par Sylvain Broyer, Costa Brunner, Jean-Christophe Caffet, Jésus Castillo et Cédric Thellier, économistes chez Natixis
La récession pèse sur les finances publiques des pays de la zone. Au niveau agrégé, le déficit public franchira les 4% dès cette année et atteindra même quasiment 5% en 2010. Parallèlement, la dette publique enflera de plus de 8 points de PIB d’ici 2010, au-delà de 76%. Autrement dit, les critères de Maastricht seront largement dépassés. Faut-il alors envisager une procédure quasi-généralisée de déficit excessif, synonyme d’abandon du pacte de stabilité et de croissance (PSC) ?
La souplesse du caractère « exceptionnel » du dépassement du seuil des 3% permettra sans doute d’éviter une telle situation. En revanche, même avec des hypothèses optimistes de franche reprise de la croissance dès 2011, l’objectif des 60% du PIB pour la dette publique paraît très éloigné. Nous nous posons également la question du policy-mix à l’œuvre en 2009 / 2010 dans la zone euro, avec la non coopération entre politiques budgétaires et politique monétaire. Enfin, malgré le non respect sans doute durable des critères de Maastricht, la réponse à la question concernant un éventuel risque d’implosion de la zone euro lié à la dégradation sensible de ses finances publiques nous semble clairement négative.
Une forte ouverture des déficits, au-delà du simple jeu des stabilisateurs automatiques…
Le PIB devrait se contracter de 1,7 T/T au dernier trimestre 2008. L’écart de production au niveau potentiel devrait donc s’ouvrir très significativement, à des niveaux historiques. Les soldes budgétaires se détérioreront violemment avec la baisse des recettes fiscales, la hausse des transferts sociaux nets et les plans de relance. Pour la zone euro, on estime l’ouverture des déficits cycliques à 1,5 point de PIB en 2009 et à 0,5 point en 2010. Les plans de relance coûteront 1,2 point de PIB. C’est moins que l’effort total engagé (1,6% de PIB à l’échelle de la zone euro) car toutes les mesures de relance n’incombent pas aux budgets de l’Etat (15 mds de crédit KfW par exemple). Le déficit total de l’Union monétaire approchera 5 points de PIB l’année prochaine, largement hors des limites fixées par le Traité de Maastricht.
… qui pèse lourdement sur la dette publique
L’amélioration tendancielle du ratio dette publique / PIB observée depuis plus d’une décennie, à raison d’un demi-point par an en moyenne ne résistera pas à l’envolée budgétaire des deux prochains exercices. A cela, il convient d’ajouter l’impact potentiel des plans de sauvetage des banques, avec l’exécution des garanties accordées par les Etats sur les émissions de dette bancaires dans le cas où les établissements feraient défaut – nous estimons ce coût potentiel à 32 mds EUR soit 0,4% de PIB -(1), mais surtout le volet de recapitalisation publique qui a déjà coûté 75 Mds d’euros (soit près d’un point de PIB).
Au total, la dette publique à l’échelle de la zone augmentera de plus de 8 points entre 2008 et 2010, ce qui remet sérieusement en question la soutenabilité des finances publiques européennes.
Feu le pacte de stabilité et de croissance : peut-on revenir vers 60% de PIB de dette publique ?
La divergence des critères de finances publiques relativement aux seuils de Maastricht interroge sur le devenir du PSC. La première question concerne l’éventuel déclenchement de la procédure pour déficit excessif qui, à première vue, pourrait concerner une importante majorité de pays, y compris l’Allemagne en 2010.
Mais la réforme du Pacte en 2005, si elle a maintenu la valeur de référence de 3% du PIB en tant que point d’ancrage pour le déficit, a toutefois « assoupli » son caractère « exceptionnel et temporaire » qui permet d’exempter l’Etat membre concerné d’une telle procédure en cas de grave récession économique.
Les incertitudes ne portent pas tant sur le côté « exceptionnel » du dépassement que sur son caractère « temporaire » et la seconde question porte alors sur les perspectives d’évolution à moyen / long terme des finances publiques européennes. Or, même avec un scénario de croissance optimiste(2) « d’après crise », l’amélioration en termes de solde budgétaire et d’endettement demeure insatisfaisante au regard du PSC. De plus, nous montrons dans le focus que le désendettement de l’économie européenne amputera la croissance tendancielle de 2 points de PIB annuel en 2009 et 2010. Nous retenons toutefois les hypothèses optimistes suivantes afin de répondre à la question : peut-on revenir vers 60% de dette publique ?
• La zone euro retrouve et maintient son niveau de croissance tendancielle (moyenne annuelle 1999 – 2007) soit 2,2% dès 2011.
• Le déflateur de PIB est équivalent à sa moyenne annuelle de long terme, soit 1,9%. La croissance nominale obtenue est donc de 4,1% par an.
• La solution discrétionnaire visant à réduire le déficit et qui consiste pour les gouvernements à jouer sur la pression fiscale n’est pas retenue : en effet, hormis en Irlande, en Espagne et dans une moindre mesure en Grèce, les marges de manœuvre en la matière sont quasi inexistantes.
Or, le niveau de déficit en 2010 qui stabiliserait la dette en 2011 est de 3%, soit largement inférieur aux 4,9% prévus ; selon notre estimation, le déficit stabilisant ne serait franchi qu’à partir de 2014. Par conséquent, de 76,6% du PIB en 2010, le niveau d’endettement public continuerait de croître jusqu’à cette date et atteindrait alors près de 80%.
Vers un policy-mix durablement non coopératif ?
La légitimité du Traité de Maastricht et du PSC repose sur la nécessité d’instituer une cohérence au policy-mix en zone euro, dont la particularité est de conjuguer désormais 16 politiques budgétaires nationales et une politique monétaire commune. Historiquement, on repère quatre périodes de policy-mix alternativement coopératif, puis non coopératif : soutien coopératif de la croissance entre 2000 et 2003 puis maîtrise budgétaire durant la phase de reprise entre 2003 et 2006 tandis que la politique monétaire demeurait très accommodante. Par la suite, coopération de rigueur jusqu’en 2007 avant l’accompagnement du ralentissement de l’activité. Enfin, entrée aujourd’hui dans une phase non coopérative avec plans de relance budgétaire et politique monétaire restrictive.
Un modèle IS-LM illustre bien la perte de croissance associée au caractère non coopératif des politiques monétaire et budgétaire : un stimulus fiscal (plan de relance) déplace la courbe IS (investissements publics) vers la droite (IS’) apportant un supplément de revenu Y. Si la politique monétaire ne baisse pas beaucoup les taux, pour veiller à ne pas tomber dans la trappe à liquidité, alors la demande de monnaie LM ne s’aplatit pas. Le stimulus fiscal fait monter les taux d’intérêt d’i1 vers i2. Il y a éviction des investissements privés par l’investissement public. La hausse de revenu Y2 est moins que proportionnelle au stimulus fiscal. On peut se convaincre graphiquement qu’en aplatissant la courbe LM vers LM’ (cas de la trappe à liquidité), la hausse du revenu est Y3-Y1 est proportionnelle au stimulus fiscal. Un policy-mix coopératif profite à la croissance.
Quid de la notation de la dette souveraine en zone euro et de son financement : risque d’implosion ?
Durant le mois de janvier, S&P’s a successivement mis l’Irlande sous outlook négatif (le 9/01), puis dégradé la Grèce (le 14/01), l’Espagne (le 19/01) et enfin le Portugal (le 21/01).
S’inscrivant dans un cadre de détérioration générale des finances publiques en zone euro, faut-il craindre d’autres décisions similaires de la part des agences de notation ? Au regard des critères de Maastricht, seule l’Irlande nous semble menacée de downgrading en raison de la très forte dégradation attendue d’ici 2010.
A cet égard, si la décision vis-à-vis de l’Espagne semble justifiée, celles concernant la Grèce (situation politique ?) et surtout le Portugal sont plus discutables(3). Concernant le financement de la dette, certes l’écartement des spreads intra-UEM est remarquable depuis septembre dernier. Mais d’un point de vue historique, les surcoûts liés à la crise nous ramènent sur les niveaux de la fin des années 1990, donc pas complètement insupportables.
En conclusion, malgré le non respect sans doute durable des critères de Maastricht, la réponse à la question concernant un éventuel risque d’implosion de la zone euro lié à la dégradation sensible de ses finances publiques nous semble clairement négative.
Désendettement : quelle ampleur, quelles conséquences ?
Il est probable dans le contexte actuel que la dette des agents privés baisse tandis que la dette publique augmente. Cet effet ciseau suffira-t-il à stabiliser l’endettement total de l’économie européenne ? La réponse aiguillera les perspectives de croissance à moyen terme et de taux d’intérêt. Nous nous attachons à en apporter une dans ce focus.
L’endettement public, comme on l’a vu plus haut dans cette note, se portera donc à 76 points de PIB en 2010 contre 68 en 2008. A moins d’un saut quantitatif de croissance, et comme le mandat de la BCE fera obstacle à la monétisation de la dette, il est illusoire de croire à la convergence, même en tendance, des finances publiques européennes vers les critères de Maastricht.
Observons la dette privée. D’un point de vue macro-économique, l’endettement du secteur financier n’a guère d’intérêt, puisque sa variation dépend de ratios prudentiels micro-économiques qui répondent à la demande de crédit des autres agents. Nous réduisons donc l’analyse de l’endettement du secteur privé à celui des ménages et des entreprises non financières.
Les ménages européens font face au retournement brutal de leur richesse immobilière et financière, à une baisse des revenus du travail (hausse prévisible de 2 points du taux de chômage et ralentissement de 1 point de la croissance des salaires), et à un moindre accès au crédit bancaire. Leur dette se compose à 90% de crédits bancaires (les deux tiers au titre de l’habitat). Il suffit donc de regarder l’évolution des flux de nouveaux crédits aux ménages pour se faire une idée de leur endettement futur (graphique 1). Ils reculent actuellement de 30% par an, et aucune amélioration ne se dessine pour l’année prochaine pour les raisons évoquées plus haut. L’élasticité de l’encours (de la dette) à la production de nouveaux crédits est assez faible en raison de la durée élevée des prêts immobiliers (0,4). La dette des ménages devrait donc baisser modérément, de 8 points de PIB à horizon 2010.
Le désendettement des entreprises devrait être plus brutal, ne serait-ce qu’en raison de leur contrainte de rendement du capital, étrangère aux ménages. Leur financement externe revêt des formes diverses, et toutes ne sont pas liées à notre problématique. Nous écartons ainsi les actions, les crédits fournisseurs et les réserves techniques d’assurance retraite. La partie variable de la dette des entreprises se réduit alors aux titres émis sur le marché monétaire et obligataire (12% de la dette) et aux crédits bancaires (82%) Les émissions nettes de titres obligataires sont nulles. Le flux de nouveaux crédits bancaires aux entreprises est encore stable, mais uniquement parce qu’il s’est substitué au financement par le marché monétaire (l’encours de billets de trésorerie a diminué de 15% par rapport à son pic, graphique 1). Pour les maturités supérieures à un an, les nouveaux crédits bancaires aux entreprises sont en repli de 20% par an. La tendance devrait s’imposer bientôt à l’ensemble des maturités, puisque l’activité courante et anticipée ralentit. L’élasticité des flux de crédits à l’encours est de 0,6. Les financements étant principalement intermédiés, la dette des entreprises devrait diminuer de 16% de PIB cette année, probablement autant l’année prochaine.
Au total, la hausse de la dette publique ne compensera pas la baisse de la dette privée. L’économie européenne se désendettera de 15 points de PIB d’ici 2010.
Deux conséquences à la baisse de l’endettement total apparaissent : 1/ la croissance est amputée d’environ 2 points de PIB annuels ; conjuguée à une liquidité encore abondante qui devrait dégeler progressivement, la remontée des taux d’intérêt européens est assez improbable. L’effet ciseau évoqué (moins de dette privée et plus de dette publique) devrait au contraire se vérifier sur les marchés financiers. Nous attendons donc une double convergence des spreads de crédit et des spreads souverains vers les taux swaps.
NOTES
(1) Pour plus de détails, cf. Flash 2009-36 « Quels effets des garanties accordées aux banques sur les dettes publiques si elles font défaut ? ».
(2) Compte tenu des hypothèses de productivité par tête et des projections de population en âge de travailler, la croissance de moyen terme (sur 5 ans) en zone euro après la crise peut être estimée autour de 1,2% par an.
(3) La dégradation des finances publiques entre 2008 et 2010 sera de l’ordre de 13 points de déficit et 43 points de dette en Irlande, près de 10 et 18 points respectivement en Espagne, 1,5 et 5 points en Grèce, 1,8 et 7 points au Portugal.