par Philippe Waechter, Directeur de la recherche économique chez Natixis AM
Emmanuel Macron a gagné très largement le second tour des élections présidentielles françaises. Il a obtenu 66.1% des voix et Marine Le Pen 33.90%. La victoire est sans appel même si le taux de participation a été plus faible que par le passé (taux d’abstention à 25.44%)
Une fois encore la hiérarchie que donnaient les sondages depuis plusieurs mois n’a pas été mise en défaut comme le montre le graphe ci-dessous.
On notera cependant que les chiffres sont au plus haut sur l’ensemble de la période pour Macron et au plus bas pour Le Pen. On est loin du partage 60/40 qui aurait satisfait tout le monde et sur lequel les marchés financiers avaient parié. La robustesse du cycle économique français (voir ici) et ce résultat politique devraient conforter le profil haussier des marchés à moyen terme.
Les reports de voix ont été forts tant du côté de Benoît Hamon (71% pour Macron, 2% pour Le Pen) de Mélenchon (52% pour Macron et 7% pour Le Pen), de Fillon (48% et 20% respectivement) et même Dupont Aignan qui n’a pas bénéficié des effets de son accord avec Le Pen (28% et 20%).
J’avais insisté à plusieurs reprises sur le rôle de l’Europe comme facteur discriminant entre l’acceptation de l’ouverture au monde et le repli sur soi (voir ici et ici). Les français ont choisi pour l’ouverture au monde mais avec ce choix la nécessité, aussi, de se donner les moyens pour y faire face. Il faudra adapter l’économie et la société française à cette attitude. C’est cela le message positif. Le défi pour le nouveau président sera d’y répondre.
Avant cela notons que le passage du pouvoir aura le dimanche 14 mai et que le 15 sera nommé le premier ministre. Le gouvernement sera nommé dans la foulée. La prochaine grande étape institutionnelle est celle des élections législatives qui auront lieu les 11 et 18 juin. Les premiers sondages donnent une majorité (peut être une majorité absolue) à « En Marche » le mouvement créé par Macron. Les français sont légitimistes et je ne serai pas surpris que cela se passe ainsi. Si ce n’est pas le cas, si « En Marche » n’a pas la majorité absolue, il semblerait néanmoins que le rapport de force lui soit favorable et lui permette de gouverner.
Les défis pour le nouveau gouvernement sont nombreux. Il lui faudra marier le programme défini par Macron dans sa campagne tout en réduisant les éléments qui ont nourri le populisme qui a porté Le Pen à son niveau actuel.
Sur le programme, le premier point sera celui du marché du travail, notamment sur la décentralisation des accords entre patronat et salariés.
Il a été évoqué, par le candidat, la volonté de modifier les règles très vite par ordonnances avant que celles-ci ne soient confirmées par le Parlement et transformées en loi. C’est un moyen de gagner du temps. On sait néanmoins, après la loi El Khomri, que la question du marché du travail est délicate; les syndicats ont déjà parlé de leur hostilité à cette méthode de gouvernance.
Il faudra, pour le président, continuer d’expliquer son projet pour favoriser l’adhésion. Sinon il risque très rapidement de faire face à une grogne sociale qui pourrait pénaliser le vote à l’Assemblée Nationale limitant ainsi sa capacité à mettre en oeuvre son programme.
La deuxième étape sera celle du budget rectificatif qui prendra place au cours de l’été. Pour l’instant le nouveau président n’a pas fait de paris audacieux sur les finances publiques. Il reste dans le cadre défini par le gouvernement actuel. Les attentes de croissance ne sont pas excessives et le profil du déficit est cohérent avec ce que l’actuel gouvernement a déposé à Bruxelles.
Le principal challenge sera celui de la croissance. La dynamique récente est haussière et le cycle de l’économie française s’inscrit dans le profil de celui de la zone Euro. Il est caractérisé par plus de vertu et d’autonomie. Cependant, le défi sera d’infléchir le profil de croissance à la hausse afin de générer davantage d’emplois.
Le graphe ci-dessous retrace l’articulation entre la croissance et l’emploi. Une croissance du PIB plus rapide est nécessaire pour créer davantage d’emplois. C’est la lecture immédiate que l’on peut avoir du graphe. Le profil dessiné en bleu traduit ce lien. C’est pour cela que la croissance doit être plus rapide et qu’il est nécessaire de créer les conditions pour aller durablement au delà de la tendance de 1% observé depuis 2013. Les réformes que Macron souhaitent mettre en place sur le marché du travail ont pour objectif de modifier la pente de cette courbe bleue afin de rendre le marché du travail encore plus réactif.
L’idée est ainsi de considérer que chaque entreprise pourra, par un accord d’entreprise ou de secteur, adapter sa capacité d’emploi. L’objectif ainsi est de faire de telle sorte qu’il y ait à chaque niveau, entreprise et secteur, une capacité à réagir très vite sur l’emploi à toute accélération de l’activité.
L’autre volet de la réforme du marché du travail souhaité par Macron est d’améliorer la formation pour que chaque salarié ou chaque chômeur puisse se qualifier afin d’avoir les moyens de retrouver rapidement un emploi. L’effort doit être fait pour que le passage au chômage ne soit plus considéré comme une condamnation, ce qui est encore largement le cas. L’objectif est donc de réduire l’incertitude pour chaque salarié tout au long de sa vie professionnelle. C’est ce volet qui manque à la loi El Khomri et qui en fait une loi manquant d’équilibre. La volonté de Macron est de la compléter par ce volet visant à améliorer le capital humain de chacun. La réforme de l’Assurance chômage va dans le sens de la réduction de l’incertitude.
Le défi sera la croissance.
Le graphe ci dessous retrace l’évolution du PIB par tête. Sa progression récente est très lente, en rupture avec ce qui était observé avant la crise. On voit bien la rupture après 2007. Jamais depuis 1970 on avait eu une telle cassure. Cela explique une grande partie de la montée du populisme.
Le programme de Macron est d’infléchir à la hausse le profil du PIB par tête.
Cela passera par trois canaux
L’approfondissement et le renforcement de l’ancrage européen. Cela passe par des changements institutionnels mais surtout par la nécessité pour les français de mettre en place les conditions qui permettront de répondre au défi de la globalisation. Cela ne peut se faire qu’à l’échelle européenne et à celle de la zone Euro.
Il faut davantage d’investissement. La volonté de Macron de doper celui-ci par de l’investissement public fait sens. Il faut accentuer l’impulsion pour que l’investissement privé s’adapte rapidement permettant ainsi de gagner davantage en productivité. Un des outils pour cela sera la transformation du CICE en baisse de charges plutôt qu’en crédit d’impôts. Cela sera plus efficace, plus rapide et moins coûteux pour les entreprises. L’investissement plus élevé devrait se traduire par des gains de productivité plus élevés.
Le troisième point pour infléchir le PIB par tête est le changement à mettre en oeuvre sur le marché du travail. Son objectif est de compléter la loi El Khomri en ajoutant une sécurité, via la formation aux salariés et aux chômeurs. L’idée est de mettre en place une dynamique similaire à la flexicurité, mise en place notamment en Suède et au Danemark. L’objet est de faciliter l’ajustement de l’emploi (à la hausse et à la baisse au sein des entreprises) tout en réduisant l’incertitude pour chaque membre de la population active sur sa capacité à retrouver un emploi par la formation et l’éducation. Cela doit permettre une adaptation plus rapide de l’économie française à son environnement et donc sa réactivité sur l’emploi.
Emmanuel Macron en améliorant le profil du PIB par tête réduirait une source de montée du populisme.
La dynamique réduite de l’activité et de l’emploi dans la durée sont les ingrédients récurrents pour la montée du populisme. La situation de chacun devenant plus incertaine et plus fragile au fur et à mesure du temps qui passe, le recours à des solutions simplistes gagnent en crédibilité auprès des français. Les partis populistes qui proposent ces solutions montent alors dans les sondages et les consultations électorales. De ce point de vue, la victoire de Macron, dont les analyses sont loin d’être simplistes, est un signal de sursaut de l’intelligence collective des français. Il y a probablement plus de cohésion qu’on ne le pense au sein de la population française et c’est pour cela que des réformes audacieuses pourront être mises en place.
La critique des élites ressort de cette dimension et en est une conséquence. Le temps qui passe a décrédibilisé l’analyses sophistiquée des élites au profit de ces analyses simplistes et des solutions toutes faites. Les critiques développées sur ces analyses simplistes (je pense à toute la discussion sur la monnaie et les mouvements de capitaux en cas de sortie de la zone Euro) ne sont pas perçues comme respectables car issues de ceux qui n’ont pas réussi par le passé. De ce point de vue la logique est implacable.
Si la croissance devient plus robuste dans la durée alors ces discussions n’auront plus le même écho. Les solutions immédiates et prises dans l’urgence ne rencontreront plus la même urgence pour chacun d’entre nous. C’est ce changement qui sera essentiel.
Le dernier point important est celui de l‘équilibre des territoires et celui ci est peut être le plus important. Il faut que tous les français participent à cette dynamique de croissance renouvelée. Il ne faut pas que la croissance ne profite qu’à ceux qui bénéficient de la globalisation et des innovations technologiques. Il faut que cette croissance soit inclusive et que tous les français se sentent concernés par ce renouveau de l’activité. Chacun doit dans le futur pouvoir développé son activité quelque soit son lieu de résidence. C’est un défi fort sur lequel beaucoup se sont cassés les dents dans le passé. Il me semble que faciliter les connexions via la fibre permettrait une réduction de ces déséquilibres.
Les attentes sont fortes pour réduire les déséquilibres de l’économie et les dysfonctionnement de la société française. C’est le carnet de route du nouveau président. Il a l’avantage de bénéficier d’une dynamique de départ robuste (voir ici). Il faut qu’il en profite.