par William de Vijlder, Chef économiste de BNP Paribas
Au cours des dernières décennies, la suppression des contrôles de capitaux a permis d’accroître la diversification des portefeuilles internationaux, qui a abouti à une augmentation des flux de capitaux internationaux. Ce phénomène s’est soldé par une interconnexion accrue des marchés financiers. Les corrélations internationales au sein des classes d’actifs, voire entre ces mêmes classes, ont tendance à être élevées, surtout en période de crise. Le graphique ci-joint l’illustre et montre quels pays, parmi les 31 retenus, voient leur monnaie se déprécier significativement face au dollar US. Un nombre important de monnaies sous tension et, plus généralement, des fortes corrélations entre diverses autres variables reflètent trois éléments :
- l’existence de chocs mondiaux, comme une récession, un resserrement ou une détente monétaire aux Etats-Unis qui ont d’importantes répercussions au niveau mondial ;
- les fluctuations de l’aversion au risque au plan international ;
- un effet de contagion avec des tensions financières dans un pays donné entraînant des turbulences dans d’autres marchés.
La question de l’effet de contagion a été largement débattue lors de la crise de la dette asiatique en 1997, de la dévaluation du rouble russe en 1998, de la crise de la dette souveraine dans la zone euro en 2011-2012, du taper tantrum provoqué par l’annonce de la réduction de ses achats d’actifs par la Réserve fédérale américaine en 2013 ou encore, ces dernières semaines, avec le climat d’incertitude politique en Italie.
Note : la variation quotidienne du taux de change par rapport au dollar US a été calculée pour un ensemble de 31 pays émergents. Pour chaque devise, en ne sélectionnant que les observations en dépréciation par rapport au dollar, l’écart-type sur l’ensemble de la période a ensuite été calculé. Le graphique montre (sur une moyenne mobile de 21 jours) le nombre de dépréciations significatives du taux de change, définies comme une dépréciation d’au moins 1,5 écart-type, un jour donné.
La mobilité des capitaux et la diversification des portefeuilles au plan international rendent la contagion possible mais la vraie question est celle de savoir comment la contagion intervient exactement, en d’autres termes quels déclencheurs et quels canaux de transmission font qu’un choc dans un pays se propage à d’autres marchés ? Or, ces canaux sont nombreux et de diverse nature. Il est important de cerner la nature de ce phénomène de contagion pour en mesurer les répercussions économiques et savoir s’il y a lieu de s’inquiéter ou non. Nous donnons ci-après une liste de douze canaux de contagion internationale.
Cette liste ne prétend pas être exhaustive mais elle couvre un large éventail de facteurs :
- Des caractéristiques similaires. Prenons deux pays, A et B. Les échanges commerciaux entre ces pays sont très limités mais tous deux connaissent un déficit des paiements courants et une forte inflation. Des attaques spéculatives ciblées sur le pays A finiront par atteindre également le pays B en raison de leurs problèmes communs. Ce fut le cas des « Cinq Fragiles » (Indonésie, Afrique du Sud, Brésil, Turquie et Inde) lors de l’épisode du taper tantrum. Le déficit courant de ces pays les a rendus plus vulnérables à un resserrement de la Fed.
- Les flux commerciaux. Lorsque les marchés financiers d’un pays A connaissent des tensions, la contagion peut se propager du pays A au pays B lorsque le premier représente une part significative des exportations du second : un repli économique dans le pays A, consécutif aux tensions des marchés, peut entraîner B à sa suite, ce qui se répercutera sur les marchés financiers de B.
- La contagion politique. Donald Tusk, président du Conseil européen, y a fait allusion lors de la crise grecque de 2015. Un changement d’orientation politique dans un pays (ex. : concernant l’adhésion à la zone euro) peut influencer également le débat politique dans d’autres pays et peser sur leurs marchés financiers.
- Le système bancaire. Des banques internationales qui accusent des pertes dans un pays étranger peuvent, par mesure de précaution, resserrer leur politique d’octroi de crédits dans d’autres régions du monde.
- Le canal de l’incertitude. De mauvaises surprises concernant l’évolution de la situation dans un pays donné peuvent entraîner une érosion de la confiance dans les prévisions en général et accroître l’aversion au risque des investisseurs, les amenant à vendre les marchés à risque dans leur ensemble.
- L’arbitrage des risques. Comme nous l’avons expliqué dans l’éditorial du 1er juin dernier, c’est peut-être là la raison pour laquelle le spread s’est creusé entre le Portugal et l’Allemagne, suite à l’élargissement de l’écart entre les taux d’intérêt allemand et italien : les investisseurs qui font confiance à l’Italie sur le moyen terme, et qui comptent sur un rétrécissement du spread le moment venu, saisissent l’opportunité d’un arbitrage rendement/risque plus attractif en Italie en allégeant leurs positions sur d’autres marchés, entraînant ainsi un accroissement des écarts de rendement sur ces derniers.
- La couverture de substitution suite à une diminution de la liquidité. L’élargissement des spreads« bid-offer » (une question centrale lors de la récente correction en Italie) a pu amener les investisseurs à vendre leurs positions sur d’autres marchés où la liquidité était plus grande. Cette stratégie fonctionne dans la mesure où la dynamique des prix est corrélée positivement avec le marché le moins liquide. De toute évidence, un tel comportement augmenterait les corrélations internationales et renforcerait la confiance dans la validité de la stratégie.
- La couverture du risque de perte extrême (tail risk). Un investisseur, préoccupé par les évolutions en cours dans le pays A peut néanmoins considérer que l’achat d’une protection y est trop coûteux. Anticipant une corrélation positive entre les évolutions des marchés des pays A et B, il peut envisager d’acheter une couverture sur le pays B, si elle est moins onéreuse, alors que son véritable objectif est de couvrir sa position sur A.
- La gestion des expositions. Prenons un investisseur ayant construit une exposition à la dette émergente par l’achat de positions dans un fonds obligataire multi-pays. Face à la montée des inquiétudes concernant l’un de ces pays, il devra vendre une partie de son investissement dans le fonds, réduisant ainsi son exposition à tous les marchés.
- La limite de risque. Les pertes sur une position dans le pays A ou une augmentation durable de la volatilité des instruments du pays A peut entraîner la décision de réduire le risque de portefeuille global. Même si la limite de risque à la baisse est atteinte du fait de l’évolution sur un seul marché, les ventes qui s’ensuivent ont un impact sur différents marchés.
- Le comportement grégaire. Dans ce cas, les investisseurs, qui n’ont pas nécessairement une opinion précise sur la valeur intrinsèque d’un marché, suivent la tendance générale, amplifiant ainsi le mouvement des cours. Certes ce facteur n’explique pas les raisons premières de la contagion mais il peut avoir un impact sur son ampleur.
- La similarité des positions. A l’instar du précédent, ce facteur a une incidence sur l’étendue de la contagion. Il explique pourquoi les stratégies de portage (carry trade) peuvent être très volatiles, les investisseurs naviguant au gré de leur état d’esprit entre le renforcement des positions sur le risque (risk on) et leur allégement (risk off) de sorte que de nombreux investisseurs ayant les mêmes objectifs adoptent des stratégies similaires. Dans la mesure où ces positions sont à effet de levier, un accès restreint à la liquidité de financement peut amplifier les mouvements et entraîner des ventes forcées d’actifs.
Comme nous l’avons souligné plus haut, les conséquences économiques de la contagion dépendent de la nature de cette dernière. On peut s’attendre à ce qu’une contagion due à une similarité des caractéristiques (inflation élevée, forts déficits courants, dépendance à des flux de capitaux à court terme, manque de crédibilité de la banque centrale, etc.), à d’étroites relations commerciales ou à un changement majeur de politique économique, ait des répercussions plus importantes sur l’économie réelle que celle due à d’autres canaux.