par Steen Jakobsen, Chef économiste chez Saxo Bank
La Réserve fédérale ayant fait le choix radical de substituer sa politique de QE par un QT, et la rhétorique géopolitique entre États-Unis, Corée du Nord et Iran, allant crescendo, l’heure n’est guère propice à la béatitude. Malheureusement, le monde s'est laissé bercer par une fausse illusion de sécurité et ignore encore les dangers auxquels nous devons faire face.
« La Fed est entrain de commettre une énorme erreur politique fondée sur son« espoir » que l'inflation évoluera selon le modèle réfutable de la courbe de Phillips. »
« Cette tentative de sortie de la Fed est un sujet de préoccupation mais la vraie question concerne notre outil de prédiction économique préféré, c’est à dire, l’impulsion du crédit, qui est entrain de s’effondrer. »
« Nous sommes enclins à croire que ce n’est pas en retirant la fameuse coupe à punch ‘the punch bowl’ qu’on mettra fin à la fête. »
Oui, réfutable. Un article récent de la Philadelphia Fed livré par Dotsey, Fujita et Stark livre cette conclusion : «Nous constatons que les prévisions de nos modèles de courbes Phillips ont tendance à être systématiquement inférieures à celles de nos modèles de prévision basés sur une variable unique». Inférieures! Pourtant la Fed (et la Banque Centrale Européenne, la Banque d'Angleterre et la Banque du Japon) insistent pour l'utiliser et "espérer" qu’il fonctionne.
La Fed croit ou plutôt espère que le QT va s’opérer sans avoir d’impact majeur sur les marchés, ce qui ne manque pas d’ironie, puisque la majeure partie de la croissance mondiale (si ce n'est sa totalité) depuis la crise, repose sur le raisonnement contraire: L'augmentation de 3 000 milliards de dollars dudit bilan. C’est pourquoi maintenant nous sommes enclins à croire que le retrait du fameux du «punchbowl» ne va pas mettre fin à la fête, parce que ce retrait a déjà été «communiqué» au marché – ils l'ont même écrit sur leur page Facebook! Évidemment nous ne sommes pas du tout impressionnés, du moins en ce qui me concerne,
"Cette tentative de sortie de la Fed est un sujet de préoccupation mais la vraie question concerne notre outil de prédiction économique préféré, c’est à dire, l’impulsion du crédit, qui est en train de s’effondrer."
C’est la seconde chute nette du volume de crédit la plus importante enregistrée historiquement (…) et elle ne s’apparente en magnitude qu'au… ralentissement enregistré sur la période 2007-2009 (flèches rouges du graphique). Une impulsion du crédit produit généralement ses effets sur l'économie mondiale durant neuf à douze mois, le resserrement actuel devrait donc se traduire en données économiques réelles entre mars et juillet 2018.
Nous pensons donc que c'est de bien mauvais augure pour le dernier trimestre 2017 et ce jusqu’au deuxième trimestre de l'année 2018, où nous percevons le risque réel d'un ralentissement économique, qui sera vécu comme une récession, au moment même où les économistes et les politiciens du monde appellent à plus de transparence. Typiquement, on préfère encore refuser les lois de la nature et ne pas s’engager sur la voie la plus simple. L'amélioration actuelle des données est due à la grande expansion du crédit intervenue en 2015 et 2016 en Chine, aux États-Unis et en Europe, comme l’illustre clairement le graphique (flèche verte). De nouveau, notre passé récent nous incite à prolonger la «tendance» alors que la réalité indique tout autre chose.
Les leaders chinois se réuniront en octobre pour décider de ce que sera la croissance économique dans les cinq prochaines années, voire les 15 ans à venir. Je pense que le président Xi ne va pas seulement renouveler son mandat, il sera le premier leader chinois dans ce cas depuis le président Mao, mais il va aussi privilégier la qualité de la croissance. La Chine est non seulement entrain de devenir le plus grand acteur dans le domaine des Fusions-Acquisitions (en achetant dans tous les secteurs: environnement, matières premières, ressources naturelles, eau, énergies alternatives et autres), mais elle devient aussi et de plus en plus un leader technologique.
Nous assistons à l'émergence d’une nouvelle Chine plus écologique, concentrée sur la réduction de la pollution à travers un effort important d’électrification mais aussi en acceptant de moins croitre pour aller dans cette voie. C'est une mauvaise nouvelle pour l’impulsion du crédit, mais plus encore pour la croissance mondiale. La Chine participe directement pour environ un tiers de la croissance mondiale, mais plutôt pour près de 50% indirectement. La Chine a en quelque sorte porté le monde sur ses épaules lors de la dernière crise en 2007-2009. Maintenant son objectif c’est d’atteindre une prospérité durable pour la Chine elle-même et cela commence sur son territoire et non hors de ses frontières.
Cela nous conduit à adopter une position très défensive pour envisager le dernier trimestre car nous croyons que des attentes économiques trop élevées, alliées à une volatilité dangereusement faible, une inflation réduite et des erreurs majeures en matière de politique monétaire de la part des banques centrales, créeront une situation de risque important pour le modèle économique global tel que nous le connaissons.
Toutefois ce qui suscite encore plus d’inquiétude concernant ce dernier trimestre, c'est l'escalade de la rhétorique géopolitique entre États-Unis, Corée du Nord et Iran. On se croirait dans une cour d’école avec des accusations, des discours et des conférences de presse hors de tout contrôle. J’estime qu’il existe pratiquement 50% de risque qu’il se passe «quelque chose» en octobre" – rares sont les circonstances où les différentes structures au niveau économique, politique et géopolitique n’ont eu autant besoin d’être transformées. Le problème est que cette nécessité de transformation est gérée avec la plus grande suffisance qu’il m’ait été donné de voir dans ma carrière durant 30 ans.
Le monde semble raisonner comme Mario Andretti, l'ancien champion de F1 : "Si les choses vous semblent sous contrôle, c’est que vous n'allez pas assez vite". Alors, permettez-moi de compléter mon propos en adaptant cette formule au quatrième trimestre de 2018:
"Si vous pensez que les choses sont sous contrôle, c’est que vous n'avez rien compris".