par Christopher Dembik, Responsable de la recherche macro-économique chez Saxo Bank
Le marché table désormais sur une stabilisation de l’économie, même les risques pesant sur la croissance à court terme sont toujours présents. De plus, nous doutons de la capacité des banques centrales à raviver la croissance en procédant à des injections plus massives de liquidité en 2020.
Depuis plusieurs mois, les banques centrales sont se sont massivement mobilisées pour stimuler l’activité économique. Selon nos calculs, plus de 60 % des banques centrales dans le monde mènent des politiques d’assouplissement : du jamais vu depuis la grande crise financière. De nombreux investisseurs attribuent la hausse du marché aux interventions de la Fed sur le marché interbancaire (repo) et à la poursuite des négociations entre la Chine et les États-Unis en vue de trouver un accord commercial. Un nombre croissant d’intervenants sur les marchés évoque la possibilité d’une rotation vers les valeurs cycliques et les marchés émergents. Nous pensons toutefois que les risques pesant sur la croissance sont toujours d’actualité et nous attendons une baisse plus marquée du dollar avant de nous repositionner sur les marchés émergents. Nous doutons de la capacité des banques centrales à relancer la croissance en procédant à des injections plus massives de liquidité en 2020. Cela signifie qu’il faudra également des mesures de relance budgétaire pour stimuler le cycle économique actuel.
La Chine joue la carte de l’attentisme
En Asie, l’une des principales actualités est que notre indicateur avancé pour l’économie chinoise, l’impulsion du crédit (ou « Credit Impulse »), est en passe de se rétablir en territoire positif pour la première fois depuis le quatrième trimestre 2017. Il s’établit actuellement à -0,4 % du PIB. Dans la mesure où la Chine représente un tiers de l’impulsion de la croissance mondiale, le rétablissement de l’impulsion du crédit en territoire positif pourrait avoir un effet positif sur la croissance en 2020. Toutefois, contrairement aux précédentes périodes de ralentissement (2008-2010, 2012-2014 et 2016), l’impact du rétablissement de l’impulsion du crédit en territoire positif en Chine devrait être nettement plus limité à cause des trois raisons suivantes :
- Le mécanisme de transmission de l’impulsion du crédit ne fonctionne plus aussi bien qu’avant car de nombreuses banques chinoises sont criblées de dettes irrécouvrables ;
- L’intensité du crédit a considérablement augmenté ces dernières années. Avant 2008, la Chine avait besoin en moyenne d’une unité de crédit pour créer une unité de PIB. Depuis la GFC, il lui faut 2,5 unités de crédit pour créer une unité de PIB. Cela signifie que les injections massives de crédit ne sont plus la solution miracle.
- Les inconvénients de l’impulsion du crédit (accumulation de dettes et taux de service de la dette du secteur privé très élevé) ont tendance à l’emporter sur les avantages (taux faibles et plus grande liquidité).
Par ailleurs, les autorités publiques ont totalement mis un terme au processus de désendettement des établissements financiers. Si nous utilisons l’évolution des prêts aux établissements financiers non bancaires comme indicateur, nous constatons une forte augmentation du nombre de prêts en 2018, au plus fort de la guerre commerciale, suivie d’une reprise du processus de désendettement à compter de mi-2019 (le nombre total de prêts aux établissements financiers non bancaires ressort en baisse de 8,4 % en rythme annuel en octobre). À l’exception de certains ajustements à la marge, comme la baisse du taux d’intérêt sur les prêts à un an, intervenue en novembre, nous pensons que la Banque populaire de Chine jouera la carte de l’attentisme cette fin d’année et jusqu’à la fin du premier semestre 2020.
Reste du monde : tous les yeux sont rivés sur l’Allemagne
En Europe, l’économie reste en berne. Nous tablons sur un taux de croissance quasi nul en zone euro au quatrième trimestre 2019 en rythme annuel. Ce qui nous préoccupe le plus est la divergence croissante entre les pays qui résistent aux difficultés actuelles (France, Espagne et Portugal) et les pays qui sont confrontés simultanément à des difficultés conjoncturelles et structurelles (notamment l’Allemagne). Dernièrement, certains signes suggèrent que l’économie allemande semble avoir atteint un point bas. Le pays a évité la récession technique au troisième trimestre grâce à un rebond de la demande externe en provenance du Royaume-Uni et de la Turquie. La dernière enquête sur le niveau de confiance des consommateurs indique que ces derniers sont toujours fortement enclins à dépenser.
Nous pensons toutefois que le pire est à venir pour l’Allemagne :
Sur le plan conjoncturel, le pays souffre toujours du ralentissement de l’économie chinoise. Avec un volume d’échanges d’environ 200 milliards d’euros, la Chine est le principal partenaire commercial de Berlin. Les derniers chiffres montrent que la croissance des exportations allemandes vers la Chine continue de ralentir (-8,2 % en octobre) et, d’après les statistiques provisoires, la situation pourrait empirer dans les prochains mois et aboutir à une nouvelle contraction de l’indice PMI manufacturier allemand en décembre ou en janvier.
Sur le plan structurel, nous constatons une détérioration de la qualité du PIB, car les dépenses publiques compensent la contraction des investissements et de la demande intérieure, traduisant une érosion de la confiance du secteur privé. Nous constatons également que l’Allemagne ne s’est toujours pas attaquée au problème de la mauvaise allocation des fonds destinés à financer la recherche et le développement (R&D). Le pays est bien positionné en termes d’investissement R&D mais 50 % des fonds sont affectés au secteur automobile, en berne, ce qui se traduit par des sous-investissements chroniques dans le secteur des technologies, de l’information et de la communication. Cela explique en grande partie pourquoi l’Allemagne accuse un retard sur l’Asie et la Chine dans les nouveaux secteurs innovants. Même s’il est exagéré de dire que l’Allemagne est le nouveau grand malade de l’Europe, il est évident que le pays n’est plus la locomotive de la croissance européenne. En déclin, elle sera a priori incapable de rééditer de sitôt ses performances économiques antérieures.
Aux États-Unis, le scénario d’une récession en 2020 est peu probable. La plupart des indicateurs avancés américains montrent un ralentissement de la croissance, sans pour autant suggérer une récession. L’indicateur économique avancé (IEA) publié par le Conference Board, a ralenti et indique un taux de croissance nul en octobre. Il est clair que l’industrie américaine connaît un ralentissement conjoncturel. L’activité manufacturière américaine, réputée être un indicateur fiable de l’évolution des bénéfices industriels, s’est repliée à 48,3 en octobre, après avoir atteint un point haut annuel de 56,6 en janvier dernier. Il convient de ne pas surestimer le récent et léger rebond (de 47,8 à 48,3) car l’impact de la guerre commerciale se fait toujours sentir et la croissance chinoise reste en berne.
Cela étant, la consommation des ménages devrait continuer à soutenir l’activité économique, comme ce fut le cas au premier et au deuxième trimestre de cette année. La consommation des ménages est le principal contributeur à la croissance du PIB depuis le début de l’année, tendance qui devrait se poursuivre au cours des prochains trimestres. Les dépenses publiques, assez faibles, pourraient augmenter si le ralentissement était plus marqué que prévu. Le seul point préoccupant est lié aux investissements fixes, qui pèsent sur la croissance du PIB depuis janvier et qui ne sont pas prêts de rebondir, si l’on en croit le manque de confiance des dirigeants d’entreprise. Dans l’ensemble, nous ne sommes ni optimistes ni pessimistes à l’égard de l’économie américaine. Nous tablons sur un taux de croissance d’environ 1,6 % l’an prochain, sur une inflation limitée et sur un taux de chômage qui restera inférieur à 4 %.