par Mo Ji, Stratégie et Recherche économique chez Amundi
L’Inde est-elle idéalement positionnée à court terme ? A cette question, les investisseurs internationaux répondent par l’affirmative en raison de plusieurs facteurs favorables, notamment:
(1) l’effet Modi;
(2) le report et/ou les étapes progressives du relèvement de taux de la Fed;
(3) la faiblesse des cours du pétrole;
(4) le contexte de désinflation mondiale; et
(5) la possibilité pour la Banque centrale de l’Inde (RBI) d’assouplir sa politique. Les marchés boursiers indiens ont récompensé l’effet Modi ainsi que d’autres facteurs en s’appréciant de 50 % (Indice Nifty) en l’espace d’un an dès mai 2014, après la prise de fonctions de M. Modi. Toutefois, depuis le mois de mai 2015, la performance des marchés est quelque peu décevante. Des incertitudes font surface parmi les investisseurs concernant la capacité de l’Inde à conserver son « positionnement idéal » (sweet spot).
Il est peu probable que les cinq facteurs mentionnés précédemment évoluent à court terme. En effet, compte tenu de nos prévisions d’une faiblesse persistante des cours du pétrole et d’un environnement de désinflation mondiale, un relèvement de taux de la Réserve fédérale américaine sera progressif et la RBI est parée pour un assouplissement prolongé et plus agressif. L’élément décisif quant à la direction que prendront les marchés serait par conséquent l’évolution de l’effet Modi, à savoir:
(1) comment les réformes structurelles seront déployées ;
(2) comment le rythme de leur mise en œuvre sera accéléré ;
(3) comment une croissance durable pourra être garantie (compte tenu des ralentissements survenus cette année), et, plus important encore;
(4) comment le potentiel de croissance à long terme sera libéré. Autant d’éléments incertains qui assombrissent les perspectives des marchés.
L’Inde suivra-t-elle le modèle chinois?
La question que tout le monde se pose est la suivante: L’Inde suivra-t-elle le modèle chinois ? Il semblerait qu’une opinion fasse consensus sur le long terme, en raison (1) du potentiel de croissance, notamment si l’on tient compte du contexte démographique favorable; (2) des étapes de développement, semblables à celles de la Chine il y a 10 ou 15 ans, où un écart doit être comblé ; (3) des réformes institutionnelles, qui sont aussi comparables que différentes vis-à-vis de la Chine et qui soutiendront fondamentalement la croissance ; et (4) du potentiel de marché, au vu du potentiel de croissance à long terme.
La perspective que l’Inde puisse suivre le modèle de la Chine est tout à fait réjouissante. Mais les questions qui en découlent sont les suivantes :
(1) Quels en sont les principaux éléments déclencheurs ?
(2) L’Inde prendra-t-elle la même direction que la Chine?
(3) L’Inde peut-elle atteindre un degré d’expansion du PIB semblable à celui de la Chine, alors même que le PIB de la Chine est aujourd’hui 58 fois plus important qu’en 1979, soit 36 ans plus tard?
(4) Si l’on fait preuve d’un peu plus d’optimisme, l’Inde peut-elle atteindre un degré d’expansion du PIB semblable à celui de la Chine en bien moins de temps?
(5) Si l’on se montre plus pessimiste, l’Inde échouera-t-elle et n’atteindra-t- elle jamais un développement semblable à celui de la Chine et, si elle échoue réellement, quels sont les principaux obstacles à sa réussite?
(6) Dans quelle mesure ce cycle de reprise mondiale durablement atone se répercute-t-il sur le développement de l’Inde ?
Au vu des éléments exposés, la question « L’Inde suivra-t-elle le modèle de la Chine » semble encore dépendre d’un certain nombre de conditions et le contexte nous paraît toujours très indéterminé.
Quelles sont les différences institutionnelles entre l’Inde et la Chine ?
L’Inde et la Chine ont eu des statuts quasi identiques les 400 années précédant 1980. Ces deux nations avaient pour habitude d’imiter leurs politiques monétaires, parfois par le jeu des circonstances, d’autres fois par une idéologie semblable, par exemple en mettant toutes deux en œuvre des programmes quinquennaux. La Chine a lancé ses premières réformes au début des années 1980. Dès lors, le régime autoritaire chinois s’est développé à un rythme bien plus soutenu que le régime démocratique indien, et bien plus rapidement que tout autre pays du monde, notamment le Japon (régime démocratique), Singapour (régime semi- démocratique) et la Corée (régime autoritaire puis démocratique). Le modèle chinois peut-il être reproduit ou bien n’est-il qu’un événement unique ?
Les remarquables développements économiques en Chine de ces trente dernières années contrastent nettement avec les développements bien moins prodigieux de l’Inde. Les principales caractéristiques du modèle chinois sont le fait d’un contrôle étatique et d’une gestion autoritaire, qui induisent une rapidité dans les prises de décisions, notamment en crise économique, et s’avèrent plus pragmatiques, progressifs et stables lorsqu’il s’agit de soutenir le développement économique et la répartition des richesses.
Ce qui manque cruellement au régime démocratique indien est cette autre forme de liberté: la liberté économique. Soutenir la croissance n’est pas chose facile dans une démocratie bancale et, même dans le cas d’une démocratie stable, les évolutions économiques sont susceptibles de créer des conflits relatifs à la répartition et d’exercer des pressions sur les institutions démocratiques. La répartition des richesses en Inde est un problème considérable et une source d’inquiétudes permanentes.
Quelles sont les différences économiques entre l’Inde et la Chine ?
1. Des étapes du développement différentes: les deux économies sont différentes en termes de composition et en matière de stades de développement: selon le PIB par habitant ajusté de la parité de pouvoir d’achat, la Chine était au niveau actuel de l’Inde il y a près de dix ans, et s’est développée nettement plus rapidement que son homologue ces trente dernières années. Les prévisions du FMI révèlent quant à elles que l’Inde devrait surperformer durablement la Chine ces cinq prochaines années en matière de croissance.
2. Des structures économiques différentes: les deux économies sont également structurées différemment, bien qu’il doive y avoir une plus grande convergence à l’avenir car la Chine procède actuellement à un rééquilibrage en privilégiant une plus forte consommation et moins d’investissements étrangers, et l’Inde s’efforce de lancer un cycle d’investissement. Il en va de même pour l’industrie indienne, qui devrait voir son PIB augmenter ces prochaines années en dehors du secteur agricole, tandis que la Chine développe son secteur tertiaire.
3. Des défis économiques différents: le lourd endettement de la Chine est considéré comme l’un des principaux obstacles aux perspectives de croissance. Et l’environnement de faible inflation en Chine ne fait que renforcer ces inquiétudes. En Inde, si l’endettement global est nettement moins important, et se compense d’autant par son taux d’inflation plus élevé qu’ailleurs dans le monde, la faible pénétration financière reste problématique. En outre, les créances douteuses en Inde sont sous-déclarées et en augmentation, et pourraient ces prochaines années peser sur le système bancaire, en particulier en raison des importants niveaux de prêts aux entreprises.
4. Une démographie différente : la croissance économique et la politique de l’enfant unique ont fortement impacté l’évolution démographique chinoise (1,36 milliard d’habitants et un taux de fertilité de l’ordre de 1,5). De nombreux experts estiment que la Chine vieillira (le nombre de personnes âgées de plus de 80 ans est 9x plus élevé en 2015 qu’en 1970) avant de s’enrichir. La rapide croissance démographique en Inde (1,25 milliard de personnes et un taux de fertilité de 2,5) a jusqu’à présent pesé sur l’amélioration de la prospérité, mais son taux de dépendance devant poursuivre sa baisse ces dix prochaines années, l’Inde est de ce fait mieux positionnée que la Chine. Si la Chine a ouvert son économie commerciale bien plus tôt que l’Inde, son ratio échanges/PIB est désormais identique à celui de l’Inde (50 % pour l’Inde et 44 % pour la Chine). Par conséquent, en chiffres bruts, la dépendance à la croissance mondiale semble similaire pour les deux économies.
5. Une configuration différente des infrastructures: les indicateurs montrent que l’Inde est significativement à la traîne en ce qui concerne le développement des infrastructures par rapport à la Chine. Si en termes de télédensité (connections téléphoniques pour 100 personnes), la Chine a presque 10 années d’avance sur l’Inde, l’écart semble se combler. La productivité en est affectée et prend du retard. En particulier, la pénétration du haut débit en Chine s’élève à 36 % contre seulement 6 % en Inde (selon les normes réduites).
6. Des profils de marché différents: la performance des marchés la volatilité sont peu intéressantes, principalement en raison d’un grand nombre d’entreprises publiques sur le marché et de leur dépendance aux politiques gouvernementales. En Inde, ce sont les entreprises privées qui boursiers chinois est de nature volatile. Les performances ajustées de dominent le marché. En termes de composition sectorielle, les marchés actions chinois et indien sont là aussi différents: le marché indien est bien plus diversifié que son homologue chinois.
Quels sont les facteurs essentiels qui permettront à l’Inde de passer à la prochaine étape de son développement ?
La croissance économique soutenue en Chine ces trente dernières années est sans précédent dans l’histoire des marchés. L’Inde sera-t-elle la prochaine économie à réaliser un tel miracle ? Ou le pourra-t-elle seulement ?
Les facteurs généraux de réussite pour qu’un pays accède au prochain stade de développement, se trouvent habituellement dans:
(1) une démographie favorable, qui apporte un excédent de main-d’œuvre à l’économie;
(2) une demande externe et un financement mondiaux en faveur de l’économie ;
(3) des réformes économiques, qui fournissent des motivations d’investissement pour le secteur privé en utilisant un excédent de main-d’œuvre et un financement (IDE) pour améliorer la productivité.
En tant qu’investisseurs, nous nous sommes toujours demandé pourquoi, étant donné que l’Inde possède un excédent de main-d’œuvre et une ouverture commerciale, n’existe-t-il pas un investissement étranger direct qui tienne la cadence (principale source de financement) ? Pourquoi la baisse des coûts de financement n’a-t-elle pas permis de stimuler l’économie ? Fondamentalement, nous pensons que cela est dû à un certain nombre de facteurs:
(1) une productivité du travail extrêmement faible (en termes de valeur ajoutée par travailleur, la Chine est près de neuf fois plus productive que l’Inde dans le secteur industriel, et cinq fois plus dans les services);
(2) des infrastructures très à la traîne, qui engendrent une hausse des coûts logistiques; et
(3) une législation du travail très stricte (seules les sociétés de plus de 40 employés ne sont pas autorisées à licencier).
1. Dans ce cas, comment améliorer la productivité du travail ?
Si certains estiment que le taux d’alphabétisation en Chine est peut-être exagéré, il n’y a aucun doute sur le fait qu’il a atteint un niveau remarquable, principalement car les Chinois doivent apprendre des caractères plutôt qu’un alphabet. Plus de 96 % de la population chinoise est alphabète, contre seulement plus de 71 % en Inde. Le taux de croissance du PIB réel actuel et durable, de l’ordre de 7 % pour les 5 à 10 prochaines années, est essentiel pour doubler le taux de PIB réel en termes absolus (le taux actuel s’élevant à 2 milliards de dollars américains).
Bien qu’un écart subsiste entre la croissance du PIB par habitant chinois et indien, ce dernier s’est nettement accéléré depuis les années quatre-vingt. La croissance du PIB par habitant des 30 premières années (1950-1979) ne s’établissait qu’à 1,3 % par an ; à partir de 1980, le taux s’est accéléré à 4,2 % par an ; depuis 1993, il est de 5,1 % par an. Les taux de croissance du PIB par habitant des deux pays convergent et il ne faudra à l’Inde que peu de temps pour surpasser son homologue chinois dans ce domaine.
Avec la hausse du revenu disponible individuel et des dépenses publiques en matière d’éducation, la productivité du travail est en passe de croître. Sur la base d’un scénario prudent, au moins 5 à 10 années supplémentaires seront nécessaires à l’Inde pour attendre les niveaux actuels de productivité du travail en Chine.
2. L’Inde doit-elle d’abord être une économie tournée vers l’investissement ?
Nous pensons que c’est là l’élément manquant du développement indien et qu’il doit être pris en compte et déployé rapidement. De par son héritage d’ancienne colonie britannique, l’Inde est davantage un exportateur de services que de biens, et par conséquent mériterait le terme de « bureau du monde » et la Chine d'« usine du monde ».
Néanmoins, les mauvaises infrastructures en Inde sont un obstacle potentiel aux futurs développements tant en termes de demande intérieure que d’investissement étranger. Les dépenses publiques en matière d’infrastructures notamment sont essentielles à la prochaine étape du développement indien, pour que la main-d’œuvre excédentaire soit absorbée. Cette situation s’apparente à celles des travailleurs migrants en Chine qui participent aux travaux de construction.
3. La productivité globale des facteurs est-elle la clé de l’envolée du développement indien ?
Nous pensons que cet élément est capital. La productivité globale des facteurs est souvent considérée comme un réel moteur de croissance au sein d’une économie. En outre, des études révèlent que, si la main-d’œuvre et les investissements sont importants, la productivité globale des facteurs peut représenter jusqu’à 60 % de la croissance d’une économie. On entend par productivité globale des facteurs la croissance technologique et une efficience accrue. La croissance technologique, en particulier dans le secteur manufacturier, permettra également d’absorber la main-d’œuvre excédentaire. Le gouvernement Modi s’efforce d’améliorer l’efficience en simplifiant les processus décisionnels tels que les approbations de projets.
Pour conclure, en raison d’une organisation institutionnelle bien différente, nous ne pensons pas que l’Inde sera en mesure de répliquer le modèle de la Chine, et aura des difficultés à répéter le miracle que la Chine est parvenue à atteindre ces trente dernières années. Néanmoins, dans un contexte marqué par plusieurs années d’une reprise mondiale atone, nous pensons que l’Inde pourrait tout à fait se démarquer si elle parvenait à libérer son potentiel de croissance économique en améliorant la productivité du travail, la productivité du capital et la productivité globale des facteurs de production.