Le deuxième temps de la valse

par Geoffroy Goenen, Head of Fundamental Europe Equity Management chez Candriam

Malgré un rebond plutôt significatif à partir du mois d’octobre, les marchés actions européens, malmenés par d’importants flux sortants depuis le début de la crise en Ukraine, enregistrent une correction sur l’année 2022 (-9,5%). Bien que les actions européennes aient terminé l’année en surperformance relative par rapport aux Etats-Unis (-13,4%) et aux pays émergents (-15,1%)[1], l’année n’en demeura pas moins une source d’inquiétude pour les investisseurs qui s’interrogent à présent sur le programme pour 2023.

En ce début d’année, le sentiment de marché est néanmoins plus optimiste qu’au début de l’automne 2022. Même si le scénario continue de privilégier un ralentissement économique, les investisseurs semblent déjà entrevoir un horizon plus radieux.

  • Bilan sur le 1er temps de la valse : les banques centrales sur le devant de la scène

Pour faire suite à notre article de juillet 2022, où nous exprimions notre conviction selon laquelle les actions européennes allaient évoluer selon une valse à trois temps, nous pouvons à présent faire le bilan de cette première période : « le temps de la value ». Pour rappel, nous anticipions dans cette première phase, une hausse des taux des banques centrales ainsi qu’une normalisation des taux longs en ligne avec les attentes d’inflation à long terme. Ce « rerating » des taux longs a impacté négativement les valorisations des entreprises et en premier lieu celles dites de Qualité/Croissance, suite à la baisse de l’actualisation des free cash-flows2 futurs. Les sociétés dites « value » ont ainsi surperformé.

Inflation : décélération en vue ?

Nous pensons que le pic d’inflation est majoritairement derrière nous, en tout cas aux Etats-Unis où nous constatons déjà certaines baisses. L’Europe semble déjà suivre la même trajectoire. Nous devrions ainsi observer une accélération de cette baisse de l’inflation des deux côtés de l’Atlantique dans l’année à venir. Il serait même peu prudent, en tout cas aux Etats-Unis et dans certains segments, de totalement exclure un risque de déflation d’ici 2024.

Banques centrales : la fin de la hausse ?

Notre scénario principal d’une hausse significative des taux des banques centrales s’étant réalisé, nous pensons à présent que les taux de base devraient atteindre un pic au premier trimestre et rester à ce même niveau probablement jusqu’à la fin de l’année. Nous constatons également que leurs diverses initiatives, en premier lieu la réduction de leur bilan mais aussi leur hausse des taux, ont bel et bien alimenté la décélération économique.

Aux Etats-Unis, nous observons déjà, et continuerons d’observer, une dégradation significative du cycle économique, avec d’un côté une forte baisse de l’immobilier résidentiel alimentéepar l’importante hausse du coût des emprunts immobiliers, et d’un autre côté un impact substantiel sur les PMEs qui, financées à très court terme, seront obligées de licencier sous la pression de niveaux de financement trop élevés. En effet, ces petites entreprises étant essentiellement financées par de la dette, et ayant besoin davantage de financement que les plus grandes entreprises, vont devoir couper leurs coûts, et donc leur personnel. Nous devrions alors observer une accélération du chômage aux Etats-Unis au cours des prochains trimestres. Cela devrait peut-être mener à une récession plus marquée et plus persistante qu’attendue. Inévitablement, l’Europe sera impactée a posteriori par cette importante décélération de l’économie américaine.

  • L’heure du 2ème temps a sonné : cap sur la qualité défensive

Étant donné l’impact non neutre de ce 1er temps de la valse sur l’économique américaine, mais aussi européenne, nous allons continuer à constater – en plus des problèmes actuels sur les marges – de sérieux risques sur les revenus. Certaines entreprises vont naturellement décélérer en termes de bénéfices, d’autres vont résister, et les grandes gagnantes seront celles qui réussiront à bénéficier des niches en accélération.

Dans cette 2ème phase, s’orienter vers les entreprises de qualité (bilan et rentabilité solides, forte création de valeur avec la génération de free cash-flow[2], stabilité des revenus) apparaît comme une stratégie intéressante pour éviter les déceptions bénéficiaires liées au ralentissement économique. Nous favorisons ainsi les valeurs défensives, qu’elles aient un rayonnement international ou domestique.

En termes de secteurs, la consommation de base et les équipements de santé devraient, selon nous, répondre à ce cahier des charges. Une sélection rigoureuse des valeurs demeure néanmoins primordiale pour déceler celles qui seront capables de surprendre positivement le marché. De plus, les entreprises dotées d’un haut degré d’innovation devraient pouvoir rencontrer ce besoin de visibilité et de croissance structurelle en creusant l’écart par rapport à leur concurrence. Un grand nombre de ces entreprises sont exposées à des niches, notamment dans les secteurs de la transition énergétique, les nouvelles technologies de la santé, la digitalisation ou encore l’automatisation de l’économie – secteurs que nous privilégions dans notre stratégie qui investit dans les valeurs innovantes.

Ce 2ème temps de la valse devrait également s’accompagner d’une détente des taux longs aux Etats-Unis, en ligne avec la décélération de l’économie. En effet, les attentes d’inflation à long terme devraient diminuer dans les 12 à 18 prochains mois – et l’Europe devrait suivre le mouvement. Pour finir, un autre élément à surveiller est la réouverture progressive de la Chine, qui pourrait avoir un impact sur le prix des matières premières, notamment le GNL (gaz naturel liquéfié), et ainsi sur les finances européennes. Cela pourrait, à très court terme, soutenir certaines valeurs cycliques de consommation et industrielles fortement exposées à la Chine. Toutefois, ceci n’enlève en rien les problèmes de crise immobilière et d’endettement majeur, auxquels la Chine devra continuer à faire face dans les prochaines années et qui auront un impact certain sur son potentiel de croissance.

  • Patience pour le 3ème temps : le fameux « pivot » de la Fed

Pour tenter de déterminer quand sonnera l’heure du 3ème temps de la valse, le feu vert notamment pour les cycliques et les petites capitalisations, mais aussi pour les marchés en général, nous devons d’abord nous interroger sur le fameux « pivot » de la Réserve fédérale des Etats-Unis.

Pour rappel, et comme nous l’écrivions dans notre article mentionné plus haut, nous constatons historiquement que les évolutions des marchés, et particulièrement les cours des valeurs cycliques, anticipent de 6 à 12 mois la nouvelle phase d’un cycle économique. Tout comme la politique de la Fed a entrainé le ralentissement économique et la baisse des marchés, celle-ci sera également l’élément déclencheur du prochain cycle économique haussier.

La flexibilité dans l’injection de liquidités et le changement de ton de la Fed – le « pivot », c’est à-dire le point d’inflexion à partir du moment où la Fed cessera d’augmenter ses taux – donneront le feu vert vers un nouveau cycle, le 3ème temps de la valse. Ce changement profond au niveau des intentions dépendra, comme la Fed l’a déjà exprimé, de deux conditions majeures : d’une part, de la baisse significative de l’inflation core[3] vers les 3, voire 2 %, et d’autre part, de la flexibilité du marché de l’emploi et donc d’un réservoir de main-d’œuvre qui devra être beaucoup plus important. Cela devrait inévitablement passer par une augmentation significative du chômage aux Etats-Unis, de +1 % voire +2 %.

Tous ces facteurs devant être réunis, nous n’anticipons donc pas de « pivot » de la Fed avant la 2ème partie de 2023, voire la fin de l’année. En attendant, le premier défi majeur pour cette année sera de continuer à accepter quelques variations contraires à court terme, car la volatilité, alimentée par les diverses craintes des investisseurs, devrait se maintenir à des niveaux élevés. Le second sera de trouver les points d’inflexion nous permettant de nous positionner sur le long terme à des niveaux attractifs. 

NOTES

[1] Performances des indices net return, en EUR, au 30/12/2022, source Bloomberg. Actions européennes : MSCI Europe, actions des Etats-Unis : S&P 500, actions des pays émergents : MSCI Emerging Markets. La performance passée ne garantit pas les résultats futurs et n’est pas constante dans la durée.

[2] Le flux de trésorerie disponible (ou free cash-flow) est la capacité d’une entreprise à générer des ressources supplémentaires.

[3] L’inflation core ou sous-jacente est la variation des coûts des biens et services, hors alimentation et énergie.