par Christopher Dembik, Responsable de la recherche macroéconomique chez Saxo Bank
Le bruit de la victoire résonne dans les rues de Paris et, pourtant, rien n’est encore gagné pour le nouvel hôte de l’Elysée. L’agenda européen va rapidement se rappeler au bon souvenir du nouveau président avec la publication le 11 mai des prévisions économiques de printemps de la Commission Européenne et, le 17 mai, l’évaluation du déficit français qui est, toujours, un exercice difficile. La chance de la France, c’est que le Club Med soit dans une situation bien plus mauvaise du point de vue économique et bien plus complexe du point de vue des marchés financiers. En effet, les investisseurs ont réitéré leur confiance au pays la semaine passée à l’occasion d’une émission obligataire à 10 ans qui s’est conclue par un taux de rendement plus bas que celle d’avril (0,81% versus 0,97%).
Contrairement aux cris d’orfraie régulièrement poussés ici et là, le risque d’une envolée des coûts d’emprunt est largement exagéré à court et à moyen terme. En 2007, la charge de la dette représentait environ 2,5% du PIB contre seulement 1,7% en 2016, soit un niveau plus faible que dans la plupart des pays européens, à l’exception de l’Allemagne. Du fait de la maturité de 7 ans en moyenne de la dette française, un bond de 1% des taux aurait un impact de seulement 0,14% par an sur la charge de la dette. Largement gérable. Dans l’immédiat, la charge de la dette devrait continuer de baisser en 2017 et en 2018 (en direction de 1,5% du PIB), offrant ainsi une période de grâce d’un peu plus d’un an et demi à Emmanuel Macron sur le plan des dépenses budgétaires.
Le vrai problème pour le nouveau président va consister à relancer une machine économique qui est poussive, comme l’a encore souligné la croissance timide du T1. Celle-ci a progressé de seulement 0,3%, soit deux fois moins qu’au T1 2016, pénalisée en particulier par un commerce extérieur catastrophique et une consommation des ménages en petite forme. Avec un acquis de croissance qui atteint 0,7%, la prévision officielle du gouvernement sortant de 1,5% pour 2017 semble compromise. Ainsi, l’un des premiers actes économiques du nouveau gouvernement pourrait être de réviser à la baisse l’objectif de cette année, en s’alignant sur les prévisions plus basses des organisations internationales. Il s’agirait d’une décision actant une réalité économique mais un premier signal négatif qui laisse augurer des difficultés à réorienter la croissance française vers les 2% alors que, tendanciellement, elle se dirige vers 1%.
A l’instar de François Hollande, Emmanuel Macron aura à cœur de renforcer la compétitivité des entreprises via une baisse du coût du travail mais cela ne permettra pas de consolider la dynamique de croissance sur le long terme. La priorité absolue est la relance de la productivité. Historiquement, les deux moteurs de la croissance sont la démographie et la productivité. En France, la productivité du capital est dans la moyenne des pays développés, c’est au niveau de la productivité du travail qu’il y a un problème. Celle-ci décroche depuis 20 ans. Cette tendance préoccupante s’explique par :
- Les compétences faibles de la population française, comme l’indiquent les enquêtes PISA de l’OCDE. La France n’a pas besoin de cohortes d’économistes, de managers et de professeurs, elle a besoin cruellement d’ingénieurs, de médecins, de scientifiques et d’emplois manuels dans le secteur industriel. Plus d’un tiers des entreprises industrielles évoque être confrontées à une pénurie de main d’œuvre. Il s’agit d’une situation ubuesque alors que le taux de chômage flirte avec les 10% ;
- Le manque d’innovations susceptibles de modifier le processus de production et les habitudes de consommation, ce qui implique, notamment, d’investir davantage dans la recherche fondamentale. Le budget actuellement alloué à l’Agence nationale de la recherche (environ 640 millions d’euros contre 2,7 milliards d’euros pour son homologue outre-Rhin) n’est certainement pas en mesure de permettre à la France de réaliser son ambition en matière de politique industrielle.
La politique de formation que souhaite mettre en œuvre le nouveau président va dans la bonne direction. Il n’y a pas de problème majeur de financement. Le vrai problème, c’est que cette politique n’est pas canalisée vers les bonnes catégories de la population et qu’elle ne propose pas les formations qui permettront de répondre aux besoins réels du marché du travail. En outre, il faudra encore davantage engager les super-régions dans ce processus, en partant du constat évident que c’est le niveau local qui est le plus à même d’appréhender les évolutions du tissu économique.
Pour réussir, le nouveau président devra encore convaincre les Français les 11 et 18 juin lors des élections législatives. Il est probable que le mouvement En Marche! obtienne la majorité relative à l’Assemblée Nationale, ce qui constituera déjà un troisième exploit consécutif. L’absence de majorité absolue n’est pas synonyme d’incapacité du président comme nous enseigne la période 1988-1991. A l’époque, le Premier ministre socialiste Michel Rocard était confronté à la même situation. Pourtant, il a réussi à faire voter des réformes majeures pour la France, comme la CSG et le RMI, en formant des alliances ad hoc et en usant (abusant) du 49-3. L’Histoire a toutes les chances de se répéter. Les lignes politiques sont déjà en train de bouger puisqu’aussi bien à droite qu’à gauche des figures de premier plan assurent être disposées à travailler avec Emmanuel Macron. Une grande coalition à l’allemande est utopique sur le long terme, mais la réunion des réformistes dans l’intérêt du pays semble crédible…au moins jusqu’à ce que la politique reprenne le dessus, au plus tard en 2019 à l’occasion des élections européennes.