par Paul Brain, Directeur de la gestion obligataire chez Newton IM (BNY Mellon IM), et George Saffaye, Stratégiste d’investissement global chez Mellon (BNY Mellon IM)
Au début du confinement, les investisseurs ont pu se sentir désemparés. Tout d'abord, les marchés actions ont commencé à chuter brutalement. Puis, la contagion s'est propagée aux marchés obligataires, impactant d'abord le crédit high yield, avant de remonter la courbe des taux, de sorte que même l’investment grade et les obligations souveraines de qualité et à priori solides ont vacillé. Bientôt, c’était au tour des matières premières de subir le redoutable mouvement de vente, les prix du pétrole ayant connu une chute historique. Finalement, même l'or – considéré par beaucoup comme l'ultime "valeur refuge" – s'est perdu dans la ruée vers les liquidités, tendance alimentée par l’évolution de la pandémie.
Il n'est donc guère étonnant que les investisseurs se soient parfois sentis un peu à la dérive. Après tout, vers quoi se tourner si les valeurs les plus sûres ne sont pas immunisées contre la contagion liée à Covid-19 ? Aujourd'hui, alors que la volatilité s'atténue progressivement et que la poussière retombe suite à un événement de marché inédit, il est peut-être temps de réfléchir à l’après.
Paul Brain, Directeur de la gestion obligataire chez Newton IM (BNY Mellon IM) :
L’un des effets secondaires probables de la crise de Covid-19 est un changement durable au niveau du comportement des entreprises et des investisseurs, ce qui aura un profond impact sur les marchés obligataires et actions dans les mois et années à venir. De nombreuses entreprises ont déjà cessé de se concentrer exclusivement sur la maximisation de la valeur actionnariale à coup de rachats d'actions et de dividendes. A l’aune de cette crise, elles paraissent favoriser un modèle d’entreprise consacré davantage au maintien opérationnel de ses activités sur fond de baisses significatives de trésorerie.
Pour les investisseurs, l'effondrement des dividendes pourrait les inciter à se concentrer sur les revenus provenant d’obligations, qui sont de nature contractuelle et par définition plus stable. L'incertitude économique a rendu des révisions à la baisse de certains titres obligataires plus probables tout en augmentant les risques liés aux défauts. Mais cette même situation a considérablement augmenté le rendement disponible à travers un large univers d’obligations d'entreprises, améliorant ainsi le flux de revenus futurs. Un autre élément du changement comportemental réside dans la possibilité pour les entreprises et les investisseurs de disposer d'un niveau d'épargne plus élevé pour faire face à l'incertitude face à l'évolution de la pandémie.
Pendant ce temps-là, les banques centrales ont donné des gages forts par le biais de baisses des taux d'intérêt et de programmes d'assouplissement quantitatif, indiquant qu'elles soutiendraient toute offre supplémentaire d'obligations d'État et compenseraient toute hausse de rendements induite par l'offre. Dans de nombreux pays, ce soutien a également été accordé à des obligations d'entreprises pour permettre à de nombreuses grandes entreprises d'accéder à des financements pour pouvoir encaisser le choc provoqué par la crise. Cela donne aux investisseurs une confiance supplémentaire dans le fait qu'ils sont moins susceptibles de pâtir des pertes induites par leurs investissements obligataires.
George Saffaye, Stratégiste d’investissement global chez Mellon (BNY Mellon IM) :
Les derniers mois ont été marqués par la réaction (parfois excessive) des investisseurs au flux d’actualités parfois anxiogène. Comme une grande partie de la population mondiale, ces investisseurs sont restés chez eux, livrés à eux-mêmes et exposés en permanence à une incertitude croissante. La nature de cette attention constante aux dernières nouvelles va dans les deux sens : les bonnes nouvelles comme les mauvaises impactent directement les comportements des investisseurs. On le voit même dans la façon dont le marché a récemment réagi aux données liées à un médicament prometteur, qui pourrait potentiellement être utilisé comme traitement face aux symptômes de Covid-19.
Maintenant que le pire de la volatilité commence à s'estomper, les investisseurs reprennent lentement confiance. Les données – sur les zones fortement infectées – démontrent un certain ralentissement de nouveaux cas d’infection – et le fait que certains États américains commencent à s'ouvrir de nouveau, contribuent à apaiser certaines incertitudes. Cette résilience intervient suite à l'une des baisses les plus fortes de l'histoire de tous les cycles de marchés baissiers, exacerbée par l'incertitude d'une crise de santé publique sans précédent.
Un contraste s’impose avec la crise financière mondiale de 2007/2008. À cette époque-là il s’agissait d’un problème systémique. Aujourd’hui nous sommes plutôt face à un problème transitoire. La Grande Dépression des années 1930 a touché tout le monde. Bien que le Covid-19 soit quelque chose d’universel aussi, nombreux sont ceux qui estiment que l’orage passera. Ils pensent que le système financier était en bon état avant la crise et que nous devons simplement passer outre. Les investisseurs gardent à l'esprit l’aspect temporaire de cette crise, à en croire le rebond des marchés. Même lorsque les actions baissent, il y a un retour de l'optimisme. C'est un exemple de la résilience des marchés financiers.
Il est à se demander si les investisseurs « Millenials » en particulier, qui ont déjà connu deux épisodes de vente historique, pourrait ne pas envisager de se diversifier en délaissant les actions au profit des actifs réels, et peut-être même de consacrer une plus grande partie de leurs investissements à l'immobilier. Malgré cela, les vertus de la gestion active devraient devenir encore plus évidentes dans le contexte de marché actuel. C'est l'occasion pour les sociétés de gestion et leurs gestionnaires de vraiment montrer la voie. La gestion passive a sa place, mais acheter l'ensemble d’un indice, c’est perdre sa capacité de sélectivité.