Par Yves Maillot, Directeur actions européennes chez Natixis AM
La victoire des partis pro-européens aux élections législatives du 15 mars aux Pays-Bas constitue un élément de stabilisation et même d’amélioration de la perception du risque ‘Europe’ dans l’esprit des investisseurs internationaux, en attendant les élections en France. A cet égard, le positionnement actuel d’Emmanuel Macron dans les sondages pousse même un certain nombre d’investisseurs internationaux à prendre les devants et à commencer à renforcer leurs positions sur l’Europe. Le pari est tentant mais risqué. Surtout si Wall Street s’en mêle…
Scenario de rupture : quels impacts ?
Les sondages suggèrent toujours ces derniers jours que le camp des eurosceptiques essentiellement rassemblés sous la bannière du Front National de la candidate Marine Le Pen sera représenté au second tour de l’élection présidentielle mais que les chances de son rival (qu’il soit Emmanuel Macron ou François Fillon) seront nettement plus élevées dans la course finale (quoique les intentions de vote de ces deux candidats soient beaucoup plus fragiles).
Dans l’hypothèse de l’élection de Marine Le Pen, un double impact de marché devrait immédiatement voir le jour :
- un écartement significatif des spreads de taux OAT/Bund (écartement des rendements obligataires France-Allemagne) doublé d’une forte remontée de la volatilité des indices actions. A cet égard, il est important de constater que le marché actions et le marché obligataire ont récemment pris des chemins divergents car tandis que les actions bénéficiaient d’une baisse de la prime de risque sous l’impulsion de flux acheteurs en provenance de l’étranger, le marché obligataire, atone, reste campé sur un niveau de spread France-Allemagne supérieur à celui qui prévalait il y a quelques mois (65bp/70bp contre 30bp/40bp) et surtout
- une dépréciation élevée de l’euro contre les principales devises (EURO – US Dollar au moins à parité par exemple). Dans ce scénario, il faudra pendant un certain temps éviter les actions françaises, surtout si le marché poursuit son mouvement de rallye pré-électoral entamé ces récents derniers jours.
D’un point de vue sectoriel, cette éventualité rendrait très vulnérables les sociétés sensibles à l’évolution des taux d’intérêt. Ainsi, les banques, l’immobilier, les activités de concessions, et plus généralement les sociétés endettées seraient très affectées. De plus, les sociétés très sensibles à l’activité domestique et aux importations seraient également rendues fragiles.
A contrario, les sociétés exportatrices ou peu exposées à la France (luxe et spiritueux en particulier), la défense, le secteur pétrolier et la santé serviront de ‘refuges’ au sein du marché actions.
Et si le scenario rose se confirme ?
Il y a bien évidemment une sortie haussière du marché après cette échéance électorale (les élections législatives des 11 et 18 juin seront aussi une étape majeure mais il est encore trop hasardeux d’en parler tant cet épisode dépendra fortement du résultat de la Présidentielle). Ce scénario est perçu (en particulier de l’extérieur) comme probable en cas d’élection d’Emmanuel Macron ou de François Fillon et se conjugue avec des réformes substantielles (marché du travail plus flexible, fiscalité mieux orientée, réduction des dépenses de l’Etat, réforme des relations avec les partenaires sociaux, réforme des retraites, politiques économiques pro-business et pro-européennes). Compte tenu d’une évolution démographique favorable en France, en particulier comparée à celles des principaux grands pays de l’OCDE, des réformes structurelles génératrices d’une meilleure productivité pourraient libérer des perspectives de croissance plus favorables pour le pays. Il y aurait bien sûr au préalable la nécessité d’obtenir un certain consensus national, une majorité politique stable et un gouvernement qui confirme réellement cette fois le vœu d’entamer ces réformes tant promises.
Ce scénario a peut-être commencé d’être anticipé par les marchés actions tant la capacité de résistance parait bonne en ce début de mois d’avril. Mais attention aux espoirs déçus. Dans cette hypothèse, les secteurs et valeurs du secteur financier (banques en tête) seraient les grands bénéficiaires, accompagnés des sociétés endettées, sensibles aux taux. D’une manière plus générale, les titres à fort béta (réactivité moyenne supérieure à celle du marché) seraient sur performants. Ainsi, valeurs cycliques et de ‘moindre qualité’ seront les gagnants. D’un point de vue géographique, les actions des marchés périphériques (Espagne, Portugal mais surtout Italie), dont les profits absolus sont encore très en retrait par rapport au précédent niveau de haut de cycle (2007/2008) seront les plus performantes.
Vers une correction des marchés américains ?
Entre anticipation de scénarii favorables aux marchés actions, concrétisation post-électorale, risque de déceptions ou scénario de rupture, le proche futur sur les actions européennes pourrait se matérialiser par un parcours heurté, voire très volatil. Comme nous l’avons signalé néanmoins, et malgré ces incertitudes, les raisons d’espérer sont nombreuses. L’amélioration de la conjoncture au sein de la zone Euro, y compris en France, les perspectives de croissance des profits des sociétés cotées (un peu plus crédibles pour cette année 2017 alors que ces mêmes profits se situent encore en moyenne à près de 25% en- dessous de leurs niveaux précédents de haut de cycle) dégagent doucement de notre horizon un voile d’épais nuages qui stagnent sur notre ciel économique et financier depuis près de dix ans maintenant.
En amont, une condition nécessaire mais pas suffisante doit cependant aussi nous prémunir d’un scénario adverse pour les mois prochains : une stabilité (à minima) de la météo des marchés financiers outre Atlantique. En effet, et contre toute attente, l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche a servi de prétexte à une nouvelle envolée de la valorisation des actions américaines dans un mouvement de confiance (‘reflation trade’) pas encore relayé par les faits. L’évaluation des sociétés de l’indice S&P500 se situent aujourd’hui à près de 3,2 fois la ‘book value’ (cours/valeur comptable) et 18 fois les bénéfices attendus sur l’année en cours (plus de 27 fois les profits ‘dé-cyclicalisés’), des niveaux qui frôlent ou dépassent des références historiques constatées dans des phases pré-éclatement de bulles (1987,1999-2000 par exemple). Ces niveaux surpassent allègrement les valorisations des actions européennes (où la valeur comptable est payée moitié moins et où le PE prospectif se situe à 15 fois les bénéfices). Certes la croissance des bénéfices des sociétés américaines est historiquement supérieure à celle de leurs homologues européennes, mais actuellement la dynamique des révisions se trouve inversée en faveur de l’Europe. Les intervenants sur la Bourse américaine espèrent toujours beaucoup de l’impact mécanique des plans de rachats d’actions (par ailleurs destructeur de valeur à long terme) et misent surtout sur l’effet des baisses d’impôt promises par le candidat Trump lors de sa campagne électorale. Dans ce contexte, et après une très longue période de politique monétaire accommodante, la Réserve Fédérale peut sembler prête aujourd’hui à accélérer ses hausses de taux afin de limiter la complaisance qui règne sur les marchés. Laquelle banque centrale est dirigée pour moins d’un an maintenant par une Janet Yellen surement tentée par une accélération de la normalisation de sa politique. Il y a donc bien la menace d’une combinaison d’un possible retour à des valorisations plus réalistes des actifs financiers et d’une banque centrale plus menaçante. Ce sont donc les ingrédients d’une correction des marchés américains qui se profilent dans cet environnement.
Nous avons évoqué dans cette note des éléments propres à la dimension politique en Europe en 2017. Isolant ces éléments d’analyse et intégrant simultanément les facteurs d’opportunités de l’environnement européen et les facteurs de risque des marchés américains, une analyse plus globale nous renforce donc dans l’idée d’un pari relatif favorable à l’Europe contre les Etats-Unis. En effet, même si les marchés européens baissent dans le sillage de Wall Street, la correction devrait vraisemblablement être plus modérée, ce qui justifie une position acheteuse sur les actions européennes conjuguée à une position vendeuse sur les actions américaines.
En espérant que le vieil adage « quand Wall Street éternue, le reste du monde s’enrhume » ne se vérifie pas cette fois.