Moody’s dégrade à son tour la note de la France

par Olivier Eluère, économiste au Crédit Agricole

• Le mardi 20 novembre, l’agence Moody’s a dégradé d’un cran la notation de la France, de Aaa à Aa1. Standard and Poors avait déjà annoncé le 13 janvier 2012 qu’elle dégradait d’un cran la notation de la France, de AAA à AA+. De plus, dans les deux cas, la note est assortie d’une perspective négative.

• L’agence explique principalement ces dégradations par les insuffisances en matière de réformes structurelles, une trajectoire budgétaire 2013-2017 jugée trop optimiste et une exposition trop marquée aux pays périphériques. L’absence d’une Banque centrale endossant pleinement un rôle de prêteur en dernier ressort joue aussi en défaveur de la notation souveraine française.

• Mais Moody’s met également en avant certains points forts de la France et les récentes avancées en matière de réformes.

• Cet abaissement de note ne devrait pas conduire à une remontée significative des taux longs français. Les faiblesses structurelles de la France sont déjà bien connues et la perte du Aaa était déjà très largement anticipée par les marchés.

Pourquoi Moody’s a-t-il dégradé la note de la France ?

Moody’s avance quatre principaux facteurs :

  • Un problème structurel de compétitivité, tant en matière de compétitivité-coût (hausse trop forte des coûts de production et notamment des coûts salariaux unitaires, modération salariale insuffisante, poids élevé des cotisations sociales) que de compétitivité-qualité (efforts insuffisants en matière d’investissement, d’innovation et de recherche développement).
  • Un problème structurel de rigidité du marché du travail, avec notamment une législation jugée trop protectrice pour les CDI, une flexibilité insuffisante et une régulation assez restrictive du marché des services, qui pèsent sur la profitabilité des entreprises.
  • Une trajectoire budgétaire 2013-2017 trop optimiste. Selon les prévisions officielles, le solde public serait en quasi-équilibre en 2017 (-0,3% du PIB) et le solde structurel à l’équilibre en 2016. Mais les hypothèses économiques sont jugées très optimistes (0,8% en 2013 et 2% par an en 2014-2017), compte tenu de l’impact négatif des mesures de durcissement fiscal, du haut niveau du chômage et des faiblesses structurelles mentionnées ci-dessus. Par ailleurs, cette trajectoire suppose des efforts structurels continus sur toute cette période, notamment en matière de dépenses publiques, ce qui en France est (au regard du passé) difficile à réaliser.
  • Une exposition assez forte de l’économie française aux pays périphériques européens. Une nouvelle aggravation de la crise de la dette en zone euro et une récession accrue dans ces pays auraient des conséquences négatives marquées sur la croissance française et sur les finances publiques.

Points positifs

Ces problèmes structurels et ces points négatifs sont tout à fait évidents et largement connus. Ils doivent toutefois être contrebalancés par des points positifs, Moody’s note d’ailleurs que le rating de la France reste très élevé et que la dégradation est limitée à 1 « notch ». Moody’s rappelle les points positifs suivants :

  • La qualité et la diversification de notre tissu économique ;
  • L’annonce récente du « pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi » ;
  • L’engagement marqué du gouvernement à réduire les déficits publics et à mettre en place des réformes structurelles.

Commentaire

On pourrait rajouter que la France dispose de nombreux fondamentaux positifs : qualité des infrastructures de transport, logistique, télécommunication, santé, éducation ; qualité de la main d’œuvre et productivité horaire élevée ; entreprises performantes dans certains secteurs : aéronautique, ferroviaire, nucléaire, armement, agroalimentaire, luxe ; taux d’épargne des ménages élevé et endettement privé non excessif, contrairement à certains de nos partenaires aujourd’hui sous pression.

Sur les finances publiques 2013, il faut rappeler que le ciblage des mesures de durcissement fiscal sur les hauts revenus, sur les placements financiers et sur les grandes entreprises devrait limiter l’effet négatif de l’ajustement structurel sur la croissance. Celle-ci devrait osciller autour de 0,4% en 2013 (alors que Moody’s prévoit 0%). Le respect de l’objectif de 3% pour le déficit public, et le fait que la croissance serait à 0,4% et non 0,8%, va sans doute nécessiter un nouvel effort structurel de 4 milliards d’euros, mais celui-ci nous semble gérable, sans tomber dans le piège d’une surenchère à l’austérité.

Il est cependant clair que les réformes structurelles sont insuffisantes. La compétitivité devrait bénéficier des mesures de soutien mises en place depuis plusieurs années et du récent pacte de compétitivité, mais ceci ne suffira pas. Il s’agit d’un premier pas dans la bonne direction, mais d’autres réformes devront suivre pour permettre une plus grande flexibilité du marché du travail (et réduire sa dualité), une meilleure formation des salaires et des prix et un redressement durable de l’investissement. Les efforts budgétaires devront également à l’avenir davantage porter sur les dépenses publiques, avec une feuille de route claire et crédible pour réduire leur poids dans l’économie, et ce à tous les niveaux de l’État, y compris les collectivités locales.

Les investisseurs seront très attentifs à l’avancée de ces réformes et aux futurs programmes d’ajustement en matière de dépenses publiques.

L’effet de cette dégradation sur les rendements des titres d’État français devrait néanmoins rester limité. Certains investisseurs, notamment les grands institutionnels, qui ont des politiques d’investissement ultra-prudentes sous contraintes de notations, vont probablement alléger leur exposition. Mais, face à un univers d’investissement triple AAA qui se réduit, la France en restant un des pays européens les mieux notés, peut faire valoir ses « points forts » Sans compter que le niveau extrêmement bas des taux allemands rend les taux français relativement attractifs.

À l’annonce de cette dégradation, le dix ans français n’est d’ailleurs que très légèrement remonté, 2,14 à 14 heures, contre 2,07 la veille, et le spread avec le Bund Allemand n’a guère bougé, 75 pdb, contre 71 la veille.

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