Moody blues

par Hélène Baudchon et Jean-Luc Proutat, économistes chez BNP Paribas

Le 19 novembre 2012, Moody’s abaissait d’un cran la note de la dette souveraine de la France, de Aaa à Aa1, note assortie d'une perspective négative. Cette annonce n’est pas une surprise. Le 23 juillet, Moody’s avait déjà indiqué se donner quelques mois pour passer en revue le rating français, avant d’acter ou non une dégradation.

Il s’agissait alors d’évaluer les implications d’une croissance à l’arrêt et des derniers développements sur le front de la crise souveraine européenne (développements ayant entraîné la mise sous perspective négative du AAA de l’Allemagne, des Pays-Bas et du Luxembourg, seule la Finlande échappant au couperet). Moody’s souhaitait également attendre la présentation du budget 2013 avant de se prononcer. La décision du 19 novembre est l’aboutissement de cette réflexion. Moody’s suit donc S&P, qui a dégradé la note de la France d’un cran, de AAA à AA+ le 13 janvier dernier. Seule Fitch continue de noter la France AAA. Pour les trois agences, la perspective attachée à la note est négative.

Moody’s, comme S&P, avait préparé le terrain, réduisant l’effet de surprise. Le risque d'abaissement de la note était donc intégré par les marchés Sa matérialisation n'a pas eu d'effet significatif sur le "spread" (l'écart de taux d'intérêt avec l'Allemagne). La France « grande économie diversifiée » conserve une notation de grande qualité parmi les plus élevées. Du fait de la profondeur et de la liquidité du marché de sa dette, elle a pu continuer à jouer un rôle de valeur refuge.

Les pourquoi de la décision…

Le diagnostic porté par Moody’s et les arguments avancés sont les suivants :

  • Les perspectives de croissance sont entamées par la perte de compétitivité, les rigidités des marchés du travail, des biens et des services. Les prévisions de croissance du gouvernement (+0,8% en 2013 et +2% à partir de 2014), qui sous-tendent l'objectif de réduction du déficit budgétaire, sont ainsi jugées trop optimistes. Moody’s table sur une croissance nulle en 2013 et sur un dérapage limité du déficit budgétaire à 3,2% du PIB.
  • L'exposition à d’éventuels chocs dans la zone euro. Pour Moody’s, la vulnérabilité de la France tient à son exposition, commerciale et bancaire, à l’Europe "périphérique" et à l’augmentation potentielle de ses engagements au titre de la solidarité européenne (prêts bilatéraux, garanties apportées au Mécanisme européen de Stabilité, participation au capital de la BCE…).
  • La France ne bénéficie pas, comme d’autres pays pareillement notés, du soutien d’une banque centrale nationale pour financer sa dette en cas d'interruption des financements de marchés.

Ce qu'il faut en penser

Bien qu’attendue, la décision de Moody’s n’est pas anodine. Elle vise la France seule, alors que S&P avait intégré la perte du AAA français dans une sanction collective visant les lacunes dans la gestion de la crise des dettes souveraines.

La dégradation de la note intervient au moment même où la France s’engage dans un effort de consolidation budgétaire inédit (2 points de réduction du déficit structurel visé en 2013) et annonce des mesures en faveur d’un redressement de sa compétitivité1. Pour Moody’s, ces engagements n’étaient pas suffisants pour éviter le downgrade mais juste le limiter à un cran. La mise sous surveillance avec implication négative maintient donc la pression sur le gouvernement, au moment où le calendrier des réformes s’étoffe. Celle portant sur le marché du travail est en cours de discussion et doit déboucher au tournant 2012-2013. Il en va de même de la réforme du financement de la protection sociale (les recommandations du Haut Conseil sont attendues pour mars 2013). Une nouvelle réforme des retraites est annoncée en 2013. Beaucoup reste à faire, et il faut encore transformer les discours en actes, mais l’intention semble là.

Si la perte d’un cran peut se justifier au regard de la situation interne de la France, l’argumentation portant sur ses engagements européens est plus contestable. D’abord, si la situation en périphérie de la zone euro venait à se dégrader au point de questionner la soutenabilité de la dette en France, que dire de l’Allemagne? La première puissance économique européenne est aussi la plus engagée au sein du MES (27% du capital) comme de l’Eurosystème (719 milliards d’euros inscrits en compte TARGET2 en octobre). En outre, l’argument consistant à dire que la France ne bénéficie pas, comme d’autres, d’une banque centrale susceptible de lui prêter en dernier ressort est discutable. Peut-on vraiment imaginer que la BCE, qui a réaffirmé l’irréversibilité de l’euro, reste sans agir en cas de stress majeur sur la dette française? Et que l’Allemagne, grande détentrice d’OAT, serait contre des achats qui stabiliseraient le marché ?

Enfin, la prime accordée aux pays qui font financer abondamment leur dette par la banque centrale (le Royaume-Uni maintient son triple A) pose question. Outre que la monétisation n’empêche pas les déficits, elle n’est historiquement guère favorable aux créanciers, soit qu’elle ait débouché sur de l’inflation et/ ou entraîné une dépréciation du change.

NOTE

1 Le pacte pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, présenté le 6 novembre 2012, prévoit notamment un allègement de charges des entreprises via un crédit d’impôt de EUR 10 milliards en 2014, porté à EUR 20 milliards en 2016.

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