par Jésus Castillo, économiste chez Natixis
Premier pays de la zone euro à publier l’estimation préliminaire de son PIB pour le troisième trimestre, l’Espagne avec 0,5% de croissance entre juillet et septembre devrait enregistrer la meilleure performance parmi les quatre grandes économies de la zone euro. Certes en léger retrait par rapport au trimestre précédent, quand le PIB avait progressé de 0,6%, l’Espagne atteint néanmoins un taux de croissance de 1,6% en GA au T3, niveau qu’elle n’avait plus connu depuis le début de la crise mi-2008.
En comparaison, au T3 l’Allemagne devrait se contenter d’une hausse de 0,2%, la France d’un maigre 0,1% et l’Italie connaîtrait un troisième repli consécutif de son PIB de -0,1% (les estimations pour ces pays seront publiées le 14 novembre prochain). A l’horizon 2016 cette tendance devrait se confirmer. En effet, d’après nos estimations, la croissance moyenne en 2015-2016 de la France, l’Allemagne et l’Italie réunies devrait se situer à environ 0,9% alors que celle de l’Espagne atteindrait environ 1,8% en GA, soit le double.
De même en terme de contribution à la croissance, alors que sur la période 2010-2013 l’Allemagne, la France et l’Italie contribuaient à expliquer les trois quarts de la croissance de la zone euro, ce seront désormais les trois pays les plus durement touchés par la crise (Espagne, Grèce et Portugal) qui expliqueront près de la moitié de la croissance de la zone alors même que leur poids n’est que de 14,5% du PIB de l’UEM (contre 66% pour les trois grands).
Peut-on enfin affirmer que l’Espagne est définitivement tirée d’affaire ? Probablement non. Comme le rappelait récemment son ministre de l’économie « le pays est seulement sorti des soins intensifs » et reste en convalescence, c’est-à-dire dans une situation de grande fragilité. Comme nous l’écrivions ici même au mois de juillet1, si les signes d’amélioration sont évidents et prometteurs, l’héritage des différentes crises qui ont touché l’Espagne constitue une source de fragilité non négligeable.
Le changement de modèle est en cours mais la période de transition rend l’économie espagnole très vulnérable à n’importe quel choc qu’il soit d’origine extérieure ou domestique. Or au cours des prochains mois les sujets de préoccupation continueront d’être nombreux. Du côté des risques extérieurs, le plus évident concerne l’évolution de la croissance de la zone euro. La reprise espagnole s’est largement appuyée sur les exportations, principalement vers les autres pays de la zone euro. L’évolution actuelle de ses principaux partenaires commerciaux (ralentissement en Allemagne, stagnation en France, récession en Italie) constitue ainsi un risque baissier si la situation venait à se détériorer davantage. De même les incertitudes concernant la croissance de certains grands pays émergents (Brésil, Chine, OPEP) pourraient aussi toucher les nouveaux marchés vers lesquels les entreprises espagnoles tentent de se développer. Enfin, l’évolution des tensions géopolitiques en Europe (crise russo-ukrainienne) et dans le reste du monde (conflits au moyen orient, en Afrique), totalement imprévisibles ne sont pas de nature à consolider la légère amélioration de la confiance observée ces derniers mois dans la péninsule.
Nous identifions deux risques du côté domestique, tous deux de nature politique. A très court terme, le premier concerne la question de la Catalogne. C’est une source de défiance, principalement pour les investisseurs étrangers. En effet, de notre point de vue il est très peu probable que la Catalogne finisse par se séparer de manière unilatérale du reste du Royaume. D’une part, le rapport coût-bénéfice ne nous paraît pas évident et même défavorable à la création d’un nouvel état indépendant. D’autre part, quand bien même un referendum légal2 venait à être organisé, le résultat d’un oui massif à l’indépendance n’est pas garanti. Néanmoins, la probabilité d’élections régionales anticipées, comme issue à la crise politique actuelle entre Madrid et Barcelone, est de plus en plus forte. Le deuxième risque politique est d’envergure nationale et lié aux élections législatives qui doivent se tenir à l’automne 2016.
Traditionnellement gouverné par l’alternance entre le Parti Socialiste (PSOE) et le Parti populaire (PP, actuellement au pouvoir), une troisième alternative est en train d’émerger avec l’apparition d’une nouvelle force politique du nom de « Podemos » (littéralement « nous pouvons »). Celle-ci est venue lors des élections européennes contester la suprématie des deux grands partis qui accumulaient habituellement près de 80% des voix à ce type de scrutin (contre environ 50% en mai dernier). Au final, le résultat dépendra de l’effet de ces incertitudes sur le moral des espagnols en espérant qu’elles ne briseront pas la timide amélioration de la confiance.
NOTES
- Eco hebdo n°26 – 4 juillet 2014 – « Renaissance espagnole ? »
- Le referendum du 9 novembre prochain a été interdit par le Tribunal constitutionnel et la pseudo-consultation que le gouvernement régional tente de maintenir à la même date a peu de chances d’aboutir et dans tous les cas n’aura aucune valeur légale, ni même de représentativité, tant les conditions de son organisation sont éloignées des standards des scrutins des démocraties modernes