par John Plassard, Spécialiste en investissement chez Mirabaud
Rarement (jamais) une crise économique n’aura autant fait couler d’encre. Pas seulement pour la violence et la rapidité de la baisse des indices, des rendements et de certaines devises, mais aussi pour leur tout récent rebond qui a pris une nouvelle fois les investisseurs de cours. Ces périodes d’incertitudes fortes liées au coronavirus laissent ainsi beaucoup de questions en suspens et surtout celle de savoir où vont les indices.
Si j’avais déjà conseillé de regarder les marchés du bon côté le 25 mars dernier (Et si on ne parlait que des bonnes nouvelles ?), je réitère l’exercice aujourd’hui. Synthèse et analyse.
a. Les faits
Alors que la recherche du cygne noir (Black Swan) était dans l’esprit de plusieurs analystes (dont nous), il est arrivé une nouvelle fois là où on ne l’attendait pas, sous la forme d’une catastrophe sanitaire sous le nom de Covid-19.
Plus forte baisse du marché des actions depuis 1929, effondrement du rendement des Treasuries ou encore baisse de plus de 65% du prix du baril de pétrole depuis le 20 février, il n’en fallait pas plus pour que les convictions sur lesquelles nous nous reposions volent en éclat.
Si en 1929, 1987 ou encore en 2008 on pouvait affirmer qu’il n’y avait « qu’un » caractère économique à ces crises, celle que nous traversons actuellement a un caractère qui n’est pas « maitrisable » : la maladie (Covid- 9).
b. État des lieux et où vont les marchés ?
Pour savoir comment vont évoluer les marchés, il convient d’analyser la situation actuelle par « niveau ».
b1. Au niveau monétaire
Je l’ai rappelé à plusieurs reprises, l’entrée en action des banques centrales ne s’est pas faite de la meilleure manière qu’il soit. En effet, la Fed a tout d’abord annoncé contre toute attente une baisse de 50 points de base de ses taux directeurs le 3 mars 2020 à 10 jours de la réunion du FOMC alors que le stress sur les marchés s’était détendu.
Ensuite, le 12 mars suivant, Christine Lagarde, la présidente de la BCE renoncera quant à elle à baisser ses taux tout en annonçant une enveloppe minuscule de rachat d’actifs de 120 milliards d’euros jusqu’à la fin de l’année. Ces 2 réponses à la crise n’avaient pas été jugées satisfaisantes et ont précipité les indices à la baisse.
Dans une deuxième phase de « réajustement », les banques centrales mondiales se sont enfin mises en ordre de bataille et ont plagié le Whatever it takes de Mario Draghi de 2012 lorsque l’ancien président de la BCE avait annoncé le sauvetage de la zone euro « quoi qu’il advienne ».
Parmi toutes ces nouvelles interventions des banques centrales, je relèverai une nouvelle fois l’annonce majeure de la banque centrale américaine du jeudi 9 avril dernier. La Fed a en effet élargi son programme de prêt/rachat de 2,300 milliards de dollars et a annoncé l'expansion de ses facilités de crédit aux entreprises sur les marchés primaire et secondaire, qui permettront désormais d'acheter des junk bonds (obligations de pacotille), qui étaient cotés triple B moins ou plus le 22 mars dernier. En outre, la Fed achètera également des ETF junk. Par ailleurs, la Fed a annoncé qu'elle achèterait jusqu'à 500 milliards de dollars d’obligations à court terme.
Bilan : L’intervention des banques centrales n’a jamais été aussi puissante (en terme de montant, mais aussi de la gamme d’actifs concernés) et dépasse largement les crises de 1929, 1987 et 2008.
b2. Au niveau des gouvernements
Jamais une crise n’avait amené les gouvernements à autant promettre au niveau fiscal avec des relances sans penser « au lendemain » (c’est-à-dire la dette qu’il faudra un jour repayer).
Les grands argentiers des sept pays les plus industrialisés (G7) ont par exemple promis en début de semaine de faire « tout ce qui est nécessaire pour restaurer la confiance, la croissance économique et protéger l'emploi » face aux ravages économiques de la pandémie de Covid-19.
Ils ont aussi souligné leur volonté de coopérer, avec les responsables des banques centrales, pour faire face à la crise qui devrait précipiter l'économie mondiale dans la récession cette année. En bref, la coordination s’installe.
Autre exemple, parlant : l’Allemagne. La pandémie de coronavirus a (enfin ?) fait tomber le verrou du dogme budgétaire. Le gouvernement d'Angela Merkel prévoit un plan d'aide économique à l'ampleur sans précédent pour le pays. 822 milliards d'euros de prêts vont être mis à disposition des entreprises et des salariés, dans l'objectif de soutenir l'économie durant la crise sanitaire du coronavirus. xxxxxxxxxxxxxxxxx Et pour la première fois depuis 2013, l'Allemagne va emprunter de l'argent sur les marchés pour financer ces mesures.
Le pays entend s'endetter à hauteur de 156 milliards d'euros alors qu'il dégageait des excédents budgétaires depuis cette date.
Le seuil pour le déficit, qui ne doit normalement pas dépasser le seuil des 0,35% du PIB, pourra être dépassé.
Cette enveloppe va notamment financer le chômage partiel des salariés. Les entreprises n'auront donc pas à les licencier ni à verser de salaires, ce qui leur permettra de résister durant la crise. 2,5 millions de personnes pourraient faire appel à ce dispositif.
Les aides financeront un Fonds de secours doté de 600 milliards d'euros pour les entreprises les plus en difficulté.
Enfin, Berlin n'exclut plus de possibles nationalisations.
Alors que j’étais le premier à dire que le gouvernement allemand ne lâcherait jamais la bride du dogme budgétaire, le coronavirus aura eu le dernier mot.
Aux États-Unis, si les Démocrates et les Républicains s’écharpent pour gagner la Maison Blanche en novembre prochain, le coronavirus aura amené une « certaine trêve » entre les deux ennemis jurés. En effet, les démocrates et les républicains ont conclu un accord sur un plan de relance économique de 2’000 milliards de dollars contre les coronavirus.
De plus la majorité des américains viennent de recevoir (au 15 avril) un chèque puisque le gouvernement a relancé son « hélicoptère money » déjà mis en place lors de la crise de 2008. Dans le cadre de la loi CARES, les personnes qui déclarent leurs impôts en tant qu’individus sont éligibles pour des paiements jusqu’à 1200 dollars et les couples qui déposent conjointement sont éligibles jusqu’à 2400 dollars plus 500 dollars supplémentaires par enfant de moins de 17 ans.
Bilan : Les exigences de Maastricht sont tombées en Europe, le dogme budgétaire allemand a été mis en mode pause et les États-Unis ont relancé l’hélicoptère money.
b3. Au niveau économique
C’est un des niveaux où l’on a le plus de doute, car la maladie n’est toujours pas éradiquée et qu’un redémarrage de l’économie ne signifie en aucun cas qu’il ne peut pas être mis à l’arrêt à nouveau si besoin était. Cependant, ce que l’on peut dire aujourd’hui, c’est que d’après différentes données compilées par le cabinet de conseil Trivium China, implanté à Pékin, l’économie chinoise tourne à plus de 80 de son rythme habituel.
Cette tendance à la reprise a d’ailleurs été confirmée par les derniers chiffres de la production industrielle (un recul de « seulement » -1,1% de la production industrielle en mars).
Rappelons que la baisse historique du PIB chinois à -6.8% concerne le 1er trimestre 2020 et n’est pas un indicateur avancé pour le 2ème trimestre.
Dans les autres régions du monde, le déconfinement progressif se confirme aussi que cela soit en Suisse, en France ou encore en Italie. Même aux États-Unis (en retard sur le « cycle de la maladie ») le gouvernement pense à rouvrir les commerces et les usines.
Les recommandations fédérales publiées par la Maison-Blanche prévoient que les États se basent sur un certain nombre de critères précis pour renouer avec le cours de leurs activités en trois étapes progressives. Donald Trump recommande aux États américains de faire redémarrer l’activité et lever les restrictions liées au coronavirus en fonction de la décrue de la propagation de l’épidémie.
Certains États pourraient dès à présent passer à la première phase. Sans préciser lesquels, le président a estimé que 29 États pourraient bientôt entamer le processus d’ouverture.
La première étape pourrait être enclenchée lorsqu’un État enregistre une diminution des cas de Covid-19 sur une période de 14 jours et que ses hôpitaux ne sont plus submergés par l’afflux de patients. Parallèlement, les autorités devraient être en mesure de dépister à large échelle les cas de coronavirus.
Si aucun « rebond » de l’épidémie n’est constaté, la phase deux pourrait s’enclencher, avec notamment une réouverture des écoles et la reprise des voyages.
La levée des restrictions et du confinement, lors d’une troisième phase, interviendrait lorsque l’absence de résurgence de l’épidémie serait confirmée. Les restrictions sur les lieux de travail seraient alors levées.
Bilan : Puisque ce niveau a un lien avec le coronavirus, il n’y a aujourd’hui aucune certitude sur le fait que cela soit opportun ou non de faire repartir l’économie progressivement malgré le fait que la maladie ne soit pas éradiquée. L’avenir (proche) nous le dira.
b4. Au niveau sanitaire
C’est bien évidemment la partie la plus difficile à analyser et à juger. Si je ne commente pas les vaccins en préparation (ou les rumeurs qui entourent par exemple Gilead Sciences), je me réfère tout simplement ici aux données publiées par l’Université Johns Hopkins qui fait foi en la matière.
Cette dernière (avec le gouvernement italien) a par exemple déclaré que l'Italie avait annoncé vendredi dernier la guérison de 2563 malades du Covid-19 en une journée. Il s'agit d'un record depuis le début de la pandémie dans ce pays où elle a officiellement tué près de 23'000 personnes.
Si on croit maintenant le modèle de JP Morgan (crée avec des médecins il va de soi et proche du modèle de John Hopkins), la maladie évoluerait comme un cycle : la Chine et la Corée du Sud proche de la fin de la pandémie et des pays comme l’Indonésie et les Philippines en queue de peloton.
Enfin, si on se réfère aux statistiques chinoises on pourra noter que le 8 avril les autorités (chinoises) levaient le bouclage imposé depuis deux mois à la ville chinoise Wuhan berceau de l'épidémie. Cet évènement est l’entame de fin de crise sanitaire en Chine. Depuis le 23 janvier, les personnes présentes dans cette municipalité de 11 millions d'habitants du centre du pays ne pouvaient pas sortir des frontières de la commune.
Bilan : En nous référant aux différentes études, le Covid-19 suivrait une courbe semblable à la grippe saisonnière. Ceci laisse entendre que le commerce mondial pourrait reprendre progressivement. Seul bémol, aucun de ces modèles ne prennent en compte l’arrivée d’une potentielle deuxième vague.
b5. Au niveau des analystes
Le 22 janvier nous avons été l’une des premières institutions à avertir de l’impact négatif du coronavirus dans une étude intitulée : Impacts du coronavirus (n’hésitez pas à me redemander mon analyse), cependant le travail des analystes, des économistes et des institutions s’est largement fait attendre. Début mars, de nombreuses institutions pariaient toujours sur une croissance américaine positive au deuxième trimestre, une récession mondiale qui serait évitée et une hausse du chômage minime.
Aujourd’hui, ces divers acteurs ont (heureusement) revu leurs estimations à la baisse en pariant sur de très fortes baisses lors des 2 premiers trimestres 2020 dans un scénario « idéal ».
Dernière institution en date, le FMI a révisé en forte baisse ses prévisions économiques mondiales pour tenir compte de la chute de l'activité provoquée par la pandémie de coronavirus. Le Fond prévoit désormais une contraction de l’économie de 3%, au lieu d’une croissance de 3,3% annoncée en janvier dernier avant que la pandémie ne prenne de l'ampleur.
« Il est très probable que l'économie mondiale connaisse cette année sa pire récession depuis la Grande Dépression, qui dépassera celle observée pendant la crise financière mondiale », résume le FMI. La contraction devrait toucher en premier lieu les économies les plus avancées, qui sont aussi les plus durement touchées par la pandémie : le PIB des États-Unis devrait chuter de 5,9%.
La zone euro, elle, subirait une contraction de 7,5% en 2020 avec une chute de 9,1% du PIB en Italie, de 8% en Espagne, de 7% en Allemagne et de 7,2% en France où 8 millions de personnes sont inscrites au chômage partiel.
Enfin, on peut noter que la banque américaine Morgan Stanley vient (aussi) de revoir à nouveau ses estimations pour la croissance mondiale à la baisse. Elle parie maintenant par exemple pour une croissance américaine au premier trimestre de -10% et au 2ème trimestre de … -40% !
Dans le même esprit la banque Goldman Sachs a encore revu ses objectifs pour les entreprises américaine à la baisse (leurs bénéfices du S& 500 devraient s’effondrer de … 123% au deuxième trimestre).
Bilan : Le consensus a enfin révisé à la baisse ses estimations concernant l’économie mondiale et les résultats des entreprises. Cet abaissement a été des plus laborieux mais commence enfin à prévoir le scénario du pire (laissant donc place à de potentielles surprises positives).
c. Les enseignements que l’on peut tirer aujourd’hui
ll y a plusieurs enseignements à retenir du krach que nous avons vécu en mars dernier :
- À moins d’une faillite du système financier (ce qui ne sera pas le cas), à un moment donné les indices rebondissent
- La perfection est l'ennemi du bien lorsqu'il s'agit d’investir son argent
- Investir trop tôt n’est pas une tare si vous pouvez « tenir » vos investissements (pas d’appels de marge) en d’autres termes, quelle baisse des marchés pouvez-vous encore supporter ?
d. Quelle évolution des marchés ?
En me référant exclusivement aux points b1-b2-b3 et b5, je pense ici que le point bas pour les marchés cette année a été atteint à la mi-mars 2020.
En me référant au point b4, je pense que le rebond sera alimenté par une forte volatilité hebdomadaire comme nous avons pu le connaître mardi passé (-3.5% sur l’EuroStoxx 50) ou encore vendredi dernier (+2.70%).
Rappelons ici, si besoin était, que les plus importantes crises financières ont montré qu’il y avait toujours de « faux départs » avant de « vraiment repartir ».
On se souvient par exemple qu’en 2008, il y a eu 6 rebonds (entre 9 et 19%) avant que le S&P 500 recommence à progresser de manière conséquente.
e. La grande inconnue
Contrairement aux 3 plus importantes crises économiques de l’histoire (1929, 1987 et 2008) la crise que nous connaissons aujourd’hui a cela de différent qu’elle a un caractère sanitaire.
Cet élément est totalement imprévisible et perturbe l’équation qu’il faut résoudre pour déterminer l’évolution future des marchés. Cela étant dit mon analyse du marché devrait radicalement changer s’il devait, par exemple, avoir une nouvelle vague de la pandémie.
f. Synthèse
Si on analyse l’aspect économique, monétaire, gouvernemental et potentiellement sanitaire, on peut s’accorder pour dire que les indices ont touché leur point bas annuel à la mi-mars 2020. Cependant l’aspect inédit de cette crise réside dans le fait qu’il y a une pandémie qui pourrait potentiellement totalement changer la donne.