par Jean-Jacques Friedman, Directeur des Investissements de VEGA IM
Devait-on se réjouir ? C’était sans doute la 1ère fois dans l’histoire électorale de la Ve république : la campagne électorale française revêt un réel enjeu pour notre marché d’actions, et les investisseurs, comme les politiques du monde entier, ont les yeux braqués sur les subtilités de notre mode électoral et sur chacun des soubresauts de nos sondages. Certes, le jeu des pronostics a été rendu plus complexe par les échecs répétés des sondeurs à déterminer le vainqueur de l’élection américaine et le résultat du référendum britannique sur la sortie de l’Union européenne. Mais, nous avons aussi assisté lors de ces élections à l’émergence de nouvelles tendances, sur les dynamiques d’évolution des intentions de vote par exemple, ou liées à l’instauration de nouveaux modes prédictifs basés sur le big data et les réseaux sociaux.
Tout ceci est venu accroître le volume de données, et par la même, à épaissir encore le brouillard et rendre plus incertaine l’issue de cette campagne. In fine, la surprise est qu’il n’y en a pas eu : les Français sont un peuple politique et se sont déplacés comme toujours pour cette élection centrale, et les prévisions des instituts traditionnels se sont révélées exactes.
Quels étaient les enjeux spécifiques de cette campagne et pourquoi représentaient-ils une telle menace ? Tout d’abord, rappelons qu’avoir quatre candidats potentiellement au second tour représentait une situation inédite, avec l’impossibilité de prévoir le duel final. Mais surtout, après les élections « contrastées » des mois précédents, ce premier tour allait-il confirmer le vote pour des candidats réellement « antisystème », prêts à renverser la table, ou marquer le retour à un vote plus classique, comme le discours autour de l’Europe peut en représenter les prémices ? Le fait est qu’après l’Autriche et les Pays Bas, cette élection constitue le 3e échec des partis populistes. Certes, tous les candidats ont revendiqué un discours « antisystème » ; mais derrière les mots, l’écart est colossal entre par exemple, Emmanuel Macron qui souhaite « renouveler » la classe politique française, et ceux qui veulent sortir de l’euro et de l’Union européenne, mettre en place un moratoire théorique sur l’immigration, ou engager un plan d’investissement de 100 milliards d’euros sans avancer le mode de financement de l’ensemble.
Sur les propositions économiques des candidats, et au-delà des multiples rebondissements de la campagne, peu de thèmes ont été réellement développés et certains ont même été paradoxalement oubliés. Pour commencer, alors que l’emploi constituait la priorité numéro 1 des Français (comme lors des campagnes précédentes), toute évocation de la politique de l’emploi a quasiment disparu de tous les programmes. Il est vrai que les deux derniers slogans du « travailler plus pour gagner plus » et de « l’inversion de la courbe du chômage » ont pu constituer des boulets aux pieds des Présidents précédents. Mais au-delà des slogans, c’est surtout un aveu d’échec des politiques d’État fondées sur des contrats aidés, et de tous les dispositifs sur les contrats particuliers. La seconde différence très forte d’un point de vue économique par rapport au scrutin précédent, tient à la quasi absence des débats de la question de la réduction des déficits publics.
Le programme d’Emmanuel Macron est un modèle social libéral européen. Au-delà de la mesure la plus médiatique de suppression de la taxe d’habitation de 80 %, il se concentre sur la baisse des impôts des entreprises, avec des réductions de charge pour les salaires proches du SMIC et un taux d’imposition à 25 % à horizon 2022. Par contre, il n’est pas prévu d’augmentation de la TVA pour financer ces baisses d’impôts. En matière européenne, sa position propose la constitution d’un budget commun et donc la nomination d’un ministre des Finances de la zone euro.
Pour Marine le Pen, les principales lignes de son programme en matière économique sont centrées sur la création d’une taxe à l’importation pour les produits qui pourraient être fabriqués en France, mais surtout sur une sortie de l’Union européenne, avec la suspension des accords de Schengen, puis de l’euro et de l’Union européenne après négociation puis référendum.
Cette question de la zone euro va nous permettre de faire la transition avec la réaction des marchés avant et après cette élection. L’indicateur le plus suivi a été le spread de taux d’intérêt entre la France et l’Allemagne. Il a évolué au gré des évènements politiques : écartement au moment du « Penelope Gate », réduction suite au ralliement de François Bayrou à Emmanuel Macron…Les réactions des marchés de taux, qui ont pris en compte le risque spécifique France, et celles des marchés d’actions, qui sont restés proches de leurs plus hauts niveaux (l’Espagne enregistre la plus forte hausse depuis le début de l’année), ont été différentes, témoignant de l’évolution de la perception des marchés financiers au cours de la campagne. Ainsi, le thème très complexe de la sortie de l’euro n’a plus été mis en avant de la même manière et avec la même force au fil des mois.
Quelles conséquences sur nos allocations ? La sous-performance du marché français dans ce contexte apparaissant relativement modeste, nous avons progressivement arbitré plusieurs positions en actions françaises contre de nouvelles sur la zone euro. Par ailleurs, la dernière semaine, alors que le risque d’un duel Lepen/Mélenchon semblait plus important, nous avons réduit notre exposition sur les actions européennes en maintenant toutefois notre une surexposition.
Au terme de ce premier tour, l’idée est simple : in fine, les marchés sont rassurés. Nous sommes donc revenus à la configuration que nous anticipions en début d’année (et que le « Penelope Gate » a différé) : 2017 pourrait être paradoxalement l’année de la levée du risque politique européen, après une année 2016 secouée par l’élection de Donald Trump et le Brexit. Beaucoup d’investisseurs domestiques avaient ce sentiment, contrairement aux non-résidents.
Quid du second tour ? La question politique ne se situe plus réellement le 7 mai, mais porte désormais sur les élections législatives (où seules 14 investitures « En Marche » ont été annoncées pour l’instant). Elles peuvent déboucher sur des scénarios très divers : une victoire des candidats d’En Marche dans la dynamique d’une victoire d’Emmanuel Macron, des alliances entre partis ou même une majorité pour les candidats Les Républicains.
Sur les marchés financiers, les arbitrages en faveur des actifs non risqués vont se déboucler. Cela entraine la réduction du spread France Allemagne, une baisse du dollar et du yen (valeurs « refuge ») et à une reprise de la tendance haussière sur les indices actions. En effet, le marché devrait se recentrer sur les perspectives des bénéfices par action des entreprises européennes. Une excellente nouvelle puisque pour la 1ère fois depuis la crise de 2008, les analystes ne révisent pas à la baisse les résultats au fur et à mesure du déroulement de l’année, mais au contraire confirment, et même révisent à la hausse, leurs prévisions. Elles se situent dorénavant sur des niveaux entre 12 % à 15 % pour 2017.
Les actions européennes seront surpondérées dans beaucoup de portefeuilles internationaux, et la France, qui avait subi des dégagements en faveur des actions zone euro, opère dès l’ouverture de la Bourse ce lundi, un rattrapage par rapport aux autres pays européens. Néanmoins, il convient de noter que peu de flux sont en réalité engagés ce matin, et beaucoup d’investisseurs espèrent sans doute une consolidation pour revenir sur les marchés européens : ces derniers gagnent déjà depuis le début d’année entre 8 % pour l’Euro Stoxx et le CAC 40 et 14 % pour l’Ibex.
En termes de thématiques, ce sont les financières, bénéficiant de la réduction de la prime de risque, et les valeurs industrielles, qui pourraient tirer parti de la baisse du coût du travail, qui surperforment les indices