par Patrick Artus, directeur de la recherche économique et des études de Natixis
La mondialisation peut certainement faire apparaître des tentations protectionnistes, puisqu’elle conduit à des délocalisations, à des pertes d’emplois, à l’ouverture des inégalités.
Mais elle peut être aussi une assurance contre le protectionnisme, compte tenu de la forme qu’elle prend aujourd’hui.
Si un pays a perdu une partie de son industrie, a délocalisé de manière irréversible ; si de ce fait il doit exporter des biens et des services haut de gamme et importer beaucoup de produits industriels qu’il ne fabrique plus domestiquement, alors ce pays serait terriblement pénalisé par le protectionnisme (hausse des prix des importations, rétorsions contre ses exportations).
Il est difficile de savoir aujourd’hui si ce rempart, pourtant convainquant, contre le protectionnisme sera suffisant pour l’éviter.
L’arrêt de la hausse de l’endettement comme moyen de doper la demande et la croissance fait apparaître les coûts de la mondialisation aux États-Unis et en Europe : pertes de parts de marché, donc pertes associées de production et d’emploi, transferts de capacité de production des pays de l’OCDE vers les pays émergents – polarisation des marchés du travail et des économies aux deux extrêmes : emplois sophistiqués (finance, IT, services aux entreprises) et emplois peu sophistiqués dans les services domestiques, d’où ouverture des inégalités.
Tant que le crédit augmentait rapidement et stimulait l’investissement logement, les achats de biens durables ces effets étaient cachés, ils apparaissent aujourd’hui clairement et contribuent à la hausse du chômage, à la sensation de stagnation du pouvoir d’achat des salariés.
La hausse du chômage (graphique 7 plus haut), le recul de la production industrielle pouvant ainsi être attribués à la globalisation, à l’ouverture des échanges avec les émergents, après la fin du soutien artificiel de la croissance par le crédit, il est normal que des tentations protectionnistes apparaissent. On les a vu apparaître sous des formes diverses dans la période récente par exemple :
- soutien non coordonné aux banques, avec des garanties différentes d’un pays l’autre ;
- soutiens sectoriels sous condition de maintien des emplois dans le pays (plan automobile en France ; programme « buy american » aux États-Unis…) ;
- composantes « non coopératives » dans les programmes de relance budgétaire (soutien aux entreprises, baisse des charges sociales…).
La désindustrialisation, le transfert des capacités depuis les pays émergents, devraient pourtant normalement décourager l’usage du protectionnisme. Beaucoup de pays de l’OCDE (États-Unis, Royaume-Uni, Espagne, dans la période récente France) ont en effet un commerce extérieur très déséquilibré, qui est le reflet des délocalisations, de l’outsourcing des productions vers les pays émergents.
Même les pays excédentaires (Allemagne, Japon jusqu’à la période récente) ont massivement utilisé l’externalisation, ce qui rend la production domestique très peu substituable aux importations, puisque les capacités de production correspondantes n’existent plus dans les pays de l’OCDE, ont été transférées dans les pays émergents.
L’analyse économétrique montre que l’élasticité – prix des importations en volume est de :
- 0,08 aux États-Unis ;
- 0,08 au Royaume-Uni ;
- 0,20 en Allemagne ;
- 0,32 en France ;
- 0,10 en Espagne ;
- 0,20 en Italie ;
- 0,19 au Japon.
Ces valeurs faibles ou très faibles de l’élasticité – prix des importations confirment la faible substituabilité entre production domestique et importations.
La concentration des économies des pays de l’OCDE vers d’une part les productions sophistiquées, d’autre part les services domestiques montrent que ces pays doivent se spécialiser dans les exportations de biens et services sophistiqués.
Ceci se voit, quand on regarde la balance commerciale pour les biens d’équipement en Allemagne, en Italie, au Japon ; quand on regarde la balance commerciale des services hors tourisme au Royaume-Uni.
On voit alors que le protectionnisme peut être inefficace et dangereux :
- inefficace puisqu’il ne peut pas réduire le volume des importations des pays de l’OCDE, puisque leur production domestique n’est que très faiblement substituable à ces importations ;
- dangereux puisque les mesures de rétorsion prises par les autres pays compromettraient la capacité à exporter des biens et services sophistiqués, haut de gamme, qui sont normalement le type d’exportations qui se développent après la délocalisation de l’industrie milieu de gamme.
Synthèse
Après la disparition du soutien de la demande et de la croissance par le crédit, beaucoup de pays de l’OCDE sont confrontés aux pertes de capacités de production et d’emploi dues à la globalisation, à la concurrence des pays émergents, d’où la tentation protectionniste.
Mais la globalisation a consisté pour la plupart de ces pays en un processus de délocalisation de l’industrie milieu de gamme et de spécialisation aux deux extrêmes, haut de gamme et services domestiques.
Le protectionnisme serait alors catastrophique pour ces pays : il ne réduirait pas les importations en volume, la substituabilité entre productions domestiques et importations étant très faible avec la délocalisation des capacités correspondantes ; il conduirait à des mesures de rétorsion pénalisant les exportations haut de gamme.
Puisque le protectionnisme est à la fois tentant et catastrophique, compte tenu de la nature de la mondialisation, il est difficile de savoir de quel côté les opinions et les gouvernements vont basculer.