par Pierre-Antoine Dusoulier, Fondateur et CEO d’iBanFirst
Et si demain votre banque ne vous permettait plus de faire des virements en dollars ? Cette hypothèse ne relève pas de la fiction, et déjà aujourd’hui, certaines banques ont beaucoup de difficultés à processer les flux en devise américaine, alors que le dollar cristallise de nombreuses inquiétudes. Pour comprendre la situation, il faut s’intéresser à la façon dont les banques opèrent entre elles, et avec leur écosystème.
Première alerte : la machine s’est grippée
Plus que jamais, les écarts entre les établissements financiers se sont creusés, notamment pour trois types d’acteurs bancaires : si l’on grossit le trait, les grandes banques américaines deviennent de plus en plus hégémoniques, face à des banques européennes de taille moyenne en souffrance, et des petites banques à l’agonie. L’accès au dollar, devise des échanges internationaux par excellence, tient une responsabilité prépondérante dans ce phénomène qui bouleverse l’échiquier bancaire au niveau mondial.
Les grandes banques américaines que nous pouvons appeler « Tier 1 », auxquelles appartiennent JP Morgan ou encore Citi pour ne citer qu’elles, sont des championnes de la banque d’investissement. Elles ont une empreinte et un impact globaux. Les banques de « Tier 2 », de leur côté, les talonnent en termes de taille et de produits bancaires. Il s’agit globalement d’institutions européennes et asiatiques qui avaient il y a encore peu de temps de grandes ambitions, parmi lesquelles la Deutsche Bank et la Société Générale. En Tier 3, on retrouve le « commun des banques », celles qui semblent ne pas avoir tiré leur épingle du jeu.
Lorsqu’on se concentre sur le billet vert, seules les banques du premier niveau sont « clearer en dollars », c’est-à-dire autorisées à faire de la compensation dans cette devise. En d’autres termes, l’accès au dollar ne se fait que par leur biais ; ces banques font donc figure d’intermédiaire incontournable.
Pour ce faire, les banques « Tier 1 » proposent aux banques de deuxième niveau un service de « correspondance bancaire ». En effet de cascade, ces organes proposent à leur tour de jouer les intermédiaires pour les banques plus petites ou locales, les « Tier 3 ». Bon an mal an, ce système de poupées russes précaire fonctionnait jusqu’alors.
Jusqu’en 2008 précisément, où la crise financière a sérieusement grippé la machine, bloquant les rouages d’un système jusqu’à présent bien huilé. Résultat ? De nombreux clients se plaignent, et se voient dans l’incapacité d’émettre ou de recevoir des virements / paiements en dollars.
Deuxième drapeau rouge : un système au bord de l’implosion, due à la pression réglementaire
Afin de lutter contre le blanchiment d’argent, de mieux identifier le financement du terrorisme et d’augmenter la transparence de l’ensemble du système financier, les autorités – américaines en tête – ont considérablement augmenté leurs exigences, et les sanctions qui en découlent. Cette austérité n’est que réaction à la pression exercée au global : celle-ci se fait tellement forte que de plus en plus de banques « Tier 1 » n’assument désormais plus leur rôle d’intermédiaire. En cause ? Pas assez de garanties de transparence, et trop de risques d’amendes si d’aventure, elles faisaient transiter malgré elles des flux financiers douteux. Une opération trop risquée, basée sur de (trop) nombreux sacrifices, notamment si elles prennent le pari d’onboarder . Par effet de domino, elles obligent ainsi les banques « Tier 2 » à avoir des procédures de conformité toujours plus strictes, exigent la réorganisation de départements entiers quand elles n’imposent pas la refonte de systèmes d’information colossaux, avec des coûts de développement et de maintenance très lourds. Fatalement, les banques « Tier 2 », pour des raisons de traçabilité des mouvements financiers, sont à leur tour réticentes à jouer les intermédiaires envers les banques « Tier 3 ». Privant ces dernières de l’accès aux plus grandes devises, et notamment au dollar.
Pour les opérateurs de financement aux entreprises, ne nous mentons pas : c’est une bonne nouvelle. En tant que fintechs, partie d’une page blanche, elles cochent toutes les cases exigées par les clearers en dollars, là où les banques faillissent. Aujourd’hui si l’on souhaite avoir un bon accès à cette devise, il ne reste que deux options : avoir une relation avec un « O Tier 1 », ou se diriger vers des acteurs alternatifs, qui fondent les contours d’un nouveau monde bancaire.
La correspondance bancaire est un exemple des tremblements de terre qui secouent l’univers bancaire. Nouvelles procédures et nouvelles législations créent un terrain de jeu exceptionnel pour les fintechs : un terrain que nous n’avons pas fini de défricher.