par Juliette Cohen et Bastien Drut, Stratégistes chez CPR AM
D’après l’Agence Spatiale Européenne, jamais un mois de juin n’avait été aussi chaud à la surface de la Terre qu’en 2019. Il est désormais manifeste que les désordres climatiques se sont intensifiés ces dernières années. Cela a effectivement été clair aux Etats-Unis lors des derniers mois. Nous reviendrons dans ce texte sur les catastrophes climatiques qu’a connues la première économie mondiale et nous nous focaliserons notamment sur leurs coûts. Enfin, nous verrons que la multiplication des désordres climatiques est en train de provoquer une prise de conscience générale.
Les désordres climatiques sont de plus en plus fréquents aux Etats-Unis
Le réchauffement climatique est notable aux Etats-Unis. En effet, la température a nettement grimpé sur les deux dernières décennies : les quatre années les plus chaudes du pays depuis 1895 [1] ont eu lieu depuis 2012. Les records tombent les uns après les autres. Par exemple, Anchorage (Alaska) a connu début juillet son jour le plus chaud de tous les temps. Les données du National Oceanic and Atmospheric Administration montrent aussi que les vagues de chaleur durent de plus en plus longtemps.
Un autre type de désordre climatique a été observé ces derniers mois puisque les précipitations sur les 12 mois allant de juillet 2018 à juin 2019 ont battu – très largement – leur record de la période 1895-2019. En conséquence, un nombre inhabituel d’inondations se sont produites en 2019. En 2019, le débordement du Mississipi a touché 8 Etats et les inondations ont duré plus de trois mois dans certaines localités. C’est l’épisode d’inondation du Mississipi le plus long depuis la Grande inondation de 1927.
Globalement, les périodes de conditions climatiques extrêmes sont devenues beaucoup plus fréquentes aux Etats-Unis ces dernières années. L’une des façons de le mesurer est l’indice agrégé de conditions climatiques extrêmes calculé par la National Oceanic and Atmospheric Administration, dont l’historique commence en 1910. Il prend en compte les précipitations, les températures minimales et maximales, un indicateur de sécheresse et la puissance des tempêtes et des ouragans. Cet indicateur a très fortement augmenté sur les dix dernières années par rapport au siècle qui a précédé.
Tous les Etats ne sont pas affectés de la même façon par le dérèglement climatique puisque les Etats du sud et de l’ouest subissent des épisodes de sécheresse plus fréquents et durables et par conséquence des feux de forêts de grande ampleur tandis que les Etats du nord-est connaissent des vagues de températures très basses en hiver et des précipitations plus abondantes générant des inondations. Le polar vortex qui a affecté les Etats-Unis à l’hiver 2019 et les fortes précipitations qui ont touché les Etats du nord et du Midwest au printemps en sont de parfaites illustrations.
Le Texas est l’un des Etats les plus menacés par les événements climatiques extrêmes. En effet, c’est l’Etat américain dans lequel il y a eu le plus de désastres climatiques ayant occasionné plus d’un milliard de dollars de dégâts depuis 1980, l’année à partir de laquelle le National Oceanic and Atmospheric Administration a commencé à produire ces statistiques. De plus, la particularité du Texas est qu’il est touché par tous les types de désastre climatique (sécheresse, feux de forêt, cyclones, inondations, grand froid, tempêtes de neige) alors que de nombreux Etats ne sont touchés que par quelques types de désastre.
L’une des catastrophes climatiques les plus meurtrières ayant touché le Texas a été l’ouragan Harvey en août 2017, qui a fait 89 morts et près de 129 Mds $ de dégâts. Dans les jours qui ont suivi l’ouragan, les pluies ont été très fortes (plus de 1,2 mètre en cinq jours) et ont occasionné des inondations. Environ 300 000 bâtiments ont été endommagés et un demi-million de voitures ont été prises dans les inondations. Les effets sur l’activité et sur l’emploi semblent avoir été transitoires mais ils ont été permanents pour plusieurs autres points : déplacement de population, augmentation des polices d’assurance, reconstruction des bâtiments toujours en cours. L’ouragan a particulièrement affecté les ménages les plus pauvres, dont les économies ont été anéanties et qui ont connu encore plus de difficultés à se loger.
Le coût du changement climatique sur l’économie américaine est en forte hausse
Bien que les Etats-Unis soient sortis de l’accord de Paris en 2017 et qu’ils aient abandonné l’objectif de réduction des émissions de CO2 qui lui était associé, les données sur le changement climatique, les scénarios prospectifs ainsi que le coût du changement climatique font l’objet de nombreuses statistiques et publications. A titre d’exemple, des évaluations nationales sur le climat (National Climate Assessment) sont produites tous les quatre ans à la demande du Congrès. Ces études très complètes regroupent les travaux d’une centaine de scientifiques appartenant à 13 agences fédérales. Ils se penchent sur les impacts et les risques que le changement climatique fait peser sur les États-Unis. Le dernier rapport paru en novembre 2018 (Fourth National Climate Assessment) fournit une évaluation assez précise des risques pour les différents secteurs de l'économie américaine, en évaluant les pertes potentielles dans l'agriculture, le commerce et la production énergétique. Il propose également des stratégies d’adaptation pour limiter l’impact du changement climatique dans ces domaines.
Le rapport souligne que le changement climatique a déjà eu un coût très élevé pour l’économie américaine et que celui-ci a fortement progressé au cours des 10 dernières années. Selon les données publiées par les Nations unies, les Etats-Unis apparaissent comme le 2ème pays en termes de fréquences des événements climatiques extrêmes et ils subissent déjà plus de 25% des coûts mondiaux du changement climatique (560 milliards de dollars sur 2 000 milliards de dollars de dommages sur la période 1992-2012 [2] ). Sur la seule année 2017, les 3 principales tempêtes, Harvey, Irma et Maria ont coûté au moins 265 milliards de dollars aux Etats-Unis (source : National Oceanic and Atmospheric Administration). Sur les 5 dernières années (2014-2018), le coût moyen des événements climatiques extrêmes a atteint 100 milliards de dollars par an (soit 0,5% de PIB). Il faut également noter que les inondations ou les sécheresses qui étaient des événements ponctuels dans les années 1980-90 sont désormais des phénomènes récurrents qui génèrent des sinistres quasiment tous les ans depuis le début des années 2000. C’est ainsi que les tempêtes et cyclones sont les principales causes des sinistres mais que les épisodes de sécheresses et inondations représentent désormais plus de 20% des événements climatiques extrêmes. Entre janvier et juin 2019, le coût des événements climatiques atteint déjà plus de 6 milliards de dollars sans tenir compte des épisodes de précipitations extrêmes dont l’impact économique n’a pas encore été évalué mais qui semble d’ores et déjà considérable.
Le secteur agricole est particulièrement touché par les désordres climatiques. Les revenus des agriculteurs seront une nouvelle fois très bas en 2019 selon les données fournies par le ministère américain de l’agriculture (2019 Farm Sector Income Forecast). La surproduction mondiale de céréales et la baisse des cours expliquent en partie cette tendance mais la situation s’est avérée plus difficile en 2019 à cause des inondations du printemps. Ces dernières ont détruit une large part de la production de maïs et de soja qui avait été stockée en raison de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine. Si ce sont les inondations qui ont été désastreuses pour les agriculteurs américains en 2019, une étude du ministère (Agricultural Resources and Environmental Indicators 2019) montre que c’est la sécheresse qui est le principal risque pour la production agricole et la première cause de paiements d'indemnités au titre de l'assurance-récolte aux États-Unis. Dans les Etats de l’ouest, cette étude estime que les agriculteurs subissent des épisodes de sécheresse sévère tous les 3 ans contre une année sur 5 pour les Etats du Midwest et du nord. Si le changement climatique a un impact négatif direct sur la productivité agricole, il provoque également des effets indirects par l'augmentation des parasites et des maladies, la baisse de la production et de la qualité des cultures et des fourrages. Les pertes de production liées au changement climatique provoquent déjà des hausses de certains prix agricoles notamment pour les fruits et légumes. La forte sécheresse de 2012 avait par exemple provoqué une baisse de la production de blé au niveau mondial et une hausse significative de ses cours.
La partie prospective du Fourth National Climate assessment estime que les Etats-Unis devraient subir des pertes économiques encore plus significatives à cause du changement climatique : « En l'absence d'efforts d'atténuation et d'adaptation substantiels et soutenus à l'échelle mondiale, nous nous attendons à ce que le changement climatique entraîne des pertes croissantes pour les infrastructures et les biens américains et entrave le rythme de la croissance économique au cours du siècle. » Parmi les secteurs qui sont identifiés pour leur vulnérabilité face au changement climatique, le rapport met en avant l’agriculture, la pêche mais également les infrastructures, le transport, le logement et le tourisme. Il fournit un chiffrage détaillé du coût du changement climatique en retenant deux scénarios, la prolongation de la trajectoire actuelle de réchauffement et un scénario dans lequel on arrive à infléchir cette trajectoire grâce à une réduction des émissions de CO2. Il estime que le PIB de l’économie américaine serait 10% plus faible à horizon 2090 si l’on restait sur la trajectoire actuelle par rapport à un scénario où le réchauffement serait plus limité. La baisse des coûts pour l’économie américaine entre ces 2 scénarios est évaluée à plusieurs centaines de milliards de dollars par an et inclut à la fois les dommages aux biens et aux personnes.
Une prise de conscience généralisée
La multiplication et l’intensification des désordres climatiques suscitent une véritable prise de conscience aux Etats-Unis, qui, doublée d’un sentiment d’urgence, est un fait nouveau pour le pays. Un changement dans l’opinion publique est clairement perceptible puisque de plus en plus de sondés jugent que le réchauffement climatique fait partie de leurs préoccupations, signe que le scepticisme sur le changement climatique perceptible au sommet de l’Etat n’est pas partagé par une majorité d’américains. Une enquête réalisée périodiquement par l’Université de Yale montre que la part des Américains très inquiets au sujet du réchauffement climatique a presque triplé entre 2010 et 2018. Environ deux tiers des Américains sont désormais inquiets ou très inquiets à ce sujet alors qu’ils n’étaient qu’environ 50% en 2010. Il existe une différence notable entre électeurs démocrates et républicains sur ce point. En avril 2019, 88% des sondés se déclarant comme démocrates étaient inquiets ou très inquiets au sujet du réchauffement climatique alors qu’ils n’étaient que 35% chez les sondés se déclarant comme républicains. Toutefois, cette part progresse lentement mais sûrement chez les Républicains. Par ailleurs, d’autres enquêtes [3]montrent une inquiétude beaucoup plus aigüe chez les jeunes générations où 36% des jeunes républicains pensent que le changement climatique est lié à l’activité humaine contre 18% chez les plus âgés.
Depuis peu, le débat touche aussi la sphère économique et juridique. Le nombre de plaintes liées au climat contre des Etats, des particuliers et des entreprises ne cesse d’augmenter et accroît la pression sur les entreprises pour qu’elles passent à l’action et qu’elles soient plus transparentes sur les enjeux climatiques. D’après une étude du cabinet d’avocats White and Case [4] datée de 2018, plus de 1000 affaires liées au changement climatique ont été portées devant les tribunaux dans 25 pays différents. Leur nombre dépasse les 600 pour les seuls Etats-Unis. Elles portent sur différents types de revendications que ce soient des plaintes pour non-protection des droits humains jusqu’à la nuisance, la fraude, ou le non-respect des règles environnementales. Un nouveau type de recours est apparu avec des plaintes d’actionnaires contre des entreprises pour exiger plus de transparence sur les émissions de CO2, les risques sur leurs activités liées au changement climatique ou les actions prises pour limiter les émissions. La faillite de la compagnie PG&E (Pacific Gas & Electric) en janvier dernier en est une illustration. Elle avait été condamnée à verser 30 milliards de dollars de dommages après que sa responsabilité a été mise en cause dans les feux de forêts qui ont ravagé la Californie à l’été 2017. Avec la progression des recours collectifs, les entreprises pourraient se trouver confrontées à des défis juridiques liés à la transition vers une économie moins carbonée. La pression créée par les litiges et cette nouvelle jurisprudence peut contribuer à modifier l'environnement réglementaire et opérationnel dans ce domaine.
Le changement climatique au cœur de la campagne présidentielle 2020. Les candidats démocrates pour la présidentielle 2020 accordent une place importante au sujet, notamment avec le débat sur le projet Green New Deal porté par la Congresswoman Alexandria Ocasio-Cortez. Par ailleurs, la candidate à la primaire démocrate Elizabeth Warren a proposé un projet de loi qui obligerait les entreprises à publier leurs expositions aux risques liés au climat. Elle n’est pas la seule puisque d’autres candidats à la primaire (Joe Biden, Beto O’Rourke) sont également en faveur de mesures similaires. Du côté républicain, Donald Trump a jusque-là régulièrement remis en cause le réchauffement climatique, disant par exemple « ne pas croire » le rapport National Climate Assessment publié en novembre 2018 (mentionné plus haut). Lors des périodes de grand froid expérimentées par le Midwest en début d’année, il a par exemple ironisé en demandant au changement climatique de revenir rapidement…
Toutefois, ne pas prendre au sérieux le sujet devient risqué dans la perspective des élections présidentielles de 2020. Plusieurs sénateurs républicains proches de Trump l’ont prié ces dernières semaines de revoir sa copie, notamment car celle-ci pourrait couter des voix chez les électeurs plus jeunes et modérés. Dans cette veine, Donald Trump a essayé début juillet de faire passer le message que le changement climatique avait été la « top priorité » de son administration depuis son accession au pouvoir. Quoi qu’il en soit, la question climatique sera à n’en pas douter au cœur de la campagne présidentielle sur les 18 prochains mois.
Il est clair que les désordres climatiques s’intensifient aux Etats-Unis et que les catastrophes sont de plus en plus fréquentes et coûtent de plus en plus cher. Une véritable prise de conscience est en train de se produire et il apparaît inéluctable que la législation relative aux risques climatiques évoluera et que de nouvelles politiques environnementales ambitieuses seront décidées dans un avenir proche.