par Jean-Luc Proutat, économiste chez BNP Paribas
L’euro récupère des vents porteurs. A 1,34 dollar le 22 septembre, sa valeur contre la devise américaine progresse de 2,8% sur la semaine qui s’achève. Elle gagne 12% depuis le 7 juin, qui marque le dernier point bas (1,19 dollar pour 1 euro). Les causes de cette remontée sont diverses.
D’abord, le billet vert apparaît moins attractif. Durant les mois d’été, les chances de voir sa rémunération augmenter se sont étiolées avec la reprise américaine. Outre-Atlantique, il n’est plus question de normaliser la politique monétaire mais bien de l’assouplir davantage. Le message délivré par le Comité de l’open market à l’issue de sa réunion du mardi 21 septembre est à cet égard sans ambiguïté. Ce dernier se déclare prêt à « fournir des assouplissements additionnels, si besoin est, pour soutenir la reprise économique […] ». Dans les mois à venir, les achats officiels d’obligations du Trésor reprendront ; les taux d’intérêt à court terme attachés au dollar resteront proches de zéro.
Ensuite, la zone euro rassure davantage les marchés. La coopération entre Etats y progresse, non sans mal mais de manière indubitable. Un fonds européen de stabilisation financière pouvant mobiliser jusqu’à 450 milliards d’euros a vu le jour, qui vient de se voir attribuer la notation AAA. Avec les ressources apportées par le FMI, sa capacité d’intervention couvre largement les besoins d’emprunts de l’Espagne, du Portugal, de la Grèce et de l’Irlande jusqu’en 2013. L’autre sujet de satisfaction émane de la publication des résultats du test de résistance demandé aux banques européennes. Ce n’est pas tant l’exigence de fonds propres (3,5 milliards d’euros), somme toute modeste, que l’exercice de transparence qui a joué en faveur de la zone et de ses banques.
La conséquence est que les spreads associés aux dettes souveraines des pays dits «périphériques » peuvent, pour l’instant, s’écarter sans dommage pour la monnaie unique. Ce qui est finalement nouveau en zone euro, c’est que les uns et les autres y empruntent à des taux très éloignés sans que celle-ci menace d’éclater. Le 21 septembre, l’Irlande a levé 1 milliard de dette à 8 ans en payant un coupon de 6%. C’est le triple du coût de financement de l’Allemagne. La Grèce conserve elle-même un accès au marché primaire, mais sur des échéances courtes et à des taux très élevés. L’Etat hellène emprunte à 4% sur 13 semaines, soit à un coût huit fois supérieur à celui des swaps eonia de même échéance, considérés comme sans risque.
La conjoncture européenne est, enfin, vue différemment depuis que l’Allemagne a publié des statistiques d’activité flamboyantes au deuxième trimestre 2010. La zone euro a retrouvé sa locomotive et avance plus vite que les Etats-Unis. Sa croissance atteignait 4% en rythme annualisé au printemps dernier ; au troisième trimestre 2010, elle devrait se maintenir dans une fourchette de 2% à 2,5%. Certes, le tournant de la rigueur budgétaire et l’essoufflement américain promettent un avenir moins brillant. L’indice PMI du mois de septembre, qui s’affiche à 53,8 et perd 2,4 points par rapport à août, signale d’ores et déjà un ralentissement. Mais celui-ci reste mesuré, quelques pays comme la France faisant même de la résistance.
Selon certains observateurs, le différentiel de conjoncture Europe – Etats-Unis justifierait une remontée des taux d’intérêt plus précoce de ce côté-ci de l’Atlantique, ce qui serait peu classique (la Fed menant habituellement le bal) et soutiendrait l’euro.
La chose n’est pourtant pas acquise. Même s’il concerne un nombre restreint d’établissements, le refinancement à 1% auprès de la BCE reste une aide précieuse au portage des créances compromises. En durcir les conditions dès 2011 n’irait pas de soi, fût-ce dans un climat économique amélioré. L’évolution des indices de prix ne milite pas en faveur d’un relèvement précoce du refi. L’inflation sous-jacente (hors alimentation et énergie) est à l’étiage de 1% et devrait s’y maintenir, compte tenu notamment du recul des coûts salariaux unitaires. Le refinancement au prix fort des pays périphériques de l’UEM n’affecte pas l’euro aujourd’hui mais questionne néanmoins le futur. Il est clair qu’émettre de la dette à 6% lorsque le PIB nominal baisse de 3,6% (sur un an et au deuxième trimestre 2010) n’aide pas l’Irlande à stabiliser son ratio d’endettement. La situation actuelle n’est donc pas extrapolable.
Enfin, tout ne joue pas en défaveur du dollar, comme par exemple les phases de tension sur la liquidité, qui lui profitent plutôt. Il faut ainsi rappeler que, depuis la crise et lorsque les banques centrales d’Europe et des Etats-Unis interviennent, ce n’est pas pour soutenir le billet vert mais, au contraire, pour en accroître la distribution en nouant entre elles des accords de swaps. On l’explique par le fait que les besoins de refinancement des banques européennes dans la devise américaine ont augmenté suite à l’accroissement de leurs engagements en dollar. La BRI les évaluait à 8 000 milliards de dollars dans son rapport de 2009, soit un niveau quatre fois supérieur à celui du début des années 2000.