par Romain Boscher, Directeur de la Gestion Actions Monde chez Fidelity
A l’image du déconfinement en cours dans le monde, les économies commencent à se remettre des chocs du Coronavirus et du pétrole du début d’année. Si la récession qui en résulte est aussi profonde et rapide qu’attendue, elle mettra surtout en lumière les entreprises capables d’être profitables sur le long terme et de traverser les crises, notamment grâce à leur profil de Qualité et/ou leur approche extra-financière.
L’hélicoptère monétaire
Même si la situation sanitaire a dominé l’actualité, l’année 2020 a bien commencé par deux chocs inédits : l’effondrement des prix du pétrole et la propagation mondiale du Coronavirus.
C’est donc la combinaison de ces deux chocs qui a rendu la crise actuelle plus sévère et plus brutale qu’elle ne l’aurait été. La récession qui s’en est suivie est ainsi de type évènementielle/exogène, à la différence d’une récession de type structurelle ou cyclique, moins brutale certes, mais plus longue.
Sauf nouvelle vague de contaminations ou autre catastrophe naturelle majeure, la crise actuelle devrait donc être assez courte, même si elle nécessite énormément d’imagination de la part des autorités politiques et monétaires, à l’image de l’hélicoptère monétaire mis en place pour maintenir les économies à flot.
Garder la tête froide
Une analyse des années boursières depuis 1928 nous conforte dans l’idée que l’ampleur du Krach du 1er trimestre 2020 n’est pas complètement hors norme, en comparaison aux précédents. S’il est généralement probable de subir des pertes jusqu’à -30 % sur les marchés au cours d’une année donnée, on constate aussi que sur des horizons plus élevés, de 3 ou 5 ans notamment, les cas de pertes sont beaucoup plus rares. Ce qui fait la différence ce n’est pas tant l’amplitude de la baisse (Max Drawdown), mais surtout ce qui la caractérise. En l’occurrence il s’agit principalement de1 :
- La rapidité d’entrée en marché baissier : 21 jours de bourse pour atteindre -20 % minimum sur le S&P 500
- La solidité du rebond consécutif : un rattrapage de 47 % en 40 séances sur le même indice
Ce phénomène de volatilité extrême et aléatoire est en faveur de notre approche de long terme. La volatilité faisant ainsi partie du paysage boursier, investir dans la durée permet de réduire les pertes à court terme.
Souvenirs du printemps 2011
Le Japon a connu en mars 2011 un des plus importants séismes de la dernière décennie, suivi par un important tsunami, puis par un accident nucléaire à Fukushima. A l’image de cette triste période, la crise actuelle devrait être marquée par une série d’évènements en trois phases : un sinistre sanitaire, une multiplication des chômeurs de longue durée, ainsi qu’une succession de faillites d’entreprises incapables de rembourser le record de prêts récemment contractés pour traverser la crise.
Nouvelle donne
La particularité de la crise de cette année réside dans le fait qu’elle se traduit non pas par un ralentissement économique, mais par un arrêt complet d’une majorité de secteurs dans le monde.
Cette situation a notamment impliqué de notre part une analyse crédit approfondie afin d’appréhender la durée de cet arrêt économique et dans quelle mesure les entreprises au sein des secteurs directement touchés (hôtellerie, loisirs, tourisme, …) pourraient survivre sans création de revenus. D’autant plus que de moins en moins d’entreprises dans le monde (plus de 50 %) communiquent sur leurs prévisions de résultats, car elles même sont en manque de visibilité.
A l’opposé, certains secteurs ont réussi à tirer parti de la situation actuelle, notamment les activités de commerce en ligne ou celles liées à la digitalisation de l’économie.
Des supports techniques rassurants
Depuis plusieurs années, les acheteurs traditionnels d’actions ont été remplacés par les entreprises et les Banques Centrales, ce qui a apporté une forme de soutien à cet univers. Le relais est en passe d’être pris par les épargnants et les dirigeants d’entreprises, qui ont été assez présents y compris au cœur de la correction du 1er trimestre. Les actifs risqués ont ainsi récemment bénéficié d’importants flux positifs, allant du crédit et du segment à haut rendement, aux marchés actions. On note dans ce sens près de 20 milliards de souscriptions sur les fonds d’actions américaines ces dernières semaines.
Cette d’une frénésie d’achats de titres est par ailleurs entretenue par le phénomène d’hélicoptère monétaire, c’est à dire un pas supplémentaire audacieux mettant de l’argent directement à disposition des citoyens, initialement à Hong-Kong puis en Thaïlande, au Japon, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, avec la bénédiction des banquiers centraux.
Déconnexion
Si l’économie réelle, notamment le secteur de la consommation aux Etats-Unis, bénéficie également de cette dynamique de soutien monétaire, on constate une forme de déconnexion entre les secteurs industriels qui peinent à rebondir en termes d’activités et d’autre part, des marchés et des consommateurs financés par des taux d’intérêt proches de zéro. Cette déconnexion se traduit aussi par des marchés qui progressent alors que les entreprises ont fortement baissé leurs distributions de dividendes. Dans ce contexte, c’est essentiellement le facteur qualité (niveau d’endettement) qui justifie la surperformance de certains secteurs / segments, notamment les grandes capitalisations et les entreprises américaines des technologies.
L’ESG a démontré sa valeur durant la crise
Dans ce monde où la croissance se fait rare et les taux d’intérêt sont nuls, la crise du 1er semestre a permis de mettre en évidence la convergence entre la création de valeur financière et extra-financière.
Nous sommes convaincus que l’intégration des facteurs ESG par les entreprises, est le reflet de l’innovation et la capacité de ces dernières à préserver une croissance soutenable, y compris en période de correction. Ainsi, alors que l’indice S&P 500 chutait de 26.9% entre le 19 février et le 26 mars dernier, les entreprises les mieux notées2 sur le plan ESG (A ou B) par Fidelity, décrochaient moins que la moyenne, alors que les entreprises notées entre C et E baissaient plus que l’indice.
On note également un changement de philosophie du côté des compagnies pétrolières qui ont paradoxalement décidé des baisses de dividendes pour investir davantage dans les énergies renouvelables. Ce redimensionnement va peser sur les prix du pétrole et soutenir les marchés dits renouvelables.
Qualité & ESG plutôt que Value vs Growth
Le style Value a historiquement surperformé le style Growth sur 66 années (entre 1940 et 2006), alors qu’un retournement de cette tendance a eu lieu sur les 14 dernières années3.
Nous pensons qu’il faut toute de même relativiser cette dynamique et rester prudent, au regard de la forte concentration des indices notamment aux Etats-Unis autours des méga-capitalisations et des valeurs technologiques4, même si la surperformance de ces dernières est principalement basée sur deux éléments sains : une croissance des revenus plus élevée et des bilans plus solides que le reste du marché.
Ces éléments soutiennent notre préférence pour une approche centrée sur la Qualité et l’intégration extra-financière, au-delà du débat éternel Value vs Growth, en particulier dans un contexte de taux d’intérêt et de croissance à des niveaux extrêmement bas qui posent des risques sur les styles.
Quelques risques à l’horizon
- La problématique de la dette est encore devant nous pour longtemps, y compris celle de la dette souveraine, avec des divergences grandissantes entre les pays d’Europe périphérique et l’Allemagne par exemple.
- La Chine reste soumise à une potentielle bulle immobilière, qui représente un enjeu important selon nous pour les années à venir.
- Enfin, alors que les multinationales tiraient historiquement parti d’allègements fiscaux, nous pensons qu’on pourrait désormais assister à une forte concurrence entre les pays tant sur l’angle des salaires que de la fiscalité des travailleurs, plus mobiles que jamais travaillant « depuis la maison » avec la question de savoir qui va financer cela in-fine.
NOTES
- Source : BofA Research Investment Committee, Bloomberg, données à fin avril 2020. Les performances passées ne préjugent pas des performances futures.
- Source : Fidelity International, avril 2020. Données issues des notations ESG faites par Fidelity et couvrant 2 689 entreprises. Les performances passées ne préjugent pas des performances futures.
- Source : Données FamaFrench, L. Les performances passées ne préjugent pas des performances futures.
- Source : Cornerstone Macro. Les performances passées ne préjugent pas des performances futures.