Les politiques monétaires au secours de la croissance ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Face à une reprise fragile de leur économie et des risques persistants portant sur la croissance, plusieurs banques centrales de pays émergents ont décidé d’agir cette semaine en assouplissant fortement leur politique monétaire.

Ainsi, après le cycle de resserrement monétaire conduit depuis mi-2010, la banque centrale d’Inde (RBI) a abaissé le taux repo pour la première fois de 50pb à 8%. De son côté, la banque centrale du Brésil a poursuivi son cycle d’assouplissement entamé à la fin de l’été 2011, qui avait déjà entrainé une baisse de 225pb du taux SELIC, en le réduisant à nouveau de 75pb pour le porter à 9%.

Ces assouplissements ont été permis par le retournement à la baisse des taux d’inflation depuis quelques mois : l’inflation brésilienne est passée d’un pic de 7,3% en septembre 2011 à 5,2% en mars 2012 alors que l’inflation indienne a atteint 7% en février 2012 après 10% en septembre 2011. Pour autant, ces taux d’inflation restent à des niveaux élevés et le risque inflationniste reste une préoccupation des autorités ce qui devrait constituer un frein à davantage d’assouplissement dans les mois qui viennent dans ces deux pays.

En Chine, le ralentissement de la croissance n’a pas, pour le moment, conduit à desserrer la politique monétaire de façon généralisée : si le taux de réserves obligatoires a été abaissé de 100pb (et pourrait continuer de l’être), ceci nous semble être plus la conséquence de la moindre accumulation des réserves de change qu’un assouplissement monétaire à proprement parler1. Le taux prêteur à un an a, pour le moment, été maintenu à 6,56%. Nous voyons également peu de marges de manœuvre pour abaisser les taux en Chine : certes l’inflation a reflué pour atteindre 3,6% en mars (après 6,5% en juillet 2011), mais le risque inflationniste reste important avec la forte progression des salaires (+13% prévu cette année sur le salaire minimum).

Dans les pays développés, il n’y a plus guère de marges de manœuvre du côté des taux directeurs qui se situent déjà à de très bas niveaux. La Banque Centrale Européenne pourrait encore abaisser le taux refi (à 1% actuellement) mais elle ne semble pas encline à le faire pour le moment. Pour autant, comme nous l’avons déjà souligné à plusieurs reprises, une baisse de taux serait la bienvenue dans un contexte de très faible redémarrage de la croissance et de récessions dans certains grands pays européens (Italie, Espagne).

L’assouplissement monétaire dans les pays développés s’est matérialisé par la mise en place de mesures non conventionnelles impliquant la hausse du bilan des banques centrales : rappelons que le bilan de la BCE a atteint 2974Md€ mi-avril (vs 1450Md€ mi-2008) et celui de la Réserve Fédérale américaine est passé d’environ 940Md$ avant la crise de 2008 à 2926Md$ aujourd’hui. Récemment, les discours officiels de la BCE et de la Fed ont eu tendance à se durcir quelque peu suggérant une période de statu quo : la BCE mentionnait à nouveau le risque inflationniste début avril et certains membres de la Réserve Fédérale (Fed) traditionnellement très dove2 (Yellen et Dudley) ont tenu des discours un peu plus durs éloignant la perspective d’une nouvelle vague de politique quantitative.

Pour autant comme nous le mentionnions la semaine dernière3, la BCE va peut-être être contrainte par les marchés à intervenir plus rapidement pour à nouveau rassurer les investisseurs et éviter un accroissement des tensions sur les dettes souveraines. Aux Etats-Unis, nous n’attendons pas de mesure imminente, la Fed souhaitant tout d’abord finir son opération « twist » en juin, celle-ci consistant à modifier la structure de son bilan en vendant des titres du Trésor de maturités courtes pour acheter des titres longs, le but étant d’aplatir la courbe de taux et favoriser un environnement de taux longs bas. Le communiqué du FOMC qui se tiendra le 25 avril ne devrait pas apporter de grande surprise, nous attendons le maintien de la phrase indiquant que les taux devraient rester bas jusque fin 2014.

Cependant, Bernanke devrait rester assez prudent sur la vigueur de la reprise lors de la conférence de presse ne fermant pas la porte à un QE3. Si la probabilité de ce dernier peut sembler faible aujourd’hui, l’affaiblissement de la croissance que nous attendons, couplé au risque de remontée des taux longs lorsque la Fed arrêtera d’intervenir sur le marché, pourrait cependant la conduire à agir de nouveau.

En Europe comme aux Etats-Unis, l’action des banques centrales n’est probablement pas terminée et le chemin sera encore long avant de pouvoir sortir des politiques monétaires non conventionnelles.

NOTES

  1. Cf. SR 2012-26 « Chine : ne soyons pas déçus s’il n’y a pas d’assouplissement monétaire significatif ».
  2. Dove : membres en faveur d’une politique accommodante
  3. CF. Edito Eco Hebdo du 13/04/2012 « le retour du risque souverain ».

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