par Edgardo Torija-Zane, économiste chez Natixis
Avec la diminution de l’aversion au risque et les annonces de nouvel assouplissement des politiques monétaires dans les principaux centres financiers (Quantitative Easing 2), les flux de capitaux internationaux se dirigent vers les marchés émergents où se dégage un rendement financier plus important. L’intérêt accru des investisseurs étrangers pour certains pays émergents est en train de conduire à une plus grande intégration de ces derniers dans le système financier global, ce qui profiterait non seulement à ces pays, mais aussi à l’économie mondiale.
Toutefois, les entrées massives de capitaux ne présentent pas que des avantages. Elles peuvent conduire à une surchauffe de l’économie, à une volatilité accrue du taux de change (nuisant à la compétitivité de l’industrie en cas de forte appréciation) et, à terme, à d’importantes sorties de capitaux liées à des variations du rendement prévu des actifs investis et aux effets de contagion.
L’accélération des entrées nettes de capitaux depuis mi-2010 a déclenché des frictions monétaires au sein des économies émergentes, qui voient leur taux de change évoluer de façon assez divergente en fonction de l’importance des capitaux reçus, du régime de change choisi (ancrage, flottement géré) et pas forcément en fonction de l’état relatif des fondamentaux macroéconomiques. Depuis le mois de juin, l’encours des investissements de non-résidents dans les marchés d’actions des pays émergents a augmenté d’environ 105 milliards de dollars (la hausse des investissements sur le marché obligataire a été de 14 milliards de dollars). Dans certains pays, ces investissements massifs se sont traduits par une pression à la hausse du taux de change contre dollar : depuis juin 2010, le réal brésilien a gagné 8%, le bath thaïlandais 8,9%, le dollar singapourien 7,1%, le rand sud-africain 10,1%.
Les décideurs ont à leur disposition tout un arsenal de mesures pour modérer le volume des entrées de capitaux (taxations, interdictions) et pour enrayer l’appréciation des monnaies (interventions sur le marché des changes par les banques centrales). Les politiques de contrôles à l’entrée de capitaux s’adaptent mieux lorsque l’accumulation de réserves de change engendre des effets non-désirés, comme la création excessive de liquidités, ou bien la croissance rapide de dette domestique si la banque centrale stérilise systématiquement ses interventions de change.
Divers pays ont déjà mis en exécution (ou renforcé) des mesures de contrôles des capitaux. Les cas emblématiques sont celui du Brésil qui, en octobre, a augmenté en deux mouvements de 2% à 6% l’impôt sur les opérations financières liées au marché obligataire et celui de la Thaïlande, qui vient d’établir une taxe de 15% sur les plus-values obligataires s’appliquant aux non-résidents. La Malaisie a assoupli les conditions de sortie des flux de capitaux, pour inciter les agents domestiques à investir off-shore (ce qui réduit la demande nette de monnaie domestique).
D’autres pays, comme l’Indonésie, l’Afrique du sud et la Corée, accumulent à nouveau des réserves pour soutenir le prix du dollar sur le marché domestique, et étudient -c’est le cas notamment de la Corée- la mise en place des taxes sur les entrées de capitaux.
Si ces contrôles sont efficaces et empêchent effectivement les capitaux de rentrer dans les pays émergents, ils auraient comme effet que l’excès de liquidité créé dans les pays de l’OCDE devrait s’investir davantage qu’aujourd’hui dans les pays plus développés et moins dans les émergents, ce qui stabiliserait les monnaies de ces derniers. Si les contrôles ne s’appliquent pas à la bonne classe d’actifs (perdant leur efficacité) ou se mettent en place sans coordination entre pays, les « désordres » monétaires devraient se poursuivre. Dans tous les cas, l’équilibre « coopératif » défini par l’établissement des règles du jeu claires pour éviter une « guerre des monnaies » semble être un meilleur équilibre que la solution « non coopérative », qui risque de pénaliser toutes les économies concernées.