par Cyril Regnat, économiste chez Natixis
Ce meeting de la BCE (jeudi 3 décembre) était particulièrement attendu par les marchés, avec des attentes assez élevées en termes de baisse du taux de dépôt (-20bp étaient anticipés sur les eonia forwards) et d’extension de QE (le consensus tablait sur une augmentation de 15Mds du volume d’achats mensuel).
Les mesures annoncées : la déception
Finalement, la BCE, qui était perçue comme une banque centrale allant généralement au-delà des anticipations des marchés (ce qui avait d’ailleurs alimenté ces dernières), a déçu.
En effet, les mesures annoncées sont in fine moins agressives qu’attendu, la BCE ayant décidé de :
- baisser son taux de dépôt de seulement 10pb à -0,30% en maintenant les autres taux directeurs;
- de maintenir le full allotment sur les opérations de refinancement jusqu’à la fin 2017;
-
sur son Asset Purchase Program :
- de maintenir à 60Mds la taille de l’APP ;
- d’étendre de septembre 2016 à mars 2017 la deadline du programme en se laissant la possibilité de dépasser cette date si le niveau d’inflation (spot et anticipations) n’est toujours pas en ligne avec le mandat de la BCE (CPI proche de 2% et inférieur à ce seuil);
- de réinvestir, à l’image de la Fed, toutes les tombées de principal sur son portefeuille de titres aussi longtemps que nécessaire;
- d’intégrer dans le pool d’actifs éligibles au PSPP les titres émis par les titres émis par les régions et municipalités ;
- la BCE se laisse la possibilité d’agir si besoin est, que ce soit sur son QE ou sur le taux de dépôt ;
Réaction des marchés : bérézina généralisée
En décidant de ne pas ajuster sa communication en amont du meeting, la BCE, par son silence (voire ses interventions toujours dovish), a alimenté des anticipations très agressives alors que le marché anticipait déjà plus de 10pb de baisse du dépôt. La réponse de la Banque n’étant pas à la mesure des attentes, on comprend alors mieux la déception des marchés et surtout l’ampleur du repricing observé aujourd’hui.
- Sur les marchés monétaires et sur les taux, ce meeting s’est soldé par une remontée significative des taux en zone Euro. Les eonia forwards, qui intégraient 20pb de baisse du dépôt, ont ainsi corrigé d’une quinzaine de points de base en quelques heures. La BCE laissant inchangée la taille de l’APP à 60Mds, cette correction haussière s’est rapidement étendue aux maturités plus longues, entrainant ainsi une hausse de 18-19pb des taux 5 ans et 10 ans allemands et allant jusqu’à 24pb sur les titres longs périphériques.
* Logiquement, sur le marché FX, l’Euro a fortement rebondi, d’ailleurs avant même la décision de la BCE suite à un tweet malencontreux du FT. L’EUR/USD est ainsi passé de 1,0550 à 1,0850, effaçant ainsi pas loin d’un mois de baisse. Cette réappréciation conséquente de l’Euro arrange notamment la Fed et de nombreuses banques centrales (Suisse, danoise, norvégienne etc.) qui risquaient de devoir ajuster leur décision de politique monétaire en cas de BCE très dovish (en baissant les taux, en achetant des titres européens voire en ne resserrant que très progressivement les conditions monétaires). Pour la BCE, ce rebond ne va clairement pas dans le bon sens, un euro plus fort venant limiter le potentiel de réancrage des anticipations d’inflation.
* Du côté de ces anticipations d’inflation, et malgré une BCE qui va dans l’absolu un cran plus loin en termes de monetary easing, l’ajustement du marché est négatif avec notamment un Forward 5 ans dans 5 ans qui perd près de 3,5pb sur la journée et approche à nouveau la barre des 1,75%.
* Enfin, du côté des marchés actions, la réaction est particulièrement négative, la BCE étant moins accommodante que prévu.
Pourquoi cette décision ?
- Au regard de l’évolution de l’euro et des anticipations d’inflation, on a du mal à comprendre la logique derrière cette décision.
- Officiellement : Pour Mario Draghi, le fait que la BCE n’aille pas plus loin se justifie par l’efficacité réelle des mesures déjà mises en place (en termes de transmission) et par la relative solidité de l’économie européenne, comme l’illustrent les dernières prévisions de croissance pour 2016 et 2017.
- Officieusement : depuis 1 an, la BCE est confrontée à l’absence de réancrage des anticipations d’inflation qui dépendent principalement de l’évolution des prix du baril et à la question du resserrement monétaire de la Fed qui, en étant repoussé à la fin d’année, est venu maintenir l’euro sur des niveaux de valorisation relativement élevés face au dollar (jusqu’à très récemment). Dès lors, une forte dévaluation de l’euro étant l’un des rares leviers pour faire remonter l’inflation, la BCE a peut-être décidé de ne pas faire un « all-in » dès décembre pour garder des munitions en cas de Fed moins hawkish que prévu. On peut aussi si demander si la BCE n’a pas décidé de donner une leçon au marché et réaffirmant son indépendance vis-à-vis des attentes des investisseurs.
Et maintenant ?
Le marché va devoir digérer rapidement ce meeting avec dès demain les chiffres de l’emploi américain, chiffres que la Fed analyser avec attention aux dires de Janet Yellen. Le newsflow se tournera donc résolument vers les Etats-Unis avec comme point d’orgue le meeting de la Fed du 16 décembre.
- Pour les actifs européens, on peut imaginer que l’appétit pour le risque souffre dans les prochaines semaines au regard de cette BCE moins conciliante, surtout en cette fin d’année ;
- Du côté des taux d’intérêt €, les taux courts devraient se stabiliser sur les niveaux observés ce soir avec un Schatz qui devrait évoluer entre -0,30% et -0,35%. Le bear steepening des courbes core sur les segments 2-5 et 2-10 pourrait se poursuivre avec un 10 ans allemand qui devrait évoluer dans son ancien trading range [0,60% ; 0,80%] ;
- Du côté de l’EUR/USD, il est peu probable que ce dernier vienne dorénavant tester la parité d’ici à la fin d’année. Le débouclage des positions short risque de faire payer l’euro ce qui pourrait compenser les effets baissiers liés au resserrement de la Fed. On pourrait ainsi tester les 1,10-11 avant de revoir des niveaux plus bas que le spot actuel (1,09) ;
- Du côté des banques centrales, la BNS ne devrait pas baisser ses taux et nous n’aurons pas d’interventions massives sur le marché des changes par les suisses ou les danois donc moins de pressions baissières sur les taux européens. En étant moins agressive aujourd’hui, la BCE se dote d’une capacité de réagir supplémentaire en cas de dérives de l’inflation européenne. En plus, via sa politique de réinvestissement, la Banque va pouvoir monitorer assez finement son degré d’easing en pouvant resserrer les conditions monétaires sans avoir à monter ses taux directeurs. Aussi, la BCE commence clairement à préparer l’après mars 2017 en indiquant qu’elle continuera d’augmenter si nécessaire, la taille de son bilan de 60Mds au-delà de cet horizon. Il y a quand même une bonne nouvelle en tout cas : la BCE récupère aujourd’hui près de 1200Mds d’actifs éligibles au PSPP grâce au sell-off du jour et la baisse du dépôt. Elle n’aura donc pas trop de problème à sourcer ses titres…