par Christopher Dembik, Economiste chez Saxo Banque
Un QE (assouplissement quantitatif) n’est certainement pas ce qu’on peut souhaiter de mieux à la zone euro mais, quitte à le faire, autant bien le faire. On peut distinguer trois conditions de réussite : la crédibilité vis-à-vis du marché, le calibrage et la mutualisation des risques.
La BCE ne le dissimule pas, elle a une approche purement comptable. Son objectif est d’augmenter son bilan de 1000 milliards d’euros. Pour y parvenir, elle effectue déjà des rachats d’ABS (titres adossés à des actifs).
En raison de l’étroitesse de ce marché en Europe, au mieux, on peut espérer une augmentation du bilan de l’ordre de 400 à 500 milliards d’euros. Manque alors au moins 500 milliards d’euros supplémentaires. C’est justement le montant que souhaite mobiliser la BCE dans le cadre de son programme d’assouplissement quantitatif, ce qui représente seulement 7% des encours de dette publique totale dans l’Eurozone.
Le problème, c’est qu’un tel montant n’est pas crédible aux yeux du marché. Bien que la structure économique et financière de la zone euro diverge grandement de celle des Etats-Unis, les investisseurs feront intuitivement la comparaison avec les 3500 milliards de dollars (environ 3000 milliards d’euros) injectés dans l’économie américaine par la FED de 2008 à 2014 au cours des trois programmes d’assouplissement quantitatif successifs. Pour être crédible, éviter un krach des marchés financiers, et soutenir le retour de la confiance des agents économiques, la BCE devra s’émanciper de ses objectifs initiaux et oser présenter un dispositif d’ampleur suffisante, qu’on peut estimer à au moins 1000 milliards d’euros. Ce n’est toutefois pas suffisant.
L’idée dominante est que le calibrage du QE se fasse en fonction de la clé de répartition du capital de la BCE qui reflète le poids économique et démographique de chacun des pays de la zone euro. Dans ce cas de figure, l’Allemagne serait le principal bénéficiaire de l’opération puisque 18% du montant total du QE serait alloué aux rachats de Bunds. Des situations ubuesques pourraient apparaitre rapidement: des pays bénéficiant déjà de la clémence des marchés, comme l’Allemagne et même la France, pourraient voir leurs taux chuter sous zéro pour les échéances longues tandis que les pays ayant un marché obligataire étroit pourraient être confrontés à son assèchement, faute de liquidité.
Pour que l’opération soit efficace, le calibrage du QE doit se focaliser sur les segments de marché les plus défaillants. Il s’agit de se concentrer sur la nationalité d’origine des titres émis afin de cibler les pays qui ont le plus besoin d’être soutenus, essentiellement au Sud de l’Europe, et de réduire la dislocation des taux entre les membres de l’Union.
En revanche, c’est bien la clé de répartition du capital de la BCE qui doit définir l’exposition des banques centrales nationales, indépendamment de la qualité et du montant total des titres qu’elles ont rachetés. Elle garantira que ce soit les entités les plus à même d’accepter des pertes qui les assument, préservant ainsi l’unité du système européen de banques centrales (SEBC). Sans mutualisation des risques, un QE n’aurait tout simplement aucun intérêt.
Cependant, même en respectant toutes ces conditions, un succès du QE n’est pas garanti. Les mécanismes de transmission de la politique monétaire à l’économie réelle sont une véritable boîte noire que peinent à comprendre les économistes. On aurait, en tout cas, certainement tort de croire que l’expérience américaine puisse être répliquée aisément, ce serait oublier que la zone euro a pour spécificité de reposer sur un système bancaire très fragmenté. Une seule chose est certaine, la dépréciation de l’euro engendrée par ce nouvel assouplissement monétaire pourrait constituer une planche de salut pour de nombreux secteurs d’activité tournés vers l’exportation, y compris en France.