par Frédéric Buzaré, responsable de la Gestion Actions chez Dexia AM
Les marchés des actions ont enregistré des performances remarquables, soutenues par le rebond des marchés et le revirement du sentiment des investisseurs, passé en l’espace d’un mois de la déprime à l’euphorie. Pâques est parfois un bon moment pour constater une rédemption inespérée après une période de dépression excessive.
Dans une certaine mesure, ce nouveau « bear market rally » semble familier à plusieurs égards. L’ampleur du rebond des actions est similaire à ce que l’on a pu observer lors de certains « bear market rallies » au cours des périodes de récession précédentes. Le rebond actuel est soutenu à la fois par les valeurs défensives et les valeurs à bêta. Toutefois, l’amélioration de certains éléments fondamentaux, de même que de la fameuse dérivée seconde, pourrait faire la différence dans le cas présent. Un point d’inflexion aurait-il été atteint ?
Les marchés ont désormais pleinement embrassé le thème de la dérivée seconde depuis quelques semaines et l’on observe un optimisme légitime au sujet de certaines interventions récentes des autorités publiques. L’unité affichée par les pays du G20, les ressources financières supplémentaires allouées au FMI (de 250 milliards de dollars à 1000 milliards de dollars), l’assouplissement des règles de valorisation en fonction de la valeur constatée sur le marché et le rebond de l’indice PMI manufacturier en Chine au-delà de 50 points alimentent les espoirs reflationnistes ainsi que le sentiment pro-cyclique. Il semble, d’une manière générale, que le premier trimestre 2009 puisse marquer une stabilisation de l’économie réelle. Le contexte économique apparaît « moins mauvais » qu’il y a trois mois. L’indice PMI mondial s’est ainsi redressé, de 37,4 en février à 40,1 en mars. Bien qu’elle ne soit plus en chute libre, l’économie réelle reste toutefois dans la configuration de récession dans laquelle elle se trouvait avant la chute de Lehman Brothers. En effet, que les indicateurs économiques ne se détériorent plus à un rythme annualisé de 50-70 % est une chose, mais que l’économie soit en phase de reprise en est une autre. Nous n’en sommes pas encore là.
La situation actuelle observée sur les marchés s’apparente selon nous à une période de normalisation ou de transition vers une reprise après une phase de contraction, certes violente, mais intenable. Le scénario de la Grande Dépression ne nous a jamais réellement convaincu ; nous nous sommes plutôt intéressés à la thématique de la dérivée seconde et (principalement) au profil de la reprise.
Depuis le début de l’année, notre scénario central anticipait un marché stable et robuste en 2009. Déterminer la frontière basse de cette vaste zone de transactions constituait la seule inconnue.
Nous sommes aujourd’hui fermement convaincus que cette zone a été clairement définie. La réponse des autorités publiques a contribué à freiner la chute.
Il est désormais courant de guetter les signes avant-coureurs de reprise, ce qui peut s’avérer trompeur. Même si nous sommes conscients des signes d’amélioration des conditions économiques, nous sommes loin d’être convaincus qu’ils préfigurent un nouveau cycle économique durable. Il s’agit à nos yeux d’un phénomène temporaire car il est peu probable que 16 mois soient suffisants pour corriger deux décennies de croissance séculaire du crédit (à un rythme particulièrement soutenu entre 2002 et 2007). L’émergence de nouveaux moteurs de croissance sera nécessaire car les mesures de relance budgétaire à elles seules ne suffiront pas à ramener l’économie sur le chemin d’une croissance durable.
L’efficacité des mesures de relance budgétaire et d’assouplissement quantitatif demeure l’élément essentiel du débat et celui qui déterminera l’évolution de la situation au cours du second semestre de l’année. À nos yeux, leur efficacité restera insuffisante tant que davantage de progrès n’auront pas été accomplis dans le redémarrage des marchés de la titrisation et dans la remise en état du système financier. Ces progrès prendront du temps.
La sévère récession que nous connaissons actuellement ne va pas donner lieu à une reprise en V, à l’instar de ce que l’on a pu parfois observer par le passé. Souvent en effet, les périodes de grave récession se concluent par une reprise en V car elles mettent un frein aux dépenses, provoquant une accumulation de la demande refoulée. Cette fois, la situation du marché du crédit pourrait contrarier la demande refoulée. Le risque d’une récession en double creux en 2010 est bien réel si la demande privée ne parvient pas à se redresser une fois que l’impact des mesures de relance publique aura disparu.
Nous avons signalé le mois dernier que le paroxysme de la « Grande Récession » était en passe d’être atteint et qu’une certaine forme de stabilisation de l’économie semblait envisageable au second semestre de l’année. La relance des échanges devrait ainsi continuer de prédominer sur les marchés financiers internationaux jusqu’à la fin de l’année. La transition cyclique vers la reprise sera un processus fragile et loin d’être un voyage de tout repos. Bien que ce processus comporte des risques et des incertitudes, au moins a-t-il le mérite d’ouvrir de nouvelles perspectives pour les investisseurs rigoureux.
À l’issue d’une période prolongée de pessimisme excessif, nous sommes fermement convaincus qu’une normalisation était imminente. Au cours de la saison de publication des résultats du premier trimestre 2009, plusieurs entreprises ont en effet fait état d’une normalisation des conditions en mars.
La fin du monde n’est pas pour tout de suite mais il ne s’agit nullement de l’amorce d’un rebond durable des marchés, qui requiert l’émergence d’un moteur de croissance autoalimenté ainsi qu’une hausse des profits des entreprises. Il y a deux mois, nombreux étaient ceux qui pensaient que la chute libre des marchés ouvrait des possibilités sans contrepartie. Il y a deux mois aussi, les prévisions relatives à l’évolution du S&P 500 étaient unanimes. Lorsque le sentiment des opérateurs de marché est résolument haussier ou baissier, la situation s’inverse généralement par la suite et le processus peut durer un certain temps et être extrêmement violent. C’est la raison pour laquelle un mouvement brusque était prévisible. Le vieil adage boursier « vendez en mai et quittez le marché » se vérifie depuis plusieurs années. La situation serait-elle différente aujourd’hui, alors que le profil de risque/rendement est plus équilibré, que l’argent facile a été empoché et que certaines questions essentielles restent encore sans réponse ?
Une transition cyclique vers une reprise ?
Plus que jamais, la question essentielle consiste à savoir si la « Grande Récession » est en passe de s’interrompre ou si le ralentissement de l’économie s’est aggravé au point d’engendrer une spirale baissière ? Nous sommes enclins à penser que les probabilités d’une contraction moins rapide de l’économie sont aujourd’hui plus élevées que celles d’une accélération. Les signes d’une stabilisation de l’économie ne manquent pas.
Tous ces signes ne prouvent pas, bien évidemment, qu’un point d’inflexion ait été atteint ; il pourrait bien s’agir d’un faux départ. Nous avons toutefois le sentiment qu’après la « Grande Récession » de 2008, l’économie mondiale est aujourd’hui dans une phase de transition entre une spirale baissière auto-alimentée et une période de ralentissement plus modéré.
Il ne faut pas confondre amélioration de cette dérivée seconde et un redressement économique. Il est nécessaire de s’interroger sur la pérennité de cette embellie dans les prochaines semaines. Au cours des périodes de récession, le comportement des actions est dicté par les revirements du marché et les ‘bear market rallies’ ont aussi tendance à s’interrompre lorsque les bonnes nouvelles économiques sont au plus haut.
Depuis l’après-guerre, il apparaît que le redressement des marchés des actions s’amorce généralement avant même que l’on observe un fléchissement de la contraction de l’activité. Et rien ne permet d’affirmer qu’il en sera autrement cette fois-ci, même si le cycle actuel n’est pas semblable aux précédents. Seul le profil de la reprise sera différent, en raison de l’ampleur du processus de désendettement des ménages (pas de différence moyenne).
Quel profil la reprise pourrait-elle présenter ?
Cette question constitue l’une des principales incertitudes entourant ce cycle économique inhabituel ; c’est la raison pour laquelle il nous a semblé intéressant d’analyser l’évolution des résultats sur une longue période à l’issue des phases de récession.
Historiquement, il apparaît que plus une récession est sévère, plus la reprise est forte. Le schéma est différent aujourd’hui.
Par-delà le cycle du crédit, qui confèrera à la reprise un profil différent, il existe aussi une question liée à la fiscalité, notamment dans certains pays anglo-saxons. Les Démocrates pourraient même être à l’origine de la plus forte augmentation d’impôts jamais réalisée ; cela aurait pour effet de brider la demande refoulée. Les mesures mises en œuvre afin de venir à la rescousse de l’économie mondiale portent en elles les germes de nouvelles distorsions qu’il faudra corriger ultérieurement. Les plans de relance ont mobilisé des sommes colossales et seront inévitablement suivis par des restrictions draconiennes. Les déficits budgétaires des pays du G7 ne sont pas supportables au niveau actuel et devront être endigués. Les impôts devront être augmentés et les dépenses réduites à un certain moment. La plupart des observateurs s’accordent à penser que cela ne devrait pas se produire avant la fin 2010. Mais le risque se présentera plus tôt qu’on ne le pense.
La question de la reconstitution des stocks aura également une incidence sur le profil de la reprise. Il ne faut s’attendre à aucune forme de reconstitution des stocks en matière par exemple de biens d’équipement ou de semi-conducteurs.
Les excédents de capacité vont contrarier le modèle classique d’une reprise amorcée par un mouvement de reconstitution des stocks. Les périodes de forte contraction de la production impliquent souvent un processus de liquidation des stocks qui se traduit par une phase d’accumulation, et, partant, de brusque redressement de la production et au final de l’emploi. Au cours du cycle actuel, cet enchaînement aura plus de mal à se mettre en place dans la mesure où, aux États-Unis, la production n’a pas été réduite suffisamment pour s’adapter au niveau réel de la demande, tandis que le resserrement du crédit devrait retarder le redressement des ventes (demande comprimée) ainsi que de l’emploi. L’écart de production n’a jamais été aussi important. Le taux d’épargne est durablement orienté à la hausse (près de 5 % fin avril) aux États-Unis après plusieurs années d’excédents de dépenses et il devra continuer d’augmenter jusqu’à 8 % au moins, limitant de ce fait la possibilité d’un déblocage d’une demande comprimée substantielle.
L’atonie de la demande privée a tendance à persister durant les phases de reprise consécutives à des périodes de récession déclenchées par une crise financière. Ainsi que l’a récemment démontré le FMI, la consommation privée augmente généralement à un rythme moins rapide que lors des autres types de reprise économique. Alors qu’il y a 10 ans, le comportement du consommateur était déterminé par sa situation patrimoniale, les décisions d’achat à l’avenir seront davantage dictées par le niveau de ses revenus. À cet égard, ce sont les gains de productivité qui vont conditionner l’orientation de la consommation privée.
Des perspectives à moyen terme toujours compromises
À biens des égards, la crise financière majeure et la récession que nous avons connues en 2008 devraient constituer un tournant qui va donner lieu à des bouleversements majeurs de l’économie mondiale et du système financier. Le capitalisme de libre marché, la concurrence, la dérégulation et la mondialisation ont été incontestablement discrédités. L’intervention accrue des gouvernements, le retour à davantage de régulation, à moins de liberté sur les marchés et le recul de la mondialisation ou « dé-globalisation » pourraient modeler le nouveau contexte économique, ce qui n’est pas nécessairement une bonne nouvelle pour les actionnaires dans la mesure où cela va créer des pressions structurelles sur les profits.
En pourcentage du PIB, les bénéfices pourraient amorcer une décrue structurelle, sous l’effet de l’opposition des grandes forces économiques et sociales au capitalisme de libre marché, après une décennie durant laquelle ils avaient atteint un niveau inégalé jusqu’au récent ralentissement économique.
Nous avons abordé à plusieurs reprises la question de la bulle des profits, dont l’éclatement n’est toujours pas achevé. Il est fréquent aujourd’hui d’utiliser un PER de Shiller mais il convient de ne pas prendre cette méthode au pied de la lettre dans la mesure où cette gigantesque bulle s’est formée au cours des dix dernières années. Il nous faut désormais redéfinir une norme de référence ainsi qu’un taux de croissance durable, en se fondant sur la moyenne de long terme et non sur celle des dix dernières années.
Nous sommes préoccupés par le fait qu’injecter de l’argent dans l’économie réelle serait le seul moyen de créer une demande refoulée. Nous sommes également inquiets de constater que les hausses d’impôts se banalisent tellement.
Le Royaume-Uni a été le premier pays à s’engager dans cette voie ; le gouvernement envisage ainsi de porter de 40 % à 50 % le taux d’imposition de la tranche supérieure. Peut-être va-t-on assister à un « remake » des années 70 ; à la fin de cette décennie, le chancelier de l’Échiquier travailliste avait alors promis de « taxer les riches jusqu’à la dernière goutte » avec des taux d’imposition aussi élevés que 83 % sur les revenus du travail et de 98 % sur les revenus du capital. Le Royaume-Uni s’était au final retrouvé dans une position inconfortable d’avoir à solliciter un plan de sauvetage auprès du FMI.
À partir d’un certain niveau, les hausses d’impôts deviennent contre-productives ; elles incitent les consommateurs à dépenser moins et découragent l’investissement des entreprises.
Restaurer le système financier : suite
Il s’agit de la saga de l’un des plus puissants catalyseurs des marchés des actions. La question de la structure de défaisance (« bad bank ») est de nouveau d’actualité après avoir été décriée en début d’année.
L’Irlande a été le premier pays à mettre en place une structure de défaisance. La solution irlandaise comprend une agence contrôlée par les autorités chargée de racheter aux banques les actifs immobiliers et les prêts accordés aux promoteurs en contrepartie d’obligations d’État. Le ministre irlandais des finances a indiqué que l’agence reprendrait les prêts des banques à concurrence de 80-90 milliards d’euros (45 % du PIB environ), bien que leur valeur réelle soit bien inférieure.
Aux États-Unis, au vu des fonds résiduels du plan TARP (près de 100 milliards de dollars restent mobilisables sur les sommes initialement prévues) et de la dernière estimation du FMI (qui prévoit que le système bancaire américain aurait besoin de 275 à 500 milliards de dollars), le Trésor devra faire preuve d’imagination car il est peu probable que le Congrès vote en faveur d’un deuxième plan.
Au-delà des chiffres mis en évidence par les « stress test », l’autre question majeure consiste à savoir comment les résultats vont permettre de distinguer les banques saines de celles qui le sont moins.
D’un côté, il est à craindre que les établissements considérés comme fragiles perdront la confiance des investisseurs et des contreparties ; de l’autre, si les autorités de réglementation annonçaient plus simplement que toutes les banques sont saines, cela décrédibiliserait l’exercice même.
Le secteur bancaire ne doit pas se laisser complètement dépasser par la récente vague d’optimisme.
La situation des CDS est loin de s’améliorer.
Les investisseurs sont par ailleurs toujours réticents à s’impliquer à nouveau et à injecter des capitaux dans le secteur bancaire qui, en grande majorité, dépend toujours des garanties gouvernementales.
Rotation sectorielle : suite
Lorsque les indicateurs avancés évoluent dans un sens ou dans l’autre, cela se traduit généralement par une brusque rotation sectorielle. Comme il fallait s’y attendre, les valeurs cycliques ont tendance à être sensiblement corrélées aux indicateurs économiques, alors que les valeurs défensives présentent, elles, une forte corrélation négative. Même s’il est légitime de se fier aux corrélations historiques, cet exercice peut se révéler hasardeux en cas de cycles économiques inhabituels. Il est dangereux de considérer que le cycle actuel est « normal » compte tenu de la coïncidence d’un phénomène de resserrement du crédit et d’un processus de désendettement des bilans qui rendent les mutations du crédit moins efficaces et moins fiables et pourraient dénaturer de nombreuses relations traditionnelles au sein du marché. Là aussi, le Japon offre un exemple parlant.
Durant la décennie perdue des années 90, le Japon a connu une série de mini-cycles économiques et de périodes de rebond spectaculaires sans qu’aucune véritable tendance claire ne se dessine en raison de l’impact du processus de désendettement qui s’est opposé à toute reprise économique durable.
À moyen terme, un enchaînement de mini-cycles robustes pourrait être au menu plutôt que l’amorce d’une forme de reprise régulière et durable, à l’instar de celles constatées à l’issue des précédentes phases de repli des marchés.
Un retournement décisif des indicateurs économiques avancés contribuerait à conforter la surperformance des valeurs cycliques. Jusqu’à présent, malgré les signes avant-coureurs de stabilisation des composantes relatives aux anticipations des indices ISM aux États-Unis et Ifo en Allemagne, les améliorations sont mineures. C’est la raison pour laquelle, pour l’heure, il n’est pas possible d’avoir une vision nette à moyen terme à ce sujet.