par Emmanuel Auboyneau, Gérant associé chez Amplegest
Voilà désormais un an que le monde est engagé dans la plus grande crise sanitaire de ces dernières décennies. Le bout du tunnel est désormais en vue grâce à l’accélération de la vaccination même si l’Europe est, une fois encore, en retard. La croissance, déjà résiliente, profitera de cette embellie sur le plan de la pandémie avec un choc de consommation, notamment vers les services. L’industrie est déjà revenue au niveau d’avant Covid dans la plupart des pays et elle devrait poursuivre son expansion si l’on en juge par les chiffres des investissements des entreprises.
Les voyants de l’économie sont donc au vert sur un horizon de 12 mois. Mais le phénomène nouveau depuis quelques semaines est la reprise progressive de l’inflation, qui pourrait se poursuivre au cours des prochains trimestres. Aux Etats-Unis, l’inflation a déjà repassé la barre des 2% (objectif de la Réserve fédérale) et pourrait se diriger vers les 3%. Cette hausse des prix est aujourd’hui alimentée par trois facteurs principaux. Tout d’abord la progression du prix des matières premières, le pétrole, l’aluminium, l’acier ou le cuivre ayant tous vu leurs cours accélérer récemment en raison notamment de la forte demande chinoise. D’autre part, la hausse des salaires est un autre facteur inflationniste. Ils progressent aux Etats-Unis où le marché de l’emploi reste solide malgré la crise. Enfin, le troisième facteur, également concentré pour l’instant sur les Etats-Unis, est la hausse inéluctable des loyers. Ceux-ci ont baissé pendant la crise sanitaire mais sont déjà en train de remonter. Les stocks de logements sont très bas, victimes d’un manque flagrant de constructions ces 10 dernières années. La demande augmentant, les loyers ne peuvent que monter.
Dans les autres zones géographiques on constate, dans une moindre mesure, le même phénomène de reprise de l’inflation. Celle-ci accélèrera probablement au second semestre lorsqu’une réelle amélioration sanitaire se traduira en choc expansionniste. Plus globalement, la création monétaire illimitée pratiquée par les Banques Centrales depuis 12 mois est un terrain favorable pour l’inflation.
Cette remontée de l’inflation doit toutefois être relativisée. Les forces déflationnistes restent toujours puissantes dans le monde. La mondialisation crée une compétition qui freine structurellement la hausse des prix. La digitalisation de l’économie est un autre frein puissant à une progression trop forte. Le vieillissement de la population dans le monde développé joue également un rôle modérateur d’inflation. Enfin, on peut imaginer que la production de pétrole repartira vite à mesure que l’économie accélèrera, limitant ainsi la remontée du baril.
La première conséquence de ce retour de l’inflation est un relèvement des taux longs dans toutes les zones économiques. Aux Etats-Unis, l’emprunt à 10 ans s’approche de son niveau d’avant crise. Pour l’instant c’est une normalisation. Mais il pourrait prochainement le dépasser en dépit du discours toujours très accommodant de Jerome Powell. En Allemagne, le taux à 10 ans pourrait bientôt revenir en territoire positif, niveau qu’il n’a pas connu depuis mi-2019. Cette évolution des taux doit être surveillée dans les prochains mois. Si elle est ordonnée et s’accompagne d’une amélioration conjoncturelle proportionnelle de début de cycle, elle ne sera pas forcément négative pour les marchés actions. En revanche, si la hausse des taux est trop forte et jugée non maîtrisée, elle pourrait provoquer un repli des indices actions, hormis certains secteurs traditionnellement préservés dans un tel cas de figure. Nous avons commencé à rééquilibrer les portefeuilles dans ce sens.
2021 sera l’année du retour de la croissance. C’est une bonne nouvelle qu’il faudra toutefois concilier avec celle probable d’une inflation oubliée.