par David F. Lafferty, CFA , SVP – Chief Market Strategist chez Natixis GAM
« Un économiste est un chirurgien avec un scalpel précis et un bistouri aiguisé, qui opère avec grâce sur les morts et torture les vivants » – Nicolas Chamfort (1741-1794)
Malgré tous les événements qui se sont produits en 2015, certains estiment que cette année revêt une importance historique limitée. L’année a bien entendu été marquée par la crise ukrainienne, le scandale Volkswagen, les « licornes » du web, Daech, le ralentissement de la croissance chinoise, le relèvement des taux de la Réserve fédérale américaine (Fed) et par un nouveau rebondissement dans la tragédie grecque ; mais qu’est-ce qui a réellement changé ? Nous pensons que les marchés boursiers américains et mondiaux débuteront l’année 2016 à des niveaux supérieurs de quelques points de base aux niveaux qu’ils affichaient début 2015.
Les valorisations, telles que mesurées par les PER, n’ont que peu évolué. Sur le marché obligataire, les taux américains et allemands à dix ans n’ont quasiment pas bougé au cours des douze derniers mois. La reprise économique se poursuit aux Etats-Unis, dans la zone euro et au Japon, quoiqu’à un rythme très modéré. La Chine gère le ralentissement de sa croissance, la Fed durcit sa politique et la Grèce n’est toujours pas sortie de l’ornière. Veuillez nous pardonner si les perspectives 2016 sont quasiment similaires à celles de 2015.
Cela étant dit, l’année 2016 devrait être marquée par d’importants changements qui nous incitent à l’optimisme. Le resserrement de la politique de la Fed, jusqu’alors purement théorique, va se matérialiser, les marchés émergents prendront les mesures nécessaires pour faire face au ralentissement de la croissance chinoise et les consommateurs du monde entier devraient enfin ressentir les effets de la baisse des prix de l’énergie et des matières premières. Dans ce contexte, et riches de l’avertissement que nous donne Nicolas Chamfort, nous vous présentons nos Thèmes et perspectives 2016, ainsi que d’autres prévisions diverses.
#1 : Léger rebond de la croissance dans les marchés développés
Les fondamentaux de la macroéconomie nous enseignent que la croissance résulte de la combinaison de plusieurs facteurs : la consommation, l’investissement, les dépenses publiques et les échanges commerciaux (c’est-à-dire les exportations nettes). Des éléments favorables devraient soutenir ces facteurs dans certaines régions du monde, quoiqu’à des degrés différents. Il est difficile de prouver de manière tangible que la baisse des prix de l’énergie soutient la demande mondiale, mais les consommateurs ne changent généralement pas leurs habitudes tant qu’ils ne sont pas certains que cette baisse de prix est durable. L’excédent de pétrole, de gaz et de ressources naturelles devrait entraîner une stabilisation des prix à des bas niveaux et, de ce fait, une hausse des dépenses de consommation en 2016. La tendance aux rachats d’actions et de dette bon marché devrait ralentir, ce qui devrait soutenir les dépenses d’investissement dans tous les secteurs hormis celui de l’énergie. Malgré la persistance de certaines contraintes budgétaires, les dépenses publiques devraient repartir à la hausse à l’heure où le populisme gagne du terrain et où les partisans de l’austérité se font plus discrets. Enfin, la stabilisation des taux de change devrait entraîner un rebond des échanges commerciaux internationaux. Il y a fort à parier que ces facteurs ne progresseront que lentement. Cette légère tendance haussière devrait néanmoins soutenir l’activité économique aux Etats-Unis, en Europe et au Japon et se traduire par une croissance du PIB réel comprise entre 0,5% et 1%. La croissance nominale (incluant l’inflation) devrait progresser plus rapidement.
#2 : Banques centrales : des paroles plus fortes que les actes
Selon notre scénario de base, les grandes banques centrales ne feront pas grand-chose pour changer l’orientation de leurs politiques. Le graphique à points de la Fed révèle que les membres du Comité de politique monétaire tablent sur quatre hausses de taux de 25 points de base en 2016. Nous pensons que la banque centrale américaine ne relèvera ses taux qu’à trois reprises car l’histoire nous montre qu’elle a tendance à surestimer la croissance et l’inflation. Ce scénario repose sur une hausse très progressive des taux. La Banque centrale européenne (BCE) continuera à racheter les actifs risqués et à ajuster à la marge son programme d’assouplissement quantitatif, mais nous ne prévoyons aucun changement concernant la taille du programme l’an prochain. Il en va de même pour la Banque du Japon (BoJ). Enfin, la Banque d’Angleterre (BoE) restera dans les limbes tant que l’inflation continuera à décevoir. Seule la Banque populaire de Chine semble confrontée à un risque important de recul de la croissance. Elle dispose néanmoins de la marge de manœuvre nécessaire pour endiguer cette contraction de l’activité et devrait continuer à abaisser fortement ses taux directeurs (intervention rendue possible par la faible inflation chinoise). Les interventions des banques centrales alimenteront un regain de volatilité (c’est-à-dire un regain d’inquiétude) dans un monde accoutumé à des taux d’intérêt bas. Ces interventions devraient toutefois avoir un impact plus limité en 2016. La Fed et la BoE poursuivront leur politique conciliante (au grand désarroi des investisseurs tablant sur une correction du marché obligataire). Parallèlement, la BCE et la BoJ ne devraient pas augmenter de manière substantielle la taille de leurs programmes d’assouplissement quantitatif (au grand désarroi des investisseurs se positionnant à la hausse sur les actions).
#3 : Les marchés actions mondiaux progressent, mais cette hausse est limitée
Nos perspectives pour 2016 ne diffèrent pas grandement de nos perspectives pour l’année 2015. Cette continuité s’explique par la faible évolution des variables. Nous attendons toujours une amélioration des paramètres de marché, dans une fourchette relativement étroite. Le rebond de la croissance mondiale (voir #1) devrait entraîner une légère hausse des bénéfices des entreprises. Néanmoins, la hausse des salaires (c’est-à-dire, le coût du travail) devrait limiter les marges bénéficiaires. Les prix de l’énergie resteront sous pression, mais les bénéfices de ce secteur ne devraient pas être aussi faibles qu’en 2015. Dans l’ensemble, les bénéfices des sociétés des indices actions mondiaux devraient croître de 5% à 7%, une performance légèrement meilleure que celle enregistrée en 2015. Concernant les valorisations, de nombreux indicateurs amènent à la même conclusion : les actions sont valorisées à leur juste valeur, peut-être légèrement survalorisées par rapport aux moyennes à long terme. Comme en 2015, rien ne permet de penser que les multiples de valorisation augmenteront ou se contracteront de manière substantielle, notamment dans un contexte marqué par un resserrement très progressif de la politique de la Fed.
Pour réaliser cette performance (égale ou légèrement inférieure à 5%), les investisseurs devront œuvrer sur un marché particulièrement instable. Même si Wall Street table sur une progression d’environ 5%, il est rare que les marchés signent une telle performance pendant deux années consécutives. Nous pourrions assister à une correction du marché (c’est-à-dire une baisse de -10% entre le point haut et le point bas du marché) ou bien même à une baisse du marché (-20%), laquelle pourrait ensuite alimenter un rallye qui rétablirait le marché à son niveau moyen. Les craintes liées au resserrement de la politique de la Fed, les répercussions de l’illiquidité du marché du haut rendement, la crise des réfugiés en Europe et l’hypothèse d’un Brexit sont autant de facteurs qui pourraient entraîner une forte correction des marchés actions.
#4 : Taux bas et forte activité sur le marché du crédit
L’agitation qui entoure les taux d’intérêt ne devrait pas entraîner de réaction excessive des investisseurs obligataires. L’immobilisme des banques centrales (voir #2), la stagnation séculaire caractérisée par une faible croissance (voir #1) et les hausses limitées des primes d’inflation devraient inciter les banques centrales à relever leurs taux de manière très progressive. La poursuite des programmes d’assouplissement quantitatif de la BCE et de la BOJ sont les principaux facteurs expliquant le maintien des taux à leurs niveaux actuels. Les investisseurs opérant sur le marché des obligations de qualité supérieure/des emprunts d’Etat (Etats-Unis, Royaume-Uni, Japon et pays « cœur » de l’Europe) pourraient subir des pertes en capital (liées à la légère hausse des taux) qui auraient pour conséquence de grever les rendements. La situation n’a quasiment pas évolué depuis l’an dernier.
L’activité sur les marchés du crédit sera plus intéressante. Les obligations d’entreprises « investment grade » et « High Yield » ont sous-performé les indices souverains au cours des six derniers mois, voire plus. Cette tendance devrait se poursuivre à court terme car les marchés peinent à anticiper le calendrier du resserrement de la politique de la Fed. Le niveau de sous- performance observé jusqu’à présent (en dehors des titres High Yield du secteur de l’énergie) ne permet pas aux observateurs de parler de crise ou de point bas. Nous pensons que des épisodes d’illiquidité plomberont les marchés à court terme. Toutefois, dans le sillage de la prévision (erronée) que nous avions faite l’an dernier, nous pensons que les segments du crédit surperformeront la dette souveraine de qualité supérieure et les obligations émises par des organismes d’Etat. Si les écarts de rendement se stabilisent à des niveaux proches de leurs niveaux actuels à mesure que l’économie se redresse, les obligations d’entreprises devraient surperformer les obligations souveraines, moins rémunératrices.
#5 : Rebond des marchés émergents
Les marchés émergents, notamment les marchés actions, restent exposés à un ensemble de risques bien connus, dont le ralentissement de la croissance chinoise, la chute généralisée des cours des matières premières et le resserrement de la politique de la Fed. Depuis l’apparition de ces risques il y a cinq ans, les indices actions des marchés émergents ont sous- performé les indices actions des pays développés hors Etats-Unis (performance mesurée en monnaie locale). A ce stade, les cours du marché reflètent correctement ces risques. Malgré leur étroitesse, les écarts de valorisation relative entre les actions des marchés émergents et celles des marchés développés contribuent à soutenir les cours. Nous pensons que les marchés émergents surperformeront en 2016, principalement au deuxième semestre. La situation pourrait encore se dégrader avant que la confiance des investisseurs vis-à-vis des marchés émergents n’atteigne un point bas (ou que l’aversion à leur égard atteigne un point haut).
Cinq autres prédictions (conjectures)
Une année, deux semestres – Dans le prolongement des prévisions formulées ci-dessus, nous pensons que les actifs risqués devraient progresser au cours du deuxième semestre. Après un départ chaotique, l’instabilité du premier semestre devrait laisser place à une hausse des marchés actions internationaux (y compris des marchés actions émergents) et du crédit (obligations « investment grade » et titres à haut rendement) et à une stabilisation des cours des matières premières. Dans le même temps, le dollar devrait atteindre un point haut (nous n’anticipons toutefois pas de forte hausse des cours des matières premières, pas plus que nous ne croyons en une forte baisse du dollar).
Retour vers la moyenne – les valeurs de rendement surperformeront les valeurs de croissance, les petites et moyennes capitalisations surperformeront les grandes capitalisations, le marché du crédit devrait surperformer le marché des obligations de qualité supérieure (voir #4) et les matières premières verront leurs cours se stabiliser au second semestre. Il s’agit là de changements directionnels par rapport à ce qui s’est produit récemment.
Rebond actif – Plus grande dispersion des rendements des indices de grandes capitalisations (offre plus large) et sous- performance des méga-capitalisations. Surperformance de l’indice Equal-Weight S&P 500, au profit des gérants dynamiques. Madame la Présidente – Profitant d’une mathématique électorale favorable et d’un processus de primaires et de nomination plus facile, Hillary Clinton remporte l’élection présidentielle.
Miser sur la croissance organique : Contraction de l’ingénierie financière – Les fusions acquisitions et les programmes de rachat d’actions se poursuivent, mais à un rythme moins soutenu, après avoir atteint un pic. La volatilité du marché du crédit rend les émissions obligataires moins attractives, à la hausse comme à la baisse, et oblige les entreprises à privilégier de nouveau les stratégies de croissance organique (chiffre d’affaires).
2015 a été une année difficile pour les investisseurs. Actions, obligations, devises et matières premières : la plupart des classes d’actifs ont produit des rendements stables ou négatifs. L’année 2016 devrait offrir quelques opportunités d’investissement, mais il sera difficile de réaliser des rendements. Les nuages orageux qui parsemaient le ciel à la fin de l’année 2015 resteront présents tout au long du premier semestre de l’année 2016. La meilleure arme des investisseurs sera donc leur patience.