par Vincent Mortier, Directeur des investissements du groupe Amundi, et Monica Defend, Directrice de l’Amundi Investment Institute
Le « Trump trade » est terminé et l’arbitrage des investisseurs au détriment des mégatechnologies américaines se poursuit : l’incertitude concernant les mesures politiques de D. Trump, en particulier l’impact économique des droits de douane, s’est accrue ces dernières semaines. Cette situation, associée à la faiblesse des données économiques, a entraîné un nouveau recul des actions américaines, l’indice Nasdaq ayant perdu près de 10 % depuis le début de l’année. En revanche, les actions européennes se sont bien comportées en 2025 grâce à l’amélioration du sentiment des investisseurs due à un possible cessez-le-feu entre la Russie et l’Ukraine. Le plan européen d’augmentation des dépenses de défense a récemment déclenché un mouvement d’ampleur de l’euro (à sa valeur la plus élevée par rapport au dollar depuis la réélection de D. Trump) et des obligations européennes, qui ont enregistré une forte hausse ces dernières semaines, à un moment où les rendements des bons du Trésor ont diminué en raison des inquiétudes croissantes concernant la croissance américaine.
Ralentissement de l’économie américaine : l’économie américaine ralentit plus rapidement que prévu, car les entreprises ont importé massivement en début d’année afin d’éviter des droits de douane plus élevés, et l’incertitude politique a entamé la confiance des consommateurs. Bien que nous ne prévoyions pas de récession en 2025, les craintes pourraient augmenter si la situation politique reste instable. Nous pensons que les droits de douane représenteront avant tout une menace pour la croissance plutôt que pour l’inflation qui, quoi qu’il en soit, ne devrait pas durer. C’est pourquoi nous pensons toujours que la Réserve fédérale américaine (Fed) réduira ses taux d’intérêt au 2 e trimestre de cette année.
Convictions d’investissement : malgré le récent repli, nous pensons que la correction attendue des actions américianes surévaluées pourrait se poursuivre, les investisseurs continuant à arbitrer leusr portefeuilles en faveur des marchés européens et chinois. En ce qui concerne les obligations, il est essentiel de maintenir une gestion active de la duration. Depuis le début de l’année, nous sommes plus favorables à la duration européenne. Plus récemment, notre position sur la duration européenne s’est rapprochée de la neutralité. Nous avons également adopté une position neutre sur la duration américaine, et nous prévoyons une pentification de la courbe des rendements américains à 2-10 ans. En ce qui concerne les obligations d’entreprises, nous restons prudents à l’égard des obligations américaines à haut rendement et privilégions les obligations d’entreprises européennes de qualité. Alors que nous approchons de notre objectif initial de 1,10 pour l’EUR/USD, nous nous attendons à ce que la volatilité reste élevée et pensons qu’une nouvelle correction du dollar est encore possible. Dans l’ensemble, nous pensons qu’il est essentiel de maintenir une allocation équilibrée et diversifiée, comprenant de l’or et des couvertures pour faire face au risque croissant de baisse des actions.
Que s’est-il passé sur les marchés financiers ces derniers jours ?
L’activité récente des marchés a été marquée par une volatilité accrue. Aux États-Unis, cette situation est principalement due aux inquiétudes croissantes concernant l’évolution de l’économie américaine, en particulier à la lumière des déclarations du président Trump concernant les droits de douane. En outre, les dernières données économiques ont été décevantes. Par conséquent, les prévisions des investisseurs concernant la croissance américaine pour l’année en cours ont été revues à la baisse, s’alignant ainsi sur nos estimations plus prudentes, selon lesquelles l’économie américaine se dirige vers un ralentissement. Ce contexte d’incertitude économique et politique importante a entraîné une fort arbitrage au détriment des méga-capitalisations technologiques américaines et en faveur de l’Europe et de la Chine.
Le deuxième grand mouvement du marché a été les actualités récentes en Europe, avec les perspectives de pourparlers sur un cessez-le-feu entre la Russie et l’Ukraine et surtout l’annonce, après les élections allemandes, d’un plan ambitieux d’augmentation des dépenses de défense dans les années à venir.
Du côté des devises, l’euro s’est hissé au-dessus de 1,09, contre 1,03 il y a seulement dix jours, inversant ainsi la tendance favorable au dollar qui a dominé les marchés depuis la réélection de Trump (de nombreuses analyses de marché anticipant même que l’euro tomberait en dessous de la parité) et se rapprochant de notre objectif initial pour de 1,10 pour le taux de change EUR/USD d’ici la fin de l’année.
Les taux d’intérêt européens ont connu leur plus mauvaise période puis plus de vingt ans. Le rendement du Bund allemand a fortement augmenté à 2,8 %, contre moins de 2,4 % il y a dix jours, tandis que l’OAT française a grimpé à près de 3,6 %, contre 3,13 % il y a dix jours – des niveaux jamais atteints depuis la crise de la dette souveraine de 2011 – tandis que les écarts de taux sur le BTP-Bund sont restés à peu près stables. En revanche, les taux américains ont baissé sur fond d’inquiétudes croissantes concernant la croissance économique, avec un rendement à 10 ans de 4,23 %, en baisse par rapport à un pic de 4,8 % il y a un peu plus d’un mois.
Les actions européennes ont également connu une certaine consolidation ces derniers jours, mais maintiennent une très bonne performance depuis le début de l’année, avec le Dax allemand à près de +14% et le CAC à +9% – principalement grâce à des gains dans les secteurs de la défense et des banques. En revanche, le Nasdaq a reculé de près de 10 %.
La fin des « Trump trades » a également affecté le bitcoin, qui a chuté en dessous de 80 000 après avoir atteint un pic à environ 108 000, tandis que la demande de l’or ne faiblit pas, le métal jaune se négociant à environ 2 880 $ l’once, marquant une augmentation de près de 10 % depuis le début de l’année.
Après les récents mouvements, quelles sont les anticipations d’Amundi concernant les marchés ?
Les gains issus du « Trump trade » ont été entièrement effacés, comme illustré par une sous-performance significative des actions américaines et par la rotation d’ampleur en cours. Malgré cela, certains segments du marché des actions américaines restent surévalués et la correction devrait se poursuivre dans ces segments.
Les marchés d’actions européens ont enregistré une forte progression en très peu de temps, et nous pourrions maintenant assister à une certaine stabilisation autour des niveaux actuels. Un repli à ce stade pourrait offrir des opportunités dans une perspective à long terme. Nous privilégions l’Europe aux États-Unis car les valorisations y sont plus attractives et la relance budgétaire pourrait stimuler les bénéfices. En Asie, les actions chinoises ont progressé à la suite d’annonces dans le secteur technologique, internet, l’automobile et les télécommunications étant en tête. La hausse des actions chinoises pourrait se faire au détriment des entreprises américaines et, en effet, si la progression du secteur technologique chinoise se poursuit, les ratios cours/bénéfices aux États-Unis pourraient être mis sous pression. Par conséquent, nous pourrions assister à la poursuite de la ritation actuelle des actions américaines vers les actions européennes.
En ce qui concerne les obligations, les récents mouvements du marché confirment la nécessité de maintenir une gestion active en matière de duration. Selon nous, la très forte hausse des rendements allemands peut constituer une opportunité à court terme, mais les perspectives en matière d’émissions d’obligations ont clairement changé. Les Bunds devraient continuer à sous-performer les marchés périphériques. Même si nous pensons que la banque centrale européenne (BCE) réduira ses taux à 1,75 % cette année, compte tenu de la faiblesse de la croissance actuelle, les courbes de rendement pourraient se pentifier davantage en raison de l’offre de nouvelles obligations sur le marché et de l’amélioration des perspectives de croissance à moyen terme. En revanche, les rendements américains ont fortement baissé, en particulier à court terme. Les rendements à 2 ans pourraient encore baisser jusqu’à 3,75 %, ce qui correspond au niveau le plus bas que nous prévoyons pour les taux des Fed Funds cette année. Mais les rendements à 10 ans sont plus susceptibles d’augmenter que de diminuer à partir des niveaux actuels de 4,20 %, compte tenu de leur offre élevée et malgré le ralentissement des perspectives de croissance économique. Par conséquent, les courbes de rendement pourraient continuer à se pentifier entre les taux à 2 ans et à 10 ans. Enfin, en ce qui concerne les obligations d’entreprises, nous restons favorables aux obligations européennes de qualité, les financières en particulier étant susceptibles de connaître un nouveau resserrement des spreads.
En ce qui concerne le dollar, il perd de la valeur malgré l’inflation élevée aux États-Unis, les risques que les droits de douane font peser sur le commerce mondial et les performances médiocres des actions américaines. Si l’incertitude demeure, nous pensons que la tendance actuelle est soutenue par deux facteurs clés qui étayent nos perspectives baissières pour le dollar en 2025.
- Perte du statut de valeur refuge : l’analyse des corrélations passées (depuis 2020) montre que le dollar perd son statut de valeur refuge lorsque les corrections des marchés boursiers sont motivées par une « croissance plus faible » plutôt que par une « inflation plus élevée ». Nous pensons que ce sera le cas en 2025, car les risques économiques sont orientés à la baisse.
- Amélioration du moral des investisseurs en dehors des États-Unis : il s’améliore du fait de l’augmentation des dépenses de l’UE, d’un cessez-le-feu potentiel en Ukraine et d’une baisse des prix de l’énergie. Cela remet en cause la force du dollar. Cependant, le manque de détails sur la mise en oeuvre du plan de relance budgétaire allemand et l’incertitude quant à son impact sur la croissance sont des facteurs à surveiller, car ils pourraient accroître la volatilité à l’avenir.
Bien que certaines nouvelles aient déjà été intégrées (l’euro s’approchant déjà de notre objectif initial de 1,10 d’ici à la fin de 2025), le positionnement et la valorisation élevés du dollar, ainsi que le potentiel de pentification de la courbe des rendements américains, indiquent que le dollar a une marge de correction.
Dans l’ensemble, nous pensons qu’il est important de maintenir une position flexible et prudente sur la duration, car les rendements obligataires peuvent évoluer rapidement. Certaines obligations d’État, ainsi que les matières premières telles que l’or, offrent également une diversification dans ce contexte d’incertitude économique et géopolitique. En ce qui concerne les actifs à risque, les investisseurs devraient envisager de réallouer leurs actifs vers des segments moins chers qui offrent encore des perspectives de bénéfices solides. Une position équilibrée est donc essentielle à ce stade.