par Ibra Wane, Stratégie et Recherche Économique chez Amundi
Depuis que le président de la BCE a déclaré en juillet 2012 que tout serait entrepris pour sauver la zone euro, le MSCI Euro a rebondi de plus de 40 % alors même que les bénéfices par actions ont continué de s’éroder de 3 %. Une telle hausse du MSCI Euro traduisait donc avant tout le reflux du risque systémique. Le potentiel en matière de revalorisation des ratios étant désormais considérablement entamé, le redémarrage des résultats va devenir crucial. Cette question des résultats revenant sur l’avant-scène, c’est l’occasion de faire le point sur la dernière saison de publications (T2 2014) et les perspectives pour l’an prochain, dans un contexte où, avec la baisse de l’euro, les effets change deviendront décisifs.
Concernant le second trimestre 2014, le pourcentage de bonnes surprises sur les résultats s’est établi à 54 % pour le MSCI Europe et 73 % pour le S&P 500. Au-delà de la différence entre les deux régions, qui est traditionnelle, ces chiffres sont en ligne avec la moyenne des douze trimestres précédents, de part et d’autre de l’Atlantique (cf. graphique 1). En revanche, ce qui est véritablement frappant, c’est la faiblesse de la croissance des chiffres d’affaires du MSCI Europe (-1 % contre +4 % pour le S&P 500), avec notamment quatre secteurs – les Biens de Consommation, la Technologie, les Télécom et les Services collectifs – affichant des reculs compris entre -7 et -14 % (cf. graphique 2)! Au-delà des effets de base, de la différence de conjoncture entre l’Europe et les États-Unis ou des conditions climatiques qui ont pu peser sur les Services collectifs ou certains Biens de consommation, de tels reculs ne sont pas courants. Il est à craindre qu’ils ne soient une nouvelle illustration des pressions déflationistes qui sévissent en Europe.
Avec des ventes aussi faibles, la résilience des résultats des sociétés européennes, avec +7 % au T2 2014, pourrait apparaître comme une divine surprise. En réalité, au-delà des effets de base, ce chiffre n’est pas très significatif car une large part des sociétés du MSCI Europe reporte uniquement ses ventes mais pas ses profits trimestriels. L’évolution des profits semestriels, en baisse de 3 % au S1 2014, est donc plus réaliste. Quoi qu’il en soit, compte tenu du contexte économique en Europe et d’un taux de change encore adverse, ce -3 % suggère une amorce de retournement après les -11 % du S1 2013 et les -16 % du S1 2012.
Ce retournement des résultats va-t-il se poursuivre l’an prochain? La réponse est massivement oui à en croire le consensus IBES des analystes Sell Side qui table sur +17 % de hausse des BPA en 2015. Bien que depuis le début de la crise le consensus ait systématiquement fait preuve d’optimisme, nos prévisions 2015, de l’ordre de +15 %, abondent pour la première fois dans le même sens. De notre point de vue cependant, à défaut d’une nette amélioration de l’activité, ce rebond des résultats serait surtout redevable à un effet change très favorable. Sur le plan de l’activité, la conjoncture ne devrait en effet pas être d’un très grand secours. La croissance réelle du PIB Monde devrait demeurer quasi étale à +3,4 % en 2015e contre +3,1 % en 2014e, dont respectivement +1,7 % contre +1,6 % pour l’Europe et +1,0 % contre +0,8 % pour la zone euro.
En revanche, si comme nous le prévoyons l’écart de politique monétaire entre la BCE et la Fed continue de se creuser (cf. Les déterminants de la parité euro dollar dans le Cross Asset de décembre 2013), l’euro devrait poursuivre sa baisse et atteindre le seuil des 1,20 contre dollar d’ici 12 mois. Par ailleurs, ce thème de la baisse de l’euro devrait être rapidement agissant car le taux de change effectif réel devrait s’affaiblir dès le 3e trimestre 2014, alors qu’il n’avait cessé de progresser depuis six trimestres (cf. graphique 3). En d’autres termes, une fois l’effet des couvertures de change dissipé d’ici trois à six mois, l’euro faible devrait commencer à flatter les résultats des entreprises de la zone euro alors qu’il les avait pénalisés jusque-là.
Si l’on adhère à cette idée d’une baisse de l’euro, reste à en mesurer l’impact sur les résultats. Cette question simple en apparence, est en réalité très complexe car elle renvoie à de nombreuses sous-questions comme la dénomination des dettes au bilan, les couvertures de change, les effets de transaction (production domestique) ou simplement de conversion (production à l’étranger) et les gains de compétitivité éventuellement rétrocédés dans un but commercial.
Dans la pratique, on recourt à deux grandes familles de méthodes pour appréhender l’impact des changes sur les résultats. La première approche consiste à régresser une série de croissance des bénéfices depuis une vingtaine d’années avec l’évolution du taux de change effectif. La seconde, comme pour une entreprise, est de soumettre le compte de résultats consolidé du MSCI Euro à différentes hypothèses. Si la première méthode est couramment utilisée et facile à mettre en œuvre, ses conclusions nous semblent trop fragiles pour être opérationnelles. En effet, si cette méthode conclut généralement à une hausse de l’ordre de 5 % des BPA pour une baisse de 10 % du taux de change, le résultat peut varier du simple au triple lorsque l’on isole une année particulière comme 2003.
Notre préférence va donc à la seconde méthode dont le point de départ est l’exposition brute (36 %) du MSCI Euro aux ventes extra-européennes. À partir de là, on considère que, compte tenu de la production réalisée à l’étranger et des achats libellés en devises étrangères, l’exposition nette ne représente que la moitié du chiffre précédent (18 %). En supposant une variation de 10 % du change effectif sur ces 18 % d’exposition nette, l’impact sur les ventes sera, toutes choses égales par ailleurs, de 1,8 % (10 % x 18 %) dont la moitié pourrait être rétrocédée afin de préserver ou accroître ses parts de marché. Le solde s’établit donc à 0,90 % avant impôts, puis 0,63 % après pression fiscale de 30 %. Ce chiffre de 0,63 % est enfin à rapporter à une marge nette de départ du MSCI Euro de 5,0 %. Sous l’ensemble des hypothèses simplificatrices précitées, une baisse de 10 % du change entraînerait, hors effet conversion additionnel, une hausse des résultats de l’ordre de +12,5 % (0,63 %/5,0 %). Comme dans nos modèles, nous ne retenons qu’une baisse de 7,8 % de l’effet change, l’impact sur les EPS serait alors de +10 %.
Bien qu’il s’agisse plus d’estimations que de véritables prévisions, à l’expérience cette méthode didactique nous semble plus robuste qu’une simple régression, tout en laissant chacun libre de tester ses propres hypothèses. Il s’agit par ailleurs d’une moyenne et d’un secteur à l’autre, ou d’une entreprise à l’autre au sein d’un même secteur, cette estimation variera considérablement.