Le dilemme de la BCE

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Depuis le début de l’année, la BCE hésite à faire davantage, essayant de gagner du temps. Alors qu’en février, les tensions sur les marchés monétaires auraient pu la conduire à prendre de nouvelles mesures, elle a opté pour le statu quo. Début mars, la situation monétaire s’était plutôt stabilisée mais l’euro s’était apprécié ce qui aurait pu constituer un motif d’action. En avril, la surprise sur le chiffre d’inflation du mois de mars à 0,5% aurait pu la pousser à agir mais elle a préféré renforcé sa forward guidance(1) et mettre en avant que ce point bas était lié à des effets de base.

Face à des marges de manœuvre assez faibles sur les taux et à la volonté d’éviter la mise en place de politiques non conventionnelles, elle a choisi d’utiliser la forward guidance et de communiquer sur un éventuel QE, entretenant ainsi les espoirs qu’elle pourrait faire beaucoup plus en cas de besoin.

Après avoir agité le spectre du QE, le débat pourrait se focaliser à nouveau, au moins à court terme, sur des mesures conventionnelles et non conventionnelles plus faciles et moins coûteuses à mettre en œuvre. La baisse du refi, une baisse du taux de réserves obligatoires, une moindre stérilisation du SMP, la publication des Minutes et l’allocation illimitée de la liquidité jusque fin 2015 sont probablement les cinq mesures les plus faciles à mettre en place. Les effets imprévisibles d’une baisse du taux de dépôt (en négatif) restent selon nous un frein à sa mise en œuvre à court terme. Où en est-on depuis le mois dernier ?

1/ L’inflation de la zone euro est finalement ressortie à 0,7% en avril, en hausse par rapport au point bas du mois de mars de 0,5% mais en deçà des prévisions (0,8%). Si l’écart à la prévision peut s’apparenter à l’épaisseur du trait, c’est plus le signal que ce chiffre envoie qui est important. En effet, en appliquant les évolutions saisonnières habituelles, l’inflation de la zone euro risque fort de rester proche de 0,7%/0,8% pendant encore une bonne partie de l’année 2014. Le retour vers 1% ne se ferait que fin 2014. Dans cette hypothèse, l’inflation de la zone euro ne serait plus que de 0,8% en 2014, désormais inférieure, d’un peu plus que l’épaisseur du trait, à la projection actuelle de la BCE (1%). Il semble désormais très probable que la BCE révise cette dernière à la baisse lors de la mise à jour de ses prévisions macroéconomiques en juin. A noter toutefois que l’inflation sous- jacente est ressortie à 1% en avril (après 0,7% en mars).

2/ D’autre part les anticipations d’inflation sont toujours bien ancrées mais restent à des niveaux relativement faibles.

3/ Le taux de change de l’euro ne s’est que légèrement apprécié (1,38 actuellement vs 1,37 début avril).

4/ Le retour de certaines tensions sur les taux monétaires : si des effets particuliers (fin de trimestre, jours fériés,…) peuvent en partie expliquer la hausse de l’eonia ces dernières semaines, on observe toutefois une tendance haussière avec un eonia en moyenne à 0,23% depuis début avril… la liquidité excédentaire a continué de baisser pour se situer à environ 80Md€ ces derniers jours. D’ailleurs, seulement 104Md€ ont été apportés par les banques à la BCE le mardi 29/04 sur les 172Md€ nécessaires à une stérilisation complète su SMP.

5/ Alors que le crédit a continué de baisser en mars (-2,2% sur an), les conditions de crédit sont également un autre point important pour la BCE. La dernière enquête auprès des banques publiée le 30 avril montre des conditions de crédit stables mais révèle surtout une hausse de la demande de crédit. La BCE ne sera probablement pas indifférente à la possibilité d’une demande non satisfaite de financement alors que jusqu’à récemment l’idée qui prévalait était que la baisse du crédit en zone euro résultait principalement de la faiblesse de la demande…

Si l’allocation illimitée jusque fin 2015 et une baisse du refi ne changeraient pas la face du monde, elles auraient au moins l’avantage de diminuer d’éventuelles tensions monétaires et permettraient de rendre les conditions monétaires plus accommodantes. L’eonia serait ainsi plafonné à 0,10% (en théorie hors besoins exceptionnels et non anticipés de liquidité). Tous les taux courts en bénéficieraient. Par ailleurs, même si les banques ont massivement remboursé les VLTRO (un peu plus de la moitié), il reste encore plus de 500Md€ de financement à long terme à la BCE2. Une baisse du coût pour des systèmes bancaires encore très dépendants (Italie, plus de 200Md€, Espagne environ 180Md€) ne peut pas faire de mal… De plus, en agissant, cela pourrait permettre de maintenir les anticipations d’inflation en renforçant l’idée que la BCE n’est pas insensible au risque de déflation. Nous sommes plus sceptiques concernant l’effet sur le taux de change.

La BCE pourrait encore essayer de gagner du temps lors de son prochain meeting le 8 mai et préférer attendre début juin lors de la publication de ses nouvelles prévisions d’inflation pour annoncer d’éventuelles mesures. Nous ne voyons guère d’autres arguments pour différer encore une action…

NOTES

1 Cf. Edito du 04/04 « BCE : la Forward guidance peut-elle suffire ? »

2 Cf. Flash n° 2014- 296 « Zone euro : y a-t-il un risque de cliff de liquidité ? »

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