par Isabelle Job, économiste chez Calyon (Crédit Agricole)
Les banques centrales ne font pas qu’agir, elles communiquent également sur leurs actions. La transparence de leurs décisions s’est progressivement imposée comme une norme servie par une politique bien huilée de communication. Mais avec la crise, la donne change et met au défi cette stratégie où la parole supplante parfois les actes.
En temps normal, cette stratégie de communication a sa logique. Le temps est révolu où les questions monétaires étaient discutées en secret et où l’effet de surprise avait valeur d’efficacité. Depuis quelques années, les banques centrales ont compris l’intérêt à instaurer un dialogue ouvert avec le public et en particulier avec les marchés.
Une plus grande transparence et une meilleure prédictibilité des décisions de politique monétaire contribuent à réduire l’incertitude et la volatilité des marchés financiers tout comme elles aident à la formation rationnelle des anticipations. Plus que le geste, la parole, et les informations qu’elle véhicule, est censée guider les anticipations des agents vers la trajectoire de taux d’intérêt la plus probable. Pour des marchés efficients qui s’ajustent instantanément, ce bon ancrage est garant d’efficacité et participe à une meilleure transmission de la politique monétaire. Autrement dit, l’action et les mots se font écho pour servir efficacement les objectifs des banques centrales.
La crise a mis à l’épreuve cette politique de communication des banques centrales. Les opérateurs désorientés ont braqué leur attention sur elles dans l’espoir d’y puiser quelques certitudes dans un environnement hautement incertain. Tout ce qui a pu émaner de ces institutions a été disséqué et analysé en détail, ce qui a joué tantôt un rôle stabilisateur mais a aussi pu parfois catalyser certaines angoisses, preuve que la communication peut s’avérer une arme à double tranchant.
D’un côté, leur ferme engagement à fournir coûte que coûte de la liquidité pour apaiser les tensions sur le marché monétaire et aider au refinancement des banques a sans équivoque permis de préserver le cœur du système. De l’autre, leurs interventions de prêteurs en dernier ressort ou leurs opérations de sauvetage d’acteurs financiers en difficulté ont secoué les marchés de spasmes émotionnels. On a ainsi assisté au « run » sur Northern Rock après que la banque d’Angleterre ait admis avoir débloqué une aide d’urgence. Les règles de transparence ont rendu inopérant le re-cours à la fenêtre d’escompte, jugé trop stigmatisant, obligeant les banques centrales à innover pour continuer d’assurer leur rôle de prêteur en dernier ressort. On a également vu une Fed impuissante à prévenir la panique financière qui a suivi la faillite de Lehman. Les règles de transparence et de communication qui sont utiles dans la conduite de la politique monétaire traditionnelle se sont avérées déficientes, voire contre-productives lorsqu’il s’est agi de préserver la stabilité financière, ce qui pose question à l’heure où ce rôle de garant du système reprend du galon.
Par ailleurs avec la crise, les banques centrales sont passées en mode non-conventionnel après avoir épuisé tous les ressorts de la politique traditionnelle. De simples intermédiaires, elles sont parfois devenues de véritables arbitres des échanges sur certains marchés endommagés par la crise. Comment alors communiquer puisqu’une telle mise sous perfusion interfère avec les règles élémentaires de concurrence « pure et parfaite », chères aux marchés ? Comment également convaincre de la préservation d’une totale indépendance au moment où certaines d’entre-elles rachètent de la dette des États ? Comment enfin s’extraire des mesures exceptionnelles consenties au plus fort de la crise pour revenir à des modes d’intervention plus classiques ? Chacune de ces réponses est un défi que la communication des banques centrales va devoir relever. Il est clair que leur politique de communication sortant désormais du champ bien établi, le dialogue avec les marchés entre dans une nouvelle phase d’apprentissage.
Des couacs sont inévitables comme en témoigne l’emballement récent des marchés à l’idée d’un tour de vis monétaire aux États-Unis dès la fin de cette année. Un tel geste est certes peu probable dans un environnement où plane encore la menace déflationniste mais le simple ajustement des marchés de taux à une telle hypothèse risque de mettre en danger la reprise naissante.
Il faut espérer que ce processus d’apprentissage finisse par rendre suffisamment audible la communication des banques centrales et ne transforme pas ce dialogue ouvert avec les marchés en un dialogue de sourd.