par Jean-Jacques Friedman, Chief Investment Officer chez Natixis Wealth Management
Entre scénario noir et indicateurs plus résilients, le message délivré par les gestions obligataires et actions n’est définitivement pas le même. Alors que le cycle économique aux États-Unis ne donne pas plus de signes d’essoufflement qu’au premier trimestre 2018 il y a un an, le soutien des banques centrales et des taux durablement bas offrent une protection contre la baisse de la Bourse.
La guerre commerciale, relancée en mai à l’initiative du président américain Donald Trump, a interrompu la dynamique haussière des marchés du début d’année, alimentée par le revirement des politiques monétaires de la Fed et de la BCE. La baisse des marchés actions a cependant été contenue et les valorisations sont désormais en ligne par rapport au niveau de croissance anticipé, avec un multiple de 17 fois les profits 2019 aux États-Unis et de 13 fois en Europe. En revanche, le tableau apparaît plus sombre sur les marchés obligataires où un pessimisme extrême se manifeste au travers de l’évolution des taux. En Europe, ils sont négatifs sur la majeure partie des échéances et aux Etats-Unis les investisseurs sont passés en quelques mois d’une anticipation de deux hausses de taux aux États-Unis à un échéancier incluant dorénavant deux baisses de taux pour la majeure partie des investisseurs. Une situation paradoxale alors que l’inflation est certes toujours inférieure à 2%, mais où les chiffres de croissance trimestrielle ressortent régulièrement proches de 3% en rythme annualisé.
Les signaux apparaissent certes contradictoires, mais plusieurs clignotants restent au vert :
- La progression des salaires au plus haut depuis dix ans aux États-Unis mais sans conséquence sur l’inflation, du fait de son absorption par les gains de productivité.
- La confiance des consommateurs américains qui se renforce encore en mai, pour atteindre son plus haut niveau depuis 15 ans.
- La croissance européenne qui rebondit plus que prévu au premier trimestre, avec une consommation soutenue par les hausses de salaires en Allemagne et en Espagne ou les relances budgétaires en France et en Italie.
- Un niveau d’épargne élevé en Europe qui offre la possibilité d’une poursuite de l’augmentation de la consommation à venir.
Certains indicateurs prédictifs de récession se dégradent aux États-Unis : celui qui est le plus souvent mis en avant est l’inversion de la courbe des taux, auquel on pourrait adjoindre une érosion des pics des marges et de l’effet richesse, du fait de la correction boursière. Mais ces éléments nous apparaissent diffus et ne pas se concentrer sur un élément central, comme cela avait pu être le cas lors des alertes précédentes avec par exemple la chute du prix du pétrole et le risque associé d’une concentration sur un risque obligataire dans le secteur du gaz de schiste.
Le principal élément qui brouille la lecture des indicateurs économiques est la divergence entre les indicateurs industriels qui se dégradent et apparaîtraient proches de la récession, et des perspectives beaucoup mieux orientées sur les services, la construction et la consommation. Cette divergence est en partie liée à la guerre commerciale, mais également à la volonté de la Chine de calmer sa machine industrielle et de piloter le ralentissement structurel de son économie.
Les marchés ont été surpris par la volonté de Donald Trump de relancer les hostilités avec le gouvernement chinois, même si le timing ne surprend guère. Le président américain a profité d’une popularité au plus haut et d’indicateurs économiques solides pour asseoir sa rhétorique protectionniste, une thématique électorale toujours porteuse aux États-Unis. La remontée de ce risque géopolitique est désormais partiellement intégrée par les marchés. L’affrontement entre les Etats-Unis et la Chine est un conflit qui est appelé à durer longtemps, mais plusieurs facteurs militent en faveur d’un compromis favorable à Donald Trump et Xi Jinping, qui devrait se dessiner au cours des prochaines semaines avec des événements importants comme le prochain G20 à Osaka les 28 et 29 juin, et la célébration des 70 ans de la République Populaire -le 1er octobre – que les Chinois ne souhaitent pas assombrir.
En résumé, l’économie américaine ne semble pas manifester plus de signes d’essoufflement qu’il y a un an, même si le cycle de croissance est bien sûr plus mature. En termes microéconomiques, les analystes ont déjà procédé à des révisions baissières à la suite de la baisse de la fin d’année dernière, et les perspectives aujourd’hui affichées apparaissent crédibles. Concernant les flux et les liquidités, les fonds d’actions traditionnels sont toujours très liquides et les investisseurs ne se sont pas repositionnés encore sur les marchés en cette année 2019.
La principale nouvelle qui avait provoqué la hausse des marchés depuis le début d’année était la « capitulation » des banques centrales, avec un revirement de la Fed où les investisseurs avaient conclu à un statu quo en fin de premier trimestre pour les prochains mois. Or, une nouvelle étape a été franchie depuis lors, avec l’espoir d’une politique monétaire de nouveau plus accommodante. Jérôme Powell, le patron de la Fed, n’a pas mentionné explicitement une annonce de baisse des taux directeurs. Mais lors de son discours sur les orientations de long terme de la Fed, tous les observateurs ont bien compris l’orientation très accommodante de ses prochaines décisions. Le président de la Fed a certes mis en avant des risques plus élevés en termes de croissance, mais il a surtout insisté sur le faible niveau de l’inflation et sur les anticipations de cette dernière qui fléchissaient de nouveau à moyen terme. Comparativement à mars dernier, où la notion de pause était mise en avant, une telle intervention rejoint les propos tenus par exemple par le président de la Fed de Saint Louis qui évoque la probabilité d’une baisse dès juillet, ce qui conforte le revirement des banques centrales depuis le début d’année. Du côté européen, même si le discours du 6 juin de Mario Draghi a été moins accommodant que prévu, il a abaissé de 0,2% la croissance et de 0,1% l’inflation pour 2020, en précisant dorénavant qu’aucune hausse des taux n’interviendrait avant le premier semestre au lieu du second semestre 2019.
Après le beau parcours boursier du premier trimestre, nous nous étions positionnés sous exposés sur les actions il y a quelques semaines, à la suite du revirement des banques centrales, des niveaux de valorisation déjà atteints et de l’évolution en ligne droite des marchés depuis le début d’année.
Dans la foulée des déclarations de Donald Trump, nous avons anticipé que la consolidation qui devait suivre n’effacerait pas tous les gains du mouvement haussier du début d’année, car le principal élément de soutien, à savoir le changement d’orientation fondamental des banques centrales, n’était pas remis en cause. Nous avons donc profité du creux de début juin pour revenir à la neutralité sur les portefeuilles en reprenant du risque sur les marchés actions, en choisissant la zone euro et la zone américaine pour nous réinvestir.