Le monde émergent : vers une éclaircie

par Emmanuel Auboyneau, Gérant Associé, Xavier d’Ornellas, Gérant Associé Pôle Gestion Flexible, avec la participation de Jean-Michel Mourette, économiste chez Amplégest

Depuis plusieurs mois l’évolution économique des pays émergents et de leurs marchés financiers fait débat. Cette zone, qui a dopé la croissance mondiale depuis une dizaine d’années, est globalement en phase de ralentissement économique. Mais la situation est très différente selon les cas, rendant difficile une analyse globale. Le concept des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) comme entité homogène est largement dépassé et il faut se pencher sur chacun de ces pays.

A ce jour la Chine, de par son importance, focalise l’essentiel des questions. La décélération de son PIB, de plus de 12,3% en 2006 à 7,3% aujourd’hui, inquiète mais s’explique en partie par la volonté de transformer une économie largement tournée vers l’exportation (et qui souffre du ralentissement de ses principaux clients) vers une économie plus domestique qui profiterait de l’émergence d’une classe moyenne de plus en plus nombreuse. Ce passage est nécessaire car les avantages compétitifs de la Chine s’amenuisent en raison notamment de la hausse des coûts salariaux. Cette mutation de l’économie est pilotée par les autorités politiques qui devraient désormais parvenir à une stabilisation de la croissance du PIB au dessus de 7% par an. L’effet taille et l’émergence de la Chine comme deuxième économie mondiale rend de toute façon illusoire les taux de croissance à deux chiffres que l’on a connus. La Chine s’évertue à respecter l’équilibre entre réformes, politiques monétaire et budgétaire prudentes, et croissance nécessaire. La libéralisation progressive du marché intérieur créera un environnement favorable à une croissance pérenne. La Chine développe par ailleurs un centre financier qui fera référence en Asie, et qui pourrait, à terme, concurrencer la place financière de Londres. Cela contribuerait au retour en grâce du pays aux yeux des investisseurs.

L’Inde bénéficie de la politique de son nouveau patron de la Banque Centrale, Monsieur Rajan. Arrivé en septembre 2013 il a trouvé une économie faible et des importantes fuites de capitaux. Il a décidé alors, contre l’avis général, d’augmenter les taux d’intérêt. Un programme peu populaire mais qui semble avoir fonctionné. La roupie s’est appréciée de 12% par rapport au dollar, les réserves de change sont revenues au dessus de 300 milliards de dollars, et l’économie semble repartir de l’avant. Les prochaines élections et l’incertitude qu’elles génèrent sont le principal bémol qui tempère notre optimisme.

Au Brésil les dernières données conjoncturelles sont contradictoires. La Banque Centrale a dû augmenter brutalement ses taux d’intérêt (de 0,5% à 10,5% !) pour défendre le réal brésilien et pour garder l’inflation sous contrôle. Le Brésil est une économie très dépendante des matières premières et donc de la croissance mondiale. La confiance des investisseurs est aujourd’hui altérée, alors qu’arrive la coupe du monde de football dans un contexte social tendu.

La Russie enfin est pénalisée par ce qui se passe en Ukraine. La fuite des capitaux, qui avait déjà commencé avant cette crise, s’est accentuée depuis. Si les choses s’aggravaient, le pays, déjà fragile, pourrait tomber dans une récession importante.

Le point sur ces quatre pays confirme l’hétérogénéité du monde émergent. Chacun a des problèmes spécifiques et des politiques différentes pour essayer de les régler. Globalement on peut toutefois noter que la détérioration s’est arrêtée. Les marchés financiers émergents ont connu une performance négative depuis trois ans, en raison notamment de la chute des devises locales par rapport à l’euro. Seule la bourse indienne progresse sur la période, mais cette hausse est compensée par la chute de la roupie. Nous pensons que cette sous performance est désormais exagérée. Le récent tapering américain a entraîné d’importantes sorties de capitaux de ces pays, augmentant le repli des bourses. On peut également noter que les profits des sociétés, notamment en Chine, ont été globalement décevants en comparaison de la croissance économique. Ce retard pourrait être comblé progressivement, à mesure notamment de la privatisation de nombreuses sociétés. Enfin les marchés émergents ont souffert, pour des raisons politiques et légales, d’une taille insuffisante par rapport à celle des pays développés, et d’un poids disproportionné de secteurs comme les télécoms et les utilities.

La correction brutale des marchés émergents, et l’amélioration prévisible de leurs économies, donnent des valorisations attractives. Seul un problème de momentum nous empêche aujourd’hui de retourner significativement sur cette zone dans notre gestion. Mais nous pensons que l’opportunité se présentera prochainement, car généralement il faut investir avant que la situation ne s’améliore réellement. Il faudra alors bien choisir les pays cibles et être audacieux !