Pays émergents : refroidissement climatique

par François Faure, économiste chez BNP Paribas

L’horizon des pays émergents s’est obscurci au cours des trois derniers mois. Jusqu’au premier trimestre 2012, la croissance du PIB avait bien résisté, se maintenant un peu au-dessus de 5% sur un an1, grâce à un rebond de la production industrielle et des exportations. Mais ce rebond n’était pour une large part qu’une illusion (reprise technique de l’activité industrielle en Asie après les inondations en Thaïlande).

De fait, la croissance du PIB réel, mesurée en glissement annuel ou sur un trimestre, a continué de ralentir, notamment au Brésil, Chine et Inde. Plusieurs pays d’Europe centrale ont même basculé dans la récession (Hongrie, République tchèque) ou en sont proches (Bulgarie, Roumanie). Jusqu’en mai, les indices PMI dans le secteur manufacturier de la plupart des pays émergents (Chine, Corée, Inde, Mexique, Russie, Turquie) restaient encore supérieurs à 50, seuil qui sépare d’ordinaire les zones d’expansion et de contraction de l’activité. Mais, pour le Brésil ainsi que pour la Pologne et la République tchèque, les indices ont déjà franchi ce seuil (à la baisse) depuis au moins deux mois. Dans l’ensemble, quel que soit leur niveau, la tendance des PMI est à la dégradation.

Sur les marchés de change et d’actions, le rebond de début d’année a également fait long feu. Depuis le mois d’avril, les fonds d’investissements en actions enregistrent des retraits nets. Par ailleurs, compte tenu du ralentissement de l’activité, les politiques monétaires et de change s’accommodent aisément, voire recherchent un affaiblissement du taux de change vis-à-vis du dollar pour améliorer la compétitivité. En moyenne, la dépréciation des devises émergentes contre le billet vert est encore limitée (-7% depuis début mars) mais avec des baisses à deux chiffres pour le real brésilien (-15%), reflet justement d’une politique de change visant une cible plus faible, de la roupie indienne (-11%) pour cause de détérioration générale des fondamentaux macroéconomiques et du rouble (-10%) qui pâtit du repli des prix du pétrole. En conséquence, l’indice MSCI des principales places boursières émergentes a perdu 14% en dollars depuis le début mars.

Ce stress financier n’affecte pas pour l’instant le coût de la liquidité en dollar, mesuré par les primes de contrats d’échange de devises (foreign exchange swap spreads) contre USD, à l’exception notable de l’Inde. En revanche, les conditions de financement à moyen et long terme en devises des Etats et des entreprises se sont durcies. Les primes de risque sur la dette internationale en USD se sont élargies quel que soit le type d’emprunteur mais, comme à l’accoutumée, de façon plus marquée pour ceux ayant un rating « speculative grade ». Aussi, pour ces derniers, malgré la baisse des taux d’intérêt de référence (i.e. rendements obligataires américains), le coût de financement dollar continue-t-il de se renchérir en tendance depuis la fin 2010-début 2011.

L’Europe pèse plus que le pétrole

Compte tenu de la détérioration de l’environnement international, la croissance dans l’ensemble des pays émergents devrait continuer de ralentir au moins jusqu’à l’été. Nous espérons toujours une réaccélération par la suite grâce, notamment, au soutien de la demande intérieure chinoise (relance des investissements publics, subventions à l’achat d’appareils ménagers, poursuite des réformes fiscales) et à une généralisation de la détente des politiques monétaires bien qu’en la matière, les marges de manœuvre sont limitées. Aussi, avons- nous revu en baisse nos prévisions de croissance pour les pays émergents à 4,8% en 2012 et 5,5% pour 2013.

A priori, ce scénario comporte plus de risques baissiers que haussiers. En fait, deux forces contraires sont à l’œuvre : la dynamique récessive liée au deleveraging en Europe est un frein à l’activité des pays émergents, la baisse des prix des matières premières un soutien. Mais ces deux effets ne se compensent probablement pas. En effet, si l’hypothèse d’un credit squeeze est déjà une réalité pour les pays de la zone euro en récession (Portugal, Espagne, Italie), la baisse des prix du pétrole mesurée en moyenne annuelle n’atteint pas encore 20%. Sur la base des résultats d’une simulation de la Banque mondiale, il faudrait que la baisse des prix du pétrole soit, en première approximation, de l’ordre de 40% (en moyenne annuelle) pour que ce soit le cas.

Cela dit, la baisse des prix du pétrole a un autre avantage : elle allège les contraintes budgétaires des pays importateurs, qui subventionnent les prix de l’énergie, et offre plus de latitude dans la conduite des politiques monétaires, surtout celles centrées exclusivement sur le ciblage d’inflation. Mais là encore, les marges de manœuvre semblent réduites. D’après les estimations du FMI, le déficit budgétaire structurel (corrigé des effets de cycle) agrégé d’une vingtaine de pays émergents s’élevait encore à 2,1% du PIB en 2011 contre 0,5% en 2007 et, selon les calculs de la Banque des Règlements internationaux, le taux d’intérêt directeur d’équilibre moyen d’un panel de 18 pays émergents dépassait toujours 10% fin 2011 pour une moyenne observée de 6%. Bien entendu, ces calculs en moyenne masquent des disparités par pays. Mais, d’une façon générale, les conditions monétaires sont plutôt accommodantes, surtout si l’on tient compte également de la dépréciation des taux de change (nominaux ou réels) et des multiples de valorisation boursière qui ne présentent plus de surévaluation.

NOTES

  1. Moyenne des 25 principaux pays émergents

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