Pays émergents : moteurs d’un nouvel équilibre ?

par Philippe Waecheter, Directeur de la recherche économique de Natixis AM

"L'équilibre et la dynamique de l'économie mondiale ont profondément changé." C'est peut être ce que l'on pourra écrire lorsque l'on se penchera rétrospectivement sur la crise qui a bousculé les principaux pays industriels au tournant de la première décennie des années 2000. Ce changement de perspectives pourrait alors refléter l'impact conjoint d'une crise financière et bancaire de grande ampleur au sein des pays industrialisés et une plus grande maturité des pays émergents.

Les pays industrialisés sortent difficilement d'une période marquée par une rupture profonde. Ainsi, à la mi-2010, leur niveau d'activité est encore très en-dessous de celui d’avant-récession. Ce n'est plus le cas au Brésil, en Corée du sud, à Taiwan ou encore en Chine où il est désormais nettement supérieur à ce niveau d'avant-crise.

Cette hiérarchie plutôt inhabituelle en sortie de récession reflète l'impact de la crise financière et bancaire qui a affecté les pays industrialisés.

Les pays émergents n'ont pas été pénalisés de la sorte : ils ont subi la phase de rupture de l'activité, mais leur phase de reprise n'a pas été entravée par les contraintes liées aux excès financiers constatés dans les pays industrialisés.

Des dynamiques différenciées

La reprise enregistrée pour l'économie globale depuis plusieurs mois trouve son origine notamment dans le retournement rapide, fort et durable de l’activité des émergents. Cet ensemble est néanmoins disparate : les régions ne progressent pas à la même vitesse et n'ont pas un impact équivalent sur l'économie globale.

C'est l'Asie qui tire le plus vers le haut l'économie globale. C'est dans cette région que la production a le plus progressé tandis que ses échanges augmentaient rapidement. L’Asie est la seule région à disposer d'un niveau de production industrielle et d'échanges en volume nettement supérieur à celui d'avant la récession. L'Amérique latine, notamment via le Brésil, a progressé aussi rapidement mais dans des proportions plus réduites qu'en Asie.

Cela modifie sensiblement la perception de la régulation conjoncturelle. Si la croissance a redémarré dans les pays émergents et que le niveau d'activité s'élève, alors les tensions habituelles d'une économie en croissance apparaissent. Il faut que les autorités et la banque centrale soient particulièrement attentives afin d’éviter ou de limiter l'apparition de ces déséquilibres. D’où les mouvements récents opérés par les banques centrales, notamment en Asie et au Brésil, afin de s’ajuster au niveau d’activité en pleine expansion.

Du côté des pays industrialisés, la question ne se pose pas encore puisque, pour ces derniers, l'activité en niveau est encore réduite, le marché du travail peine à s'ajuster et le taux de chômage reste fort. L’objectif des autorités est de limiter les contraintes pouvant peser sur l'économie.

Cet aspect est important car il reflète bien les contraintes différenciées qui affectent les différentes zones de l'économie mondiale.

Émergents : une nouvelle maturité ?

Autre différence majeure : l’évolution du comportement même des pays émergents qui essaient désormais de gérer le cycle économique de façon à ce que celui-ci se prolonge et se diffuse in fine le plus possible au sein de chaque économie. Leur comportement était plus versatile par le passé et engendrait souvent une inflation forte qui pénalisait la croissance.

Rien de tel aujourd'hui. On peut voir dans ce changement une plus grande maturité politique en phase avec le développement d'une classe moyenne dans bon nombre de ces pays. Favoriser et satisfaire cette classe moyenne permet de prolonger le cycle économique et de recentrer les sources de la croissance sur une dynamique interne plus autonome.

Ce rééquilibrage prendra du temps car il est nécessaire de créer des institutions pour accompagner l'apparition d’une classe moyenne de consommateurs. Il faut réduire l’incertitude et mettre en place les organisations qui assureront un environnement plus serein et moins incertain. Cette dynamique est déjà à l’œuvre dans plusieurs pays d'Asie "avancée" comme la Corée.

Néanmoins, pour réussir une telle transition dans la durée, il faut disposer d'une dynamique macroéconomique stable. Cela renvoie à la nécessité de gérer le cycle économique en réduisant les déséquilibres ; une gestion complexe qui va nécessairement engendrer des changements dans les modes de fonctionnement de ces économies.

Des interrogations qui subsistent

Cette perception de la dynamique émergente fait surgir trois questions majeures : 

  • Est-il préférable d'avoir un régime politique fort pour favoriser la croissance ? Probablement pas. à moyen terme les régimes trop directifs favorisent rarement la mise en place d'une croissance durable. 
  • Quelles relations mettre en place avec les pays industrialisés ? Les émergents sont à la fois des concurrents et des sources de croissance au vu du dynamisme de leurs marchés.
  • en conséquence, comment définir un équilibre sur l'activité économique (échanges), sur le domaine politique (climat par exemple) et sur la sphère financière (taux de change) ?

Conclusion

Une hiérarchie nouvelle apparaît. Elle s'observe notamment à travers le nouveau positionnement de la Chine, désormais 2e puissance économique mondiale devant le Japon. Ce changement avait déjà été pris en compte lorsque le G7 est devenu G20. Ce nouveau regroupement avait permis la mise en œuvre de politiques de relance coordonnées et plus efficaces lors de la récession de 2008.

Si l’on assiste peut-être à une transition et un changement d'équilibre au sein de l'économie mondiale, rappelons que l'histoire n'est pas déterministe. Le chemin ne sera pas linéaire et la transition vers ce nouvel équilibre prendra du temps.