« L’Italia riparte ! » : bilan conjoncturel de l’Italie au premier semestre ; perspectives pour le second

par Alan Lemangnen et Thibault Cézanne, économistes chez Natixis

Suite aux bonnes performances du PIB et du marché du travail au premier semestre, nous révisons à la hausse nos prévisions de croissance en 2015 de +0,6% à +0,7% et en 2016 de +0,8% à +1,0%.

Pour la première fois depuis 2011, l’Italie a enregistré deux trimestres consécutifs de croissance. Après une stagnation au quatrième trimestre 2014, la croissance du PIB en volume aura été de 0,4% en rythme trimestriel au premier trimestre 2015 et de 0,3% au deuxième. Le PIB a augmenté de 0,5% au premier semestre par rapport au semestre précédent et d’autant en glissement annuel.

Cette reprise peut sembler (trop) modeste, mais c’est la dynamique qui est intéressante. Une croissance de +0,7% en 2015 marquerait en effet une progression de 1,1 pt par rapport à la performance de 2014, soit la plus importante parmi les quatre grands de la zone Euro après l’Espagne. Les composantes les plus cycliques du PIB, à savoir l’industrie manufacturière et l’investissement productif, expliquent une bonne part de cette accélération. Malgré leur poids modeste (respectivement 20% de la valeur ajoutée et 7% du PIB), elles ont en effet contribué respectivement à 25% et 40% de la croissance de l’activité au premier semestre.

La forte contribution des stocks à la croissance ne doit pas être vue comme une fragilité. Un nouveau cycle de stockage semble s’ouvrir, et vu la hausse des ventes et des nouvelles commandes dans l’industrie, ce phénomène nous semble davantage lié à une hausse de la demande anticipée par les entreprises qu’à une difficulté à écouler la production.

Malgré la faiblesse de l’euro, les exportations en volume n’ont pas plus contribué à la croissance au premier semestre que sur l’ensemble de l’année 2014 (i.e. +0,3%). Une déception d’un côté relative, puisque les entreprises semblent avoir profité de l’appréciation du dollar pour enrayer le recul du prix de leurs exportations en euro et doper ainsi leurs marges, en partie au détriment des volumes – ce que suggère l’évolution récente du déflateur des exportations. D’un autre côté, cette fois moins réjouissant, la faiblesse des volumes reflète aussi le problème d’offre que rencontre l’industrie manufacturière (trop petite taille des entreprises, destructions de capacités…), dont l’utilisation des capacités est déjà revenue à sa moyenne de long terme et qui peine à répondre à la demande globale qui lui est adressée.

La contribution négative du commerce extérieur à la croissance est donc surtout le fait de la faiblesse relative des exportations, le rebond des importations étant somme toute logique vu l’affermissement de la demande interne. A cet égard, la contribution plutôt faible de la consommation des ménages (+0,1 point sur le semestre) ne doit pas inquiéter. En effet, la baisse des prix énergétiques n’a commencé à produire ses effets positifs sur la consommation qu’au deuxième trimestre (+0,4% en t/t au T2 vs. -0,1% au T1). Nous retenons surtout que ce sont les dépenses en biens durables qui tirent la consommation depuis quatre trimestres consécutifs, signe assez clair du renforcement de la confiance des ménages.

Au total, avec une croissance atteignant 0,5% en glissement annuel, l’Italie a donc fait mieux que son potentiel (estimé à 0,3%) au premier semestre. Après 13 trimestres de récession ou de stagnation, la performance est louable, mais celle en demi-teinte du commerce extérieur montre à quel point il est devenu urgent que les réformes structurelles libèrent le potentiel de production de l’économie italienne.

Marché du travail : une amélioration en trompe l’œil

L’amélioration est aussi visible sur le marché du travail. Selon l’enquête de population active d’Istat, 102000 nouveaux emplois ont été créés au deuxième trimestre, soit un total de 114 000 créations nettes au premier semestre. Après les 290 000 destructions nettes de 2013 et les 160 000 créations nettes de 2014, la tendance est donc résolument positive.

On reste toutefois prudent quant à la capacité de l’économie italienne à générer davantage d’emplois sur le reste de l’année. Déjà, l’effet Jobs Act a joué à plein au deuxième trimestre avec l’entrée en vigueur de la réforme le 7 mars. Les entreprises ont en effet préféré attendre le printemps et l’entrée en vigueur du nouveau CDI «à protection croissante » (voir notre Special Report dédié au Jobs Act pour plus de détail) pour recruter, même si les allègements de charge associés aux recrutements en CDI en 2015 étaient disponibles depuis janvier. Un trou d’air n’est donc pas impossible au troisième trimestre. Ensuite, rappelons que les allègements de charges patronales sur les CDI incitent plutôt les entreprises à convertir des contrats temporaires existants en CDI que de recourir à de nouvelles embauches : à masse salariale constante, l’exonération de charges patronales améliore en effet les marges opérationnelles. Enfin, n’oublions pas que l’activité est pour l’heure insuffisamment dynamique pour faire durablement baisser le chômage. En Italie, 1,8% de croissance est nécessaire pour y parvenir, notamment en raison de la forte hausse du taux de participation enregistrée depuis 2010. C’est notamment pourquoi le taux de chômage a augmenté au deuxième trimestre malgré plus de 100 000 créations nettes d’emplois.

Malgré ce début en fanfare du Jobs Act, notre sentiment reste que les entreprises continueront à privilégier dans un premier temps les gains de productivité à de nouvelles embauches, comme cela a été le cas de l’industrie au premier semestre (hausse de la production, mais recul de l’emploi). Dans ce contexte, la création d’emplois ne serait que légèrement supérieur à son niveau de 2014 – i.e. entre 150 000 et 200 000 emplois – et le taux de chômage en léger recul, autour de 12%. Des données très encourageantes, mais pas encore un vrai choc positif sur le marché du travail.

Le commerce extérieur menacé par le ralentissement émergent ?

Vu que la reprise est tirée par la demande intérieure, nous ne voyons pas le ralentissement émergent comme un risque majeur pour l’Italie. Mais une décélération des exportations ne peut être totalement exclue au deuxième semestre. En effet, les pays émergents ont été la destination d’un tiers des exportations de l’Italie au premier semestre et ont contribué à quasiment la moitié de la croissance des exportations en valeur sur la période 2010-2014. Le ralentissement de la Chine ne devrait avoir que peu de conséquences eu égard à ses faibles poids et contribution. Mais un ralentissement des émergents au sens large ne laisserait pas le commerce extérieur indemne en cas de perte de dynamisme des ventes vers les économies développées (comme en a témoigné le mois de mai). Depuis 2014, se sont en effet les exportations vers le reste de la zone Euro, le Royaume-Uni et les Etats-Unis qui tirent les exportations italiennes.

Quel serait dès lors le principal risque lié à une décélération du volume d’exportations ? Nous en voyons deux principaux. Pour la croissance, une contribution encore plus négative du commerce extérieur qu’au premier semestre. Ceci pourrait coûter 0,1 point de croissance en 2015. Pour les entreprises, une baisse du chiffre d’affaires à l’exportation, notamment dans certains secteurs. Sur les cinq premiers mois de 2015, 30% des 170 milliards d’exportations totales italiennes destinées aux émergents étaient concentrés dans trois secteurs : équipements de transport et machines (14% des exportations totales,), biens manufacturiers (12%) et produits chimiques (4%) – des secteurs qui ont d’ailleurs le plus contribué à la croissance des exportations vers les émergents ces dernières années.

La reprise de l’investissement productif pourrait-elle s’arrêter au second semestre ?

S’il est encore trop tôt de présager de l’impact qu’aura le ralentissement émergent sur la confiance des entreprises, nous restons en revanche convaincus que les conditions sont toujours réunies pour que le rebond de l’investissement productif observé au premier semestre se poursuive au second.

D’abord, la situation financière des entreprises devrait continuer à graduellement s’améliorer. Avec l’affermissement de la demande globale adressée à l’Italie, le nombre d’heures travaillées a augmenté, le chômage partiel a reculé et la productivité a commencé à se redresser. Alors que les salaires par tête ont poursuivi leur ralentissement au premier trimestre (+1,0% en GA vs. +3,5% avant la crise), tendance que devrait entretenir le Jobs Act, nous continuons donc à tabler sur une stabilisation des marges bénéficiaires en 2015 – voire un redressement selon l’impact qu’aura l’allègement de charges accompagnant le Jobs Act.

Ensuite, la demande adressée aux entreprises, notamment dans l’industrie manufacturière, est forte. Selon l’enquête trimestrielle d’Istat pour l’industrie, elles auraient six mois de production assurée (un plus haut historique bien qu’inégalement réparti selon la taille des entreprises), tandis que l’enquête mensuelle d’août pointe vers une nouvelle hausse des commandes au troisième trimestre. Alors que l’utilisation des capacités a retrouvé sa moyenne de long terme, le manque de biens d’équipement est devenu le facteur qui, selon les données d’enquête, limite le plus la production, devant l’insuffisance de demande et de main d’œuvre.

En résumé, la profitabilité des entreprises s’améliore dans un contexte où les carnets de commandes se regarnissent et la capacité marginale de production semble limitée. C’est pourquoi, sauf inversement brutal du moral des entreprises, nous voyons difficilement l’investissement productif caler au second semestre.

Points clés du scénario d’ici à la fin de l’année

  • L’Italie devrait croître autour de 0,2-0,3% en rythme trimestriel aux troisième et quatrième trimestres, modulo l’impact qu’aura le ralentissement émergent sur le commerce extérieur.
  • Après la révision haussière du PIB au premier semestre, l’acquis de croissance est dorénavant de +0,6% pour 2015. Nous avons en conséquence relevé notre prévision de croissance à +0,7% (vs. +0,6%) pour cette année.
  • L’industrie et l’investissement productif continueront leur rebond au second semestre dans un contexte d’affermissement de la demande intérieure et de tensions croissantes sur l’appareil productif.
  • Le meilleur redressement qu’espéré du marché du travail et le rebond de l’investissement dès le premier semestre (alors que nous l’attendions qu’au deuxième), nous ont conduit à revoir nos prévisions de croissance à la hausse en 2016, dorénavant à +1,0% (vs. +0,8% auparavant).

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