par Rudi Van den Eynde, gérant du fonds Dexia L Eq. Biotechnologies chez Dexia AM
Le secteur des biotechnologies a enregistré une croissance exceptionnelle au cours de ces dix dernières années, à l’origine d’une performance boursière très soutenue du secteur. En règle générale, les produits biotechnologiques permettent de traiter les maladies graves dont les taux de mortalité et de morbidité sont élevés, raison pour laquelle leur coût n’est généralement pas un obstacle. Le remboursement de ces médicaments n’a jamais été un problème dans la plupart des pays développés, qui sont historiquement les moteurs clés de la croissance de ce secteur assez jeune.
La plupart des maladies traitées par les médicaments issus de la biotechnologie peuvent être classées dans la catégorie des « maladies de civilisation », aux rangs desquelles figurent les maladies cardiovasculaires, le cancer et le diabète. Elles sont liées à un mode de vie « à l’occidentale », caractérisé par une moindre activité physique et une alimentation très riche. Aussi, le secteur de la biotechnologie conserve l’image d’un secteur très peu exposé aux marchés émergents.
Dexia Asset Management ne partage pas du tout ce point de vue. Au contraire, les marchés émergents pourraient devenir un important relais de croissance des sociétés biotechnologiques. Certaines évolutions récentes des marchés émergents nous confortent dans notre opinion.
Pour commencer, les maladies chroniques sont très liées au vieillissement de la population. Après des années de croissance économique soutenue, de nombreux pays émergents ont amélioré leurs conditions sanitaires et la qualité des soins. Les maladies infectieuses y sont aujourd’hui combattues de manière plus efficace, aussi grâce à l’aide d’ONG comme la Fondation Gates. La longévité augmente et la population de personnes âgées progresse rapidement dans des pays tels que la Chine, l’Inde et le Brésil. En 2020, 16 % de la population chinoise aura plus de 65 ans1, ce qui portera la population des seniors chinois à 200 millions. Pour ne parler que de la Chine ! Aux États-Unis, les dépenses annuelles de santé des citoyens de plus de 65 ans sont 4 fois plus élevées que ceux des personnes de moins de 65 ans. Le coût des traitements pose un gros problème au sein des marchés émergents, où le remboursement est souvent très incomplet. En Inde par exemple, 76 % des dépenses médicales sont prises en charge par les patients. En Chine, cette proportion avoisine 50 %,. Dans des pays comme le Brésil, la part des dépenses prise en charge par les patients est seulement de 30 %, et le remboursement des médicaments biotechnologiques même onéreux ne pose pas de problème dans le cas des maladies graves2.
Au-delà de ce coût, les spécialistes de la santé estiment que la forte vulnérabilité des populations émergentes aux maladies chroniques occidentales est encore plus perturbante. Après des années de régimes hypocaloriques amincissants, l’urbanisation croissante de la population s’est accompagnée d’une adoption rapide et généralisée des modes alimentaires occidentaux, bon marché et hautement caloriques. En 1995, 31 % des chinois vivaient dans un environnement urbain, un chiffre estimé à 45 % cette année3. Cette évolution caractérise la plupart des économies émergentes et cette urbanisation croissante s’accompagne d’une forte prévalence de l’obésité et des maladies chroniques. Plus de 30 % des adultes chinois sont aujourd’hui considérés en surpoids, un chiffre qui devrait progresser à 50 %. Les conséquences d’un mode de vie plus sédentaire et d’un régime riche en glucides sont très graves pour la santé. La plupart des populations asiatiques ont survécu et se sont adaptées aux famines récurrentes. Or l’adoption d’un mode de vie complètement différent se produit généralement en moins d’une génération.
Un marché en expansion à travers le monde
Le concept de gène d’épargne (« thrifty gene ») fait écho au sein de nombreux pays émergents. S’il fait l’objet de nombreux débats au sein de la communauté universitaire, la prévalence croissante des maladies parle d’elle-même. En dépit de la soi-disant sous-alimentation de la population indienne, le nombre absolu de diabétiques y est actuellement beaucoup plus élevé qu’aux États-Unis, et devrait tripler pour atteindre 80 millions d’ici 20254. Au cours de la même période, le nombre de diabétiques devrait doubler en Chine, pour s’établir à 42 millions de personnes (contre un nombre prévisionnel de 33 millions de cas aux États-Unis d’ici 2030, données Wild et al). D’ici 2030, la moitié des 330 millions de diabétiques dans le monde seront des asiatiques et des habitants des îles pacifiques. Les dossiers médicaux des immigrants témoignent de la vulnérabilité de nombreuses populations émergentes aux changements radicaux de modes de vie. À peine 3 % des Philippins qui vivent dans leur pays d’origine ont un diabète, alors que cette proportion passe à 22 % pour ceux qui vivent aux États-Unis (beaucoup plus que la prévalence moyenne de 5 % aux États-Unis).
Dans ce contexte général, on comprend facilement l’importance croissante des marchés émergents pour le secteur de la santé. Le secteur de la biotechnologie, à la pointe du développement de médicaments innovants, prendra la part de marché qui lui revient.
Un secteur où les possibilités d’investissement sont nombreuses
Au sein de notre fonds spécialisé, Dexia Equities L Biotechnology, notre sélection de valeurs privilégie d’abord l’innovation et les données cliniques. Nous sommes optimistes vis-à-vis des entreprises exposées aux marchés émergents. Rappelons l’augmentation rapide du nombre de diabétiques. L’entreprise américaine Amylin Pharma développe actuellement un analogue GLP-1 à action prolongée, une nouvelle catégorie de traitements contre le diabète dont les essais cliniques sont prometteurs. Un médicament concurrent développé par Novo Nordisk a été récemment approuvé, et nous avons pleinement confiance dans cette nouvelle approche thérapeutique. Le traitement développé par Amylin sera commercialisé par la société pharmaceutique E Lilly, et bien que les marchés émergents ne soient pas la cible principale du groupe pour des questions de prix, les sociétés pharmaceutiques finiront par être alléchées par cette opportunité de taille. La société française Ipsen développe également un GLP- 1 à action prolongée, en collaboration avec le laboratoire Roche. Nous pensons que ce marché sera de taille suffisante pour accueillir tous ces acteurs.
Onyx Pharma, inventeur du traitement contre le cancer du foie Nexavar, est un autre groupe très exposé aux marchés émergents. L’incidence du cancer du foie en Chine est six fois supérieure à celle en Europe et aux États-Unis réunis. Et malgré l’absence de volumes de vente significatifs en Chine pour l’instant, Nexavar approche déjà un revenu annualisé de 1 milliard de dollars. Le remboursement pose problème car le traitement est très onéreux (7200 dollars/mois). Or Onyx et son partenaire Bayer sont intimement convaincus que les autorités chinoises sont sur le point de prendre une décision à ce sujet. Une telle décision sera un véritable accélérateur de croissance pour Onyx, raison pour laquelle nous avons pris une position sur la société, d’autant que sa valorisation est attractive, même en l’absence de remboursement.
L’importance des marchés émergents se fait d’autant plus ressentir sur le segment des maladies orphelines. L’entreprise américaine Alexion a développé le Soliris afin de traiter le Paroxysmal Nocturnal Hemoglobinuria, une maladie auto-immune qui détruit les globules rouges des patients. Avec une population de 180 millions de personnes et une prévalence assez forte de la maladie, le Brésil est un pays stratégique pour Alexion. Le Soliris coûte aux États-Unis 390000 dollars par an par patient. Et bien qu’Alexion n’ait pas communiqué le prix du traitement au Brésil, les sociétés biotechnologiques accorde peu souvent des remises généreuses aux pays moins riches. A noter cependant que le système de santé brésilien rembourse les patients pour ce type de médicaments. Le Brésil est également un marché stratégique pour Biomarin Pharma , qui commercialise un traitement contre la mucopolysaccharidose (maladie génétique dégénérative). Cette maladie est également assez présente dans les populations latino-américaines, qui l’ont hérité en partie des migrants originaires de la péninsule ibérique.
La conclusion de tout ceci est que les maladies chroniques occidentales progressent à un rythme alarmant au sein des marchés émergents, et font désormais planer une menace majeure sur la santé de leurs populations. Cette évolution, conjuguée à la taille très importante de ces populations, est le signe de l’ouverture d’un marché important, en réponse à ce besoin médical. Dans de nombreux pays émergents, les finances publiques sont plutôt saines et souvent meilleures que celles des pays développés. Les grands groupes de santé en général, et les sociétés biotechnologiques en particulier, devraient bénéficier fortement de la généralisation progressive de l’assurance soins de santé. Mais il ne s’agit pas du principal motif pour investir dans ce secteur, d’après nous. En effet, l’innovation est de loin le moteur et le facteur clé de différenciation qui guide notre sélection de valeurs. Cela ne nous empêchera pas de prêter une attention toute particulière au potentiel « global » d’un nouveau médicament.
NOTES
- Source : Asia Demographics
- Source : WHO
- Source : United Nations
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Source : International Diabetes Foundation