% en GA au T3, la croissance brésilienne est négative depuis six trimestres. La demande intérieure s’est repliée de 6,0% en GA, la consommation privée s’effondrant en raison de la vigueur de l’inflation, de la faiblesse du moral des ménages et d’une dégradation du marché du travail. L’investissement, plombé par la faible confiance des entreprises, a été quant à lui historiquement bas (-15,0% en GA au T3). Si l'effondrement des importations (-20% en GA) soutient la croissance, les exportations ont ralenti à 1,1% en GA au T3. Nous ne voyons aucune lueur d'espoir pour le pays.
Les difficultés budgétaires représentent une grave menace pour l’économie. En novembre dernier, le déficit nominal a atteint 9,3% du PIB. Le gouvernement ne devrait toutefois pas s’attaquer à ce front, la priorité de la Présidente Rousseff étant de bloquer la procédure de destitution. Dans l’intervalle, l'inflation IPCA a atteint 10,7% en GA en décembre, avec une forte poussée à la fois des prix réglementés (18,1% en GA) et des prix de marché (8,5% en GA). De plus en plus inquiète sur la croissance, la BCB n'a pas été toutefois en mesure de relever le Selic (14,25%). En pleine récession, le Brésil peinera à supporter les coûts considérables liés à l'organisation des Jeux olympiques et sa devise restera sous pression. La crise économique et politique se prolongeant, Moody’s devrait très probablement abaisser la notation de la dette souveraine du pays et emboîter le pas à S&P et Fitch. Les coûts de financement des entreprises devraient donc encore augmenter.
Rééquilibrer l'économie ne sera pas chose aisée. Alors que l’incertitude politique persistera, la crise économique est une bombe à retardement pour la Présidente Rousseff. Un changement de gouvernement constitue la seule lueur d'espoir. Un grand nombre de réformes aussi indispensables qu’impopulaires s’impose afin de soutenir la croissance sur le long terme. Nos prévisions de croissance brésilienne sont les plus pessimistes du consensus. Nous nous attendons à une récession à la fois plus profonde et plus longue (-3,9% en 2015, -4,7% en 2016 et -3,2% en 2017).
2/ Chili : attention à la Chine
La croissance chilienne s’est légèrement améliorée au T3 (2,2% en GA, après 1,9% au T2). La progression de la consommation privée a accéléré à 1,8% en GA (après 1,5% au T2) alors que les dépenses publiques (5,9% en GA) ont été portées par la relance budgétaire. Dans l’intervalle, l’investissement a été plus fort que prévu, avec un rebond de 7,1% en GA au T3, après -3,0% au T2. Les exportations nettes ont toutefois amputé la croissance du T3 de 1,4 pp, après -0.1 pp au T2. Les prix du cuivre continueront de déprimer l’activité.
La BCCh a laissé son taux directeur inchangé à 3,5% à l’issue de sa réunion de janvier, après l’avoir relevé de 25 pb en décembre. La décision était unanime car les données domestiques les plus récentes sont en ligne avec les anticipations du dernier rapport de politique monétaire. Malgré l’inflation excédant le haut de la fourchette cible (4,4% en GA en décembre), la banque centrale devrait maintenir son taux inchangé en 2016 à 3,5% en raison du ralentissement de l’activité et d’une moins forte dépréciation de sa monnaie par rapport à ses pairs. Le ralentissement de la croissance chinoise menace la reprise chilienne. La baisse de la demande chinoise va peser sur les prix du cuivre, accentuant la volatilité de la devise, dégradant le moral des chefs d'entreprise et les perspectives en matière d'investissement. Autrement dit, la fin du super cycle des matières premières va entraîner des destructions de capacités dans le secteur minier et réduire la croissance potentielle. Le gouvernement doit adapter la politique budgétaire à ce nouvel environnement.
Le ralentissement conjoncturel à venir gênera très sérieusement toute velléité de réforme du gouvernement. Cependant, plusieurs enquêtes récentes indiquent que l’évolution du climat politique suscite de plus en plus d’attentes. De fait, le nouveau programme de réformes pourrait améliorer le moral des chefs d’entreprise et des ménages et accélérer ainsi la reprise. Nous avons abaissé nos prévisions de croissance à 1,5% pour 2016 et à 1,9% pour 2017.
3/ Colombie : en lutte contre l’inflation, les déficits jumeaux et pour la paix
Si la croissance colombienne a légèrement accéléré au T3 (3,2% en GA, après 3,0% au T2), elle reste largement inférieure à son niveau de 2014 (4,6%). La consommation reste le principal moteur de l'activité, contribuant à la croissance à hauteur de 2,8pp. L’investissement s‘est contracté (-0,4% en GA) face aux difficultés croissantes de l'industrie pétrolière. Dans l’intervalle, les exportations nettes ont amputé la croissance de 0,3 pp, portant le déficit du compte courant à un niveau sans précédent (-7,2% du PIB au T3 2015).
Renforcée renchérissement des denrées alimentaires provoqué par El Niño, l'inflation a bondi à 6,8% en GA en décembre. Afin de maîtriser cette dernière, Banrep a relevé son taux directeur de 150 pb depuis septembre dernier. Depuis, la faiblesse de la croissance en 2016 inquiète de plus en plus le Comité. Nous tablons sur de nouveaux relèvements du taux directeur au moins jusqu’à 6,5%. En raison d’une inflation élevée et des hausses de taux, la consommation va ralentir en dépit de sa vigueur actuelle. Il faudra plus de temps que prévu pour que les infrastructures ne soutiennent la croissance tandis que les dépenses publiques devront être réduites. Afin de ne pas gêner l'issue du référendum sur les accords de paix avec les FARC, le gouvernement a néanmoins repoussé la réforme fiscale structurelle à 2017.
La nouvelle faiblesse des prix du pétrole a évidemment un peu plus assombri les perspectives colombiennes en matière d’activité. Nous tablons actuellement sur un prix moyen du Brent de 35,5 USD/b en 2016, et un très léger rebond à 46,0 USD/b en 2017. L'absence de mesures visant à corriger les déficits jumeaux hypothèque la qualité de crédit du pays. Le gouvernement doit augmenter les impôts pour compenser la baisse des recettes pétrolières. Entre 2014 et 2015, ces dernières ont chuté de moitié, pour ne plus représenter que 7,5% du total des recettes. Après 3,0% en 2015, nous anticipons un ralentissement de la croissance à 2,0% en 2016, puis en 2017.
4/ Mexique : et si la croissance américaine s’essoufflait ?
La croissance mexicaine a été plus forte que prévu au T4 (2,5% en GA contre 2,3% anticipé par le consensus), conduisant à une meilleure performance qu’attendu en 2015, après plusieurs années consécutives de déceptions. La consommation mexicaine a bénéficié de la faiblesse de l’inflation, des importantes créations d'emplois dans les services, de la progression des transferts de fonds des non-résidents et d’une solide croissance du crédit. Toutefois, certains indicateurs remettent en cause la vigueur de la reprise. Les ventes au détail ont été dynamiques depuis le début 2015 (4,8% en GA en octobre) alors que l'investissement a significativement ralenti en octobre (1,0% en GA). La baisse des prix du pétrole, et surtout le repli de la production industrielle américaine, accentuent les pressions sur les exportations nettes.
L'inflation a considérablement ralenti en 2015, terminant l'année proche de la limite basse de la fourchette cible (2,1% en GA en décembre). Le MXN restant pénalisé par son statut de devise émergente, les prix devraient toutefois repartir à la hausse. En 2016, les effets de pass-through s’aggraveront et les prix agricoles progresseront de nouveau. Compte tenu de l'inflation historiquement faible et de la croissance de la consommation, Banxico a pu imiter la Fed et augmenter son taux directeur de 25 pb en décembre. Nous tablons sur un relèvement de 25pb de ce dernier en mars et en septembre prochains. La volatilité de la devise pourrait toutefois entraîner une réaction plus forte de la banque centrale.
En 2016, l'environnement externe du Mexique restera difficile, marqué par la faiblesse des prix du pétrole, l’atonie de la demande mondiale et le resserrement de la politique monétaire de la Fed. Mais par rapport aux autres pays d'Amérique latine, les fondamentaux du Mexique lui permettront de mieux faire face à ces défis. Après 2,5% en 2015, nous tablons sur un ralentissement de la croissance à 2,1% en 2016, puis sur un rebond à 2,5% en 2017.
5/ Pérou : politique et production minière
La croissance a légèrement décéléré au T3 (2,9% en GA après 3,0% en GA au T2). Mais ce ralentissement s’explique largement par la moindre progression des dépenses publiques (4,2% en GA au T3 après 9,1% en GA au T2). La consommation privée est restée relativement robuste (3,4% en GA), mettant un terme à six mois consécutifs de baisse. Le repli de l’investissement a été plus limité (-4,5% en GA après – 9,3% en GA au T2) du fait de l’envolée de la production de cuivre des nouvelles mines. Les exportations nettes ont apporté une contribution de 0,4 pp à la croissance.
L’inflation a augmenté en 2015 (4,4% en GA en décembre) et s’inscrit désormais bien au-dessus du haut de la fourchette objectif (2,0% +/- 1,0%) fixée par la BCRP. Si l’inflation élevée s’explique en partie par des facteurs temporaires tels que l’alimentation et les coûts du transport, les tensions inflationnistes pourraient persister en 2016 en raison de l’impact de la dépréciation de la devise. Les anticipations de hausse d’inflation ont conduit la BCRP à relever ses taux en décembre et en janvier, portant le taux directeur à 4,0%. Nous anticipons au moins deux hausses de taux supplémentaires de 25 pb chacune, mais une troisième ne doit pas être écartée.
La progression de la production minière (12% du PIB) en raison des nouvelles mines demeure le point fort de l’économie. Ceci aidera le pays à accélérer ses exportations en 2016 en dépit de la faiblesse des prix des métaux. Cependant, la consommation devrait s’essouffler en réponse à un durcissement des politiques budgétaire et monétaire. Nous anticipons une croissance de 3,0% en 2016, avant un ralentissement à 2,7% en 2017. Sur le plan politique, Keiko Fujimori, la fille de l’ancien Président Alberto Fujimori, demeure clairement favorite pour les élections présidentielles d’avril.
6/ Argentine : les ajustements vont dans la bonne voie
Le pays a radicalement changé depuis la victoire du candidat favorable aux marchés, Mauricio Macri, aux élections présidentielles. Une semaine après son entrée en fonction, la banque centrale a mis fin à la plupart des mesures de contrôles des capitaux, entraînant une forte correction du taux de change officiel (40% contre l’USD). Ceci a constitué un premier pas vers un cadre politique plus sain cherchant à restaurer la compétitivité et à stimuler la croissance.
D’autres ajustements seront douloureux à moyen terme, mais nécessaires. Les tarifs de l’énergie doivent être relevés pour réduire le déficit budgétaire. Ce dernier reste à déterminer, mais il pourrait atteindre 7% du PIB. Le ministère des Finances, la banque centrale (BCRA) et l’agence de statistiques (Indec) sont restructurées. De nombreux cadavres de l’ancien gouvernement apparaîtront probablement. L’inflation demeure un problème. L’objectif de taux d’inflation du gouvernement pour 2016 est situé entre 20% et 25%, contre 30% pour 2015. Les négociations avec les syndicats constitueront le véritable test sur l’inflation. Aussi la route semble-t-elle longue et difficile sur le plan politique et social.
Un retour sur les marchés de capitaux n’est pas à exclure. Même si l’ampleur des décotes reste à déterminer, les négociations avec les « holdouts » progressent. L’Argentine doit 10 MdUSD, en tenant compte des intérêts et du capital à rembourser aux hedge funds et aux créanciers « me too ». Le président Macri fera face à l’opposition de l’ancienne présidente Kirchner au parlement, qui tentera de bloquer tout règlement potentiel avec les holdouts. Cependant, nous anticipons un accord avec les holdouts. Compte tenu des ajustements mentionnés précédemment, nous estimons que l’activité argentine devrait se contracter en 2016 (-2,0%), mais qu’elle devrait de nouveau progresser en 2017 (1,0%).
7/ Venezuela : une cohabitation chaotique
En décembre dernier, l’opposition (MUD) a surpris en remportant la majorité qualifiée aux deux tiers à l’assemblée nationale, (112 sièges) contre le parti au pouvoir du président Maduro, (PSUV). Cette victoire a mis fin à 16 années consécutives de « chavisme » et a posé les fondations de la mise en œuvre de changements institutionnels au Congrès. Parmi leurs pouvoirs, les députés peuvent désormais dissoudre toutes les autorités publiques pour créer une nouvelle constitution, soumettre les réformes constitutionnelles à un référendum, nommer la Cour de justice suprême et approuver ou modifier des lois organiques. Cependant, la principale question est de savoir dans quelle mesure la cohabitation des pouvoirs sera chaotique.
Les choses se gâtent sur le plan politique. En janvier, le président Maduro a nommé un nouveau cabinet, remplacé le vice-président et nommé un ministre des Finances anti capitaliste. Le gouvernement a ensuite décrété « l’urgence économique », ce qui étendrait les pouvoirs du président Maduro pour intervenir dans les entreprises et limiter l’accès aux devises. Ce statut supprime par ailleurs le devoir, conféré au Congrès, de nomination du nouveau président de la banque centrale du Venezuela qui n’est pas parvenue à publier certaines données importantes depuis un an, telles que le PIB. Dans un pays économiquement et socialement dévasté, avec une inflation à trois chiffres, des pénuries chroniques de produits alimentaires et une devise valant moins d’un centime, la cohabitation des pouvoirs s’annonce délicate.
Il sera très difficile d’éviter un défaut en 2016. La créativité financière ou le soutien de la Chine seront plus que nécessaires pour l’éviter. Les exportations de pétrole génèrent à peine suffisamment de recettes pour couvrir les remboursements de la dette du pays. Le souverain devra faire face à un paiement de 3,6 MdUSD en février et PDVSA à un paiement de 4,0 MdUSD au T4 2016. La situation du pays est dégradée par la récession générée par la faiblesse des prix du pétrole et des années de choix politiques erratiques. Nous estimons que le Venezuela connaîtra une récession profonde en 2015 (-10%), en 2016 (-15%) et en 2017 (-12%) et qu’une inflation à trois chiffres sera la norme (+300%).
En résumé: nous sommes plus pessimistes que le consensus concernant la croissance dans la région. L’Amérique latine fait face à un contexte difficile caractérisé par un affaiblissement des devises, une envolée de l’inflation, une hausse des taux d’intérêt et un ralentissement de la croissance. Les points forts seront le secteur de la consommation au Mexique et les actifs argentins avec les réformes entreprises. Le Pérou pourrait également connaître une amélioration grâce à l’expansion de sa production minière due aux nouvelles mines, mais uniquement en 2016. La situation ailleurs dans la région restera difficile, notamment au Brésil, en proie à la plus longue récession depuis un siècle, et au Venezuela qui pourrait connaître une incertitude politique accrue.