Le projet allemand d’accueil des réfugiés et son impact économique

par Johannes Gareis, économiste chez Natixis

Même s'il est trop tôt pour prendre la pleine mesure de son impact, nous estimons que l'afflux important de réfugiés et de demandeurs d'asile constitue une véritable opportunité pour l'Allemagne. À court terme, il devrait soutenir la demande, tandis qu’à plus longue échéance, son accélération pourrait contribuer à garantir la croissance à long terme et la viabilité des finances publiques. Du côté des risques, l'arrivée de nombreux réfugiés et demandeurs d'asile pourrait entraîner le développement de l'économie parallèle et faire baisser les salaires, notamment des emplois faiblement rémunérés. Compte tenu de l’étroitesse du marché du travail allemand, nous estimons toutefois que ces risques sont modérés.

L'Allemagne attend près de 800 000 demandeurs d'asile cette année

Selon le ministre de l'Intérieur allemand, le nombre de demandeurs d'asile et de réfugiés en Allemagne devrait atteindre le niveau record de 800 000 en 2015. Ces derniers seraient ainsi quatre fois plus nombreux qu’en 2014, et deux fois plus qu’attendu en début d’année. Durant le seul mois d’août, l’Allemagne en a dénombré environ 160 000. Au cours des dernières décennies, le précédent record en matière d’afflux annuel remontait outre-Rhin à 1992 avec 438 190 réfugiés fuyant les conflits après l'éclatement de l'ancienne Yougoslavie.

Au-delà des réfugiés fuyant la guerre en Syrie et en Irak, le nombre de demandeurs d'asile en provenance de pays comme l'Albanie et la Serbie a augmenté. En fait, près de 40% de l’ensemble des réfugiés entrés depuis le début de 2015 en Allemagne sont originaires des Balkans. Cependant, leurs chances d’obtenir l’asile sont minces. Selon les statistiques de l'Office fédéral des migrations et des réfugiés, au premier semestre 2015, seulement 0,1% des demandes en provenance des Balkans ont abouti.

Pour contenir l’afflux, le gouvernement allemand a décidé d'instaurer des contrôles temporaires à ses frontières, et de fermer provisoirement celles avec l'Autriche. Cette décision bouscule les règles de l’espace Schengen, qui garantit la libre circulation des personnes au sein de l’UE. L'accord de Schengen prévoit toutefois un rétablissement temporaire des contrôles aux frontières. Si elles n’ont pu jusqu'ici stopper les entrées sur son territoire selon les médias, les mesures adoptées par l'Allemagne devraient avoir pour effet immédiat la formation de nouveaux goulets d'étranglement en aval du flux de réfugiés. Dans l’éventualité d’une généralisation du contrôle des frontières à l’ensemble de l'UE et en fonction de leurs modalités, elles pourraient également accélérer la fermeture des marchés domestiques et, plus globalement, peser sur les échanges et sur l'activité.

Les réfugiés représentent une opportunité pour l’économie allemande

À court et à long terme, l'afflux important de demandeurs d'asile aura des conséquences macroéconomiques. Dans l’immédiat, il devrait surtout soutenir la demande.

Conformément à la loi, chaque réfugié percevra la somme forfaitaire journalière de 11,79 EUR par jour, en plus de subventions pour son logement et son chauffage. En ajoutant les frais médicaux et hospitaliers liés au traitement des urgences sanitaires, le coût total d’un réfugié pourrait se situer entre 800 EUR et 1000 EUR par mois (soit entre 9 600 EUR et 12 000 EUR par an). Il conduirait de fait à une augmentation des dépenses publiques en 2015 comprise entre 7,7 MdEUR et 9,6 MdEUR, soit entre 0,2% et 0,3% du PIB nominal – en l’absence d’économies sur les autres postes budgétaires pour permettre le financement des frais d’installation et de réhabilitation des réfugiés.

Le gouvernement allemand semble en effet disposé à financer ces dépenses supplémentaires en laissant fondre l'excédent budgétaire attendu. Il a récemment annoncé 6 MdEUR de dépenses supplémentaires destinées à faire face à l'afflux de réfugiés en 2015. La moitié de cette enveloppe sera versée aux administrations fédérales et locales pour l’accueil des réfugiés. L’autre moitié sera notamment consacrée au financement des avantages octroyés aux nouveaux arrivants. Selon nous, le montant des aides de l’Etat devraient être au moins équivalent en 2016.

En outre, l’afflux de réfugiés va peser sur l’orientation du marché du travail allemand. Légalement, les demandeurs d'asile peuvent chercher un emploi au bout de trois mois, avec toutefois des restrictions. L’obtention du statut de réfugié confère un accès libre au marché du travail.

En 2014, le délai de traitement d'une demande d'asile était d’environ 7 mois, avec un taux moyen d'approbation proche de 32%. Au cours des sept premiers mois de 2015, ce dernier taux a légèrement augmenté à 37%. À partir de ces statistiques, un simple calcul suggère que près de 183 000 demandes d'asile pourraient être approuvées cette année. En retenant un taux de participation au marché du travail d'environ 55%, elles impliqueraient une progression du nombre de personnes employées de 100 000 unités (soit environ 0,2% de l'emploi total).

De toute évidence, la capacité des demandeurs d'asile à s’insérer immédiatement sur le marché du travail allemand reposera essentiellement sur leurs qualifications, leurs compétences linguistiques et leur âge. L’incertitude sur ce sujet est encore aujourd’hui totale. Nous ne savons d’ailleurs pas si les demandeurs d'asile s’installeront définitivement en Allemagne. Les expériences précédentes indiquent cependant que si de nombreux demandeurs d'asile présentent un niveau élevé d'éducation, la part de ceux qui ne disposent d’aucune qualification professionnelle est élevée. Les statistiques sur 2013 de l’Agence fédérale de l’emploi montrent que 13% de l’ensemble les migrants, arrivés en Allemagne en tant que demandeurs d'asile ou réfugiés, sont titulaires d'un diplôme universitaire, tandis qu’ils sont 58% à ne pas être allés au terme de leur formation professionnelle. Ces données suggèrent en outre que la grande majorité des demandeurs d'asile était en âge de travailler.

Globalement, compte tenu de l’étroitesse du marché du travail allemand, les perspectives d'emploi pour les demandeurs d’asile sont encourageantes, notamment pour ceux disposant d’un bon niveau de qualification et ayant acquis les premières notions d’allemand. Les indicateurs avancés sur le marché du travail témoignent d’une forte demande de main-d'œuvre. Selon l'indice BA-X de l’Agence fédérale de l’emploi, par exemple, les besoins en main d’œuvre des entreprises allemandes n’ont jamais été aussi importants qu’aujourd’hui. Le baromètre Ifo sur l'emploi confirme que la propension à recruter des entreprises se maintient à un niveau élevé. Ces tendances sont conformes à l’évolution des offres d'emploi des derniers mois, 574 000 postes restant officiellement à pourvoir. La progression marquée de ces derniers et la moindre baisse du chômage indiquent que les entreprises ont du mal à recruter et qu’elles font face à une pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Les données d’enquêtes le confirment. Selon la confédération du patronat allemand (BDA), les pénuries en main-d’œuvre qualifiée les plus importantes s’observeront dans les secteurs clés de l'ingénierie, le manufacturier et les soins de santé.

L'afflux important de réfugiés constitue une véritable opportunité pour l'Allemagne tant il pourrait contribuer à garantir la croissance à long terme et la viabilité des finances publiques. En fait, les évolutions démographiques allemandes comptent parmi les plus défavorables d’Europe. Le taux de natalité allemand a plongé à 1,4 au milieu des années 1970 sans remonter depuis. Dans le même temps, l'espérance de vie a continué d'augmenter. Selon les nouvelles projections démographiques de l'Office fédéral de la statistique allemand, la population allemande devrait rapidement chuter à 67,6 millions d’individus d’ici 2060 (se contractant de -16%). Le déclin de la population totale entraînera une baisse encore plus prononcée de la population active allemande (environ -25%). La conséquence sur l’économie est évidente : une moindre quantité de travail implique une croissance plus faible)1. Il va sans dire qu’une contraction de la population implique également une baisse du nombre des agents qui assurent le financement des régimes de retraite et de l'assurance maladie, qui consomment, et qui paient des impôts.

Du côté des risques, l'arrivée de nombreux réfugiés et demandeurs d'asile pourrait entraîner le développement de l'économie parallèle et faire baisser les salaires, notamment des emplois faiblement rémunérés. En fait, un certain nombre d’indicateurs montrent qu’en raison de la faiblesse du taux de chômage, l'économie sous-terraine allemande s’est contractée au cours des dernières décennies. En outre, les études économiques démontrent généralement que les effets de l'immigration sur les conditions de salaires et sur l'emploi domestiques sont limités2. Compte tenu de l’étroitesse du marché du travail allemand, nous jugeons globalement modérés les risques que l'arrivée de nombreux réfugiés n’entraîne le développement de l'économie parallèle et fasse baisser les salaires.

NOTES

  1. Cf. « L'Allemagne a un gros problème : elle s’atrophie », Special Report Natixis N° 30, Mai 2015.
  2. S. Longhi, P. Nijkamp et J. Poot, « Joint impact of immigration on wages and employment : review and meta-analysis », Journal of Geographical Systems, décembre 2010, Volume 12, Issue 4 et A. Glitz, « The Labor Market Impact of Immigration : A Quasi Experiment Exploiting Immigration Location Rules in Germany », Journal of Labour Economics, Vol. 30 (1), 2012.

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