par Philippe Waechter, Directeur de la recherche économique chez Natixis AM
La baisse de la monnaie anglaise est pour l’instant la marque la plus visible des effets du Brexit. La monnaie britannique s’est dépréciée de près de 17% depuis le résultat du référendum face au dollar et de plus de 14% vis à vis de l’euro au 18 octobre.
On voit ce mouvement fort en deux temps: après le référendum du 23 juin et après le 30 septembre suite au discours de Theresa May à Birmingham lors du congrès du parti conservateur. Elle annonçait que la notification de l’article 50 sur la sortie du RU de l’UE se ferait au plus tard en mars 2017. (La remontée du 18 octobre correspond à l’idée que les parlementaires pourraient valider le traité entre le RU et l’UE après les négociations.)
Deux remarques pour comprendre la mise en place d’un Brexit dur. La première est la volonté pour le Royaume Uni d’être totalement indépendant et de retrouver son entière souveraineté. En d’autres termes, Theresa May indiquait ainsi à Birmingham qu’elle ne souhaitait pas dépendre des lois européennes dans le fonctionnement de la société et de l’économie britannique après la mise en œuvre effective du Brexit. Cela écarte, de fait, un cadre de négociations se calant sur les modèles norvégien ou suisse.
La deuxième remarque est la fermeté exprimée par Donald Tusk, le président du conseil européen. Il indiquait dans un tweet que le Brexit serait dur ou ne serait pas.
Cela implique que pour les britanniques, l’accès au marché unique ne sera pas une propriété par défaut de l’accord et qu’en conséquence le passeport européen sera remis en cause.
Cela a deux conséquences immédiates :
1 – L’attrait de l’économie britannique est moins fort puisqu’une qualité de celle ci était son accès au marché unique. La volonté d’indépendance exprimée par Theresa May réduit fortement la dynamique commune au Royaume Uni et à l’Union Européenne.
2 – La City qui a bénéficié du passeport européen va être pénalisée puisque l’attrait de Londres comme place financière sera moins fort. En outre, sur ce point spécifique, l’attractivité de Londres sera conditionnée aussi par le statut qui sera fait aux européens, non britanniques, y travaillant. Si leur statut est fortement dégradé par rapport à la situation actuelle alors ces individus pourraient perdre tout intérêt à rester à Londres. Cela se traduirait potentiellement par une perte importante en capital humain ce qui pénaliserait la croissance et affaiblirait encore davantage le secteur financier britannique.
La problématique britannique est donc de trois ordres plus un. Le premier est l’impact négatif qu’aura le retrait de l’accès au marché unique dans les conditions actuelles. La suppression du passeport européen amplifiera ce mouvement.
Le second est que la baisse du sterling accroît de façon significative la compétitivité de l’économie, notamment de toute l’économie qui n’est pas directement dépendante de la City.
Le troisième est l’accélération de l’inflation qui pénalisera le pouvoir d’achat des ménages.
Le dernier point est la synthèse de cela et porte sur la soutenabilité du compte courant britannique. Celui ci est déficitaire de l’ordre de 6% du PIB et est financé par le reste du monde.
L’Union Européenne est le principal partenaire commercial du Royaume Uni. Le changement de règles dans les échanges liés à la suppression de l’accès au marché unique sera un choc pour l’économie britannique. On ne connait pas encore les accords qui prévaudront après la notification de l’article 50 mais il est peu probable que les échanges continuent de la même façon. Ce sera un choc négatif pour l’économie d’outre-Manche.
La baisse de l’activité résultant du retrait du passeport européen va amputer la dynamique du revenu de la City. En outre, une bonne partie de l’activité en euro (compensation par exemple) devrait être relocalisé au sein de la zone Euro, pénalisant ainsi encore davantage les revenus de la City.
Sur ces aspects il y a plusieurs points d’analyse. Le premier est que la baisse du sterling est un avantage pour l’économie hors la City. On peut imaginer que la force du sterling au cours des dernières années a traduit la force et l’importance des flux financiers et d’investissement vers la City. Cette situation a néanmoins pénalisé le reste du Royaume Uni pour lequel le sterling trop cher était un handicap pénalisant ainsi l’investissement.
Une façon d’observer ce phénomène est de constater l’évolution du prix de l’immobilier à Londres par rapport au reste du Royaume Uni. Le décalage est spectaculaire et reflète la moindre compétitivité en dehors de Londres.
La baisse du sterling doit donc engendrer un avantage comparatif pour l’industrie britannique. C’est l’arbitrage que souhaite développer le gouvernement. Il ne veut pas dépendre de l’Union Européenne mais souhaite mettre en place des accords sur des secteurs spécifiques. Le repli de la monnaie devrait doper la compétitivité et favoriser l’investissement au sein de l’économie britannique compensant ainsi la perte de revenu lié à la moindre activité de la City.
La question est alors à plusieurs niveaux de réponse :
1 – La baisse de la monnaie ne sera pas forcément un facteur dopant pour les exportations. En tout cas les évolutions des 10 dernières années du taux de change effectif du sterling n’ont pas dopé le profil des exportations britanniques par rapport au commerce mondial. C’est ce qu’indique le graphe ci dessous. Les amples fluctuations de la monnaie britannique n’ont pas donné un avantage comparatif fort aux exportations (voir ici).
L’OBR a calculé dans son modèle de référence qu’1% de baisse du prix relatif à l’exportation ne se traduisait que par une hausse de 0.41% des exportations non pétrolières au bout de 9 trimestres.
En outre le commerce mondial évolue lentement. Sur un an en juillet il se contracte de -0.7%. L’économie britannique ne pourra pas bénéficier d’un choc positif en provenance de l’extérieur qui aurait été amplifié par la baisse du sterling.
Dès lors au regard de ces éléments, il ne peut être attendu une impulsion forte et soutenue en provenance de l’extérieur.
2 – Les gains de compétitivité, en dehors de la remarque ci-dessus, pourraient inciter à investir massivement au Royaume Uni. Cela est peu probable même si le gouvernement britannique souhaite abaisser la fiscalité des entreprises comme cela a pu être évoqué.
En effet, les négociations seront longues et forcément incertaines quant aux conclusions sur l’accès des entreprises du Royaume Uni au marché européen. Dès lors tant que cette incertitude est importante, il est peu probable que les investissements s’accroissent rapidement. La première remarque accentue ce phénomène et l’immobilisme des investisseurs.
3 – L’incertitude tient à l’ampleur du marché à venir. Si les britanniques ont accès au marché unique sans restriction (peu probable) alors il y a un intérêt à investir. En revanche si le marché cible c’est uniquement le marché britannique où est l’incitation? Le marché serait alors trop étroit. (voir ici les premières conséquences de l’incertitude sur la dynamique entrepreneuriale)
En conséquence, la stratégie visant à compenser l’impact négatif résultant de la moindre activité à la City par une reprise forte du reste de l’économie a une probabilité de réalisation faible.
D’autant que cette absence d’impulsion et le choc négatif du changement de règles dans les échanges vont se traduire par une dynamique de l’emploi qui sera moins porteuse que celle observée au cours des dernières années. Cela a une conséquence majeure, la hausse des salaires ne couvrira pas la hausse de l’inflation. Dès lors les ménages vont perdre du pouvoir d’achat, n’alimentant pas ainsi la demande interne et réduisant par la même l’incitation à investir. La consommation va s’ajuster à la baisse.
Sur un autre plan, ce cadre global de l’économie britannique ne parait pas compatible avec un déficit extérieur voisin de 6% du PIB. Ce solde important ne pourra pas se réduire simplement par l’effet de la baisse du sterling. On a vu que l’élasticité des exportations au prix était réduit, celle des importations l’est encore davantage (0.2% au bout de 9 trimestres). Spontanément le déséquilibre extérieur ne se résorbera pas sauf à avoir une dépréciation encore plus importante de la monnaie. Cela ne parait pas improbable si la réponse de l’économie n’est pas à la hauteur des attentes. Cette dépréciation se traduirait par une hausse supplémentaire de l’inflation. Cette situation gênerait la Banque d’Angleterre car alors la hausse de l’inflation ne serait pas temporaire mais aurait certainement un caractère plus permanent.
La question est celle du financement de ce compte courant. Il l’est généralement par des flux financiers et des flux d’investissement. Peut on imaginer que les investisseurs internationaux auront la volonté de venir au Royaume Uni si l’incertitude est forte? Certainement pas. Cela implique la nécessité de peser sur la demande interne afin d’infléchir le profil des importations et rendre ainsi soutenable le profil du compte courant. En d’autres termes, on ne peut exclure la mise en place d’une politique d’austérité.
Dans ce cadre, la Banque d’Angleterre conservera une stratégie accommodante tant qu’elle aura le sentiment que la dégradation de l’économie n’est que temporaire et qu’elle retrouvera à terme une trajectoire robuste. Elle pourrait accroître le plafond de son opération de quantitative easing afin de limiter la hausse des taux d’intérêt de long terme. Ceci ne fonctionnera que tant que la BoE considérera que la dégradation est temporaire. Si elle est persuadée que le choc devient persistant il est probable que pour tenir la monnaie elle devra durcir le ton. Mais ce ne sera pas pour tout de suite.
Dans une note récente du Trésor britannique, il est estimé que la perte de l’économie britannique pourrait être comprise entre 5.4% et 9.5% à un horizon de 15 ans et par rapport à un scénario ayant un arrangement favorable avec l’UE. Le scénario central est une perte de 7.5%.
Le Brexit dur tel que souhaité par Theresa May va avoir un coût élevé pour l’économie britannique car celle ci se coupe d’une partie de son activité qui était une source de revenus important (la City) et se recale sur une économie qui spontanément profite mal d’une forte dépréciation de la monnaie tout en affaiblissant sa demande interne via une baisse du pouvoir d’achat. C’est un coût très élevé qui va porter grandement sur les classes moyennes, celles qui ont fait basculer le vote vers le Brexit.