Politiques polymorphes

par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas

Le 6 septembre, la BCE lançait son nouveau programme d’achats de titres (Outright Monetary Transactions ou OMT1). Une semaine plus tard, la Fed annonçait son troisième plan d’assouplissement quantitatif ou QE3(2). Ces deux programmes ont un point commun: l’engagement d’acheter des obligations sans limite de montant et peut-être de durée.

Mais les différences sont de loin plus nombreuses. La première qui vient à l’esprit, la stérilisation, est en fait trompeuse. Certes, la BCE a annoncé que « la liquidité créée à travers le programme OMT serait complètement stérilisée »”, tandis que la Fed a opté pour l’absence de toute stérilisation. Cependant, comme la BCE fournit actuellement des liquidités sans limites aux banques, la stérilisation est de facto impossible : elle ne pourra empêcher son bilan d’augmenter, même si une telle hausse ne sera pas directement liée aux OMT.

Les raisons qui ont poussé les deux banques centrales à agir sont très différentes. Concernant la BCE, le programme « vise à préserver une transmission appropriée de la politique monétaire et l’unité de cette dernière ». Au cours de l’été, les membres de la BCE ont souligné que les primes de risque sur les rendements des obligations d’Etat n’étaient plus seulement liées au risque d’insolvabilité perçu de certains pays mais aussi au risque de conversion. Après la réunion du mois d’août, Mario Draghi a réaffirmé l’irréversibilité de l’euro, précisant que les primes élevées « liées à la crainte de réversibilité de l’euro [étaient] inacceptables et [devaient] être corrigées de manière fondamentale »”. Le programme OMT a précisément été mis en place pour remédier à ce dysfonctionnement, c’est-à-dire la limitation, voire l’absence, d’effets de la politique de détente décidée par la BCE sur les taux d’intérêt des pays du Sud de l’Europe.

Malgré l’adoption d’une politique monétaire plus accommodante, moyennant la baisse du taux refi et deux séries d’opérations de refinancement à long terme (LTRO), les conditions monétaires et financières sont en effet restées très tendues dans le Sud de l’Europe, alors que cette région est celle qui a le plus besoin d’un assouplissement des conditions monétaires pour compenser les effets déflationnistes engendrés par l’austérité budgétaire.

Les Etats-Unis ne sont pas confrontés à des taux d’intérêt élevés. Même si, sous l’effet du ralentissement récent de l’inflation, les taux réels ont augmenté, ils n’en restent pas moins négatifs sur la partie courte de la courbe et légèrement positifs sur la partie longue. Le problème du pays est que la croissance du PIB n’est pas assez soutenue. Trois ans après la fin de la récession, le PIB n’a progressé que de 6,8 %, contre +8,9 % après la récession de 2000-01, et +9,8 % après l’épisode de 1990-91, des rebonds jugés déjà modestes par rapport à une moyenne de 14,4% depuis la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, le marché du travail reste déprimé. Depuis que l’économie américaine a recommencé à créer des emplois en octobre 2010, les effectifs du secteur privé non agricole n’ont progressé que de 148 000 par mois en moyenne. Ce rythme est insuffisant pour faire reculer le taux de chômage. Certes, ce taux a tout de même baissé (de 9,5 % à 8,1 %,) mais seulement à la faveur d’une diminution du taux d’activité. En l’absence d’une telle diminution, le taux de chômage serait de 9,3 %. Pour citer le Président Bernanke, ce repli est « loin d’être satisfaisant ». Le but de QE3 est de stimuler l’économie de manière à générer une croissance supérieure au potentiel, ce qui permettrait de réduire l’écart par rapport à la tendance et de ramener le taux de chômage à un niveau plus proche de son taux naturel.

OMT et QE3 ont été salués par les marchés : recul des taux en Italie et en Espagne, appréciation de l’euro contre le dollar et rebond des indices boursiers. Les banques centrales ont fait ce que les marchés attendaient d’elles. Mais ont-elles fait ce qu’il fallait ? S’agissant de la BCE, notre réponse est clairement positive, même si la décision arrive un peu tard pour une satisfaction totale. Pour ce qui est de la Fed, la réponse est nettement plus nuancée. Le Président Bernanke a présenté une liste quasi exhaustive de travaux sur les effets baissiers que QE1 et QE2 ont eus sur les taux d’intérêt, tout en reconnaissant que l’évaluation des effets sur l’économie réelle « est en soi difficile ». A l’aide de son modèle FRB/US, la Fed estime que le PIB réel a augmenté de 3 % et que les emplois non agricoles du secteur privé ont progressé de plus de deux millions grâce à ces programmes.

La détente quantitative a eu deux effets sur les marchés financiers que le Président Bernanke a complètement ignorés : la hausse des prix des matières premières et la dépréciation du dollar. Lors du premier programme, l’indice CRB Food a grimpé de 20 %, l’indice CRB Metal de 80 %, les cours du pétrole (Brent) de 61 % et le dollar a perdu 7 % (taux de change effectif nominal). Lors du second programme, ces effets ont été plus modestes mais incontestables : les prix des denrées alimentaires ont fait un bond de 16 %, les cours du pétrole de 29 % et le dollar s’est replié de 3 %.

Alors, la croissance des pays émergents était assez robuste pour absorber de tels chocs tandis que la crise de la dette dans la zone euro n’en était qu’à ses débuts. Aujourd’hui, la situation est radicalement différente. Les perspectives de croissance ne sont pas si prometteuses dans les grands pays émergents et la hausse des prix des matières premières pourrait les assombrir encore plus. De plus, l’euro va certainement poursuivre son appréciation, les décisions des banques centrales ayant les mêmes conséquences baissières sur le dollar. La décision de la BCE devrait conduire à un accroissement des flux de capitaux vers les marchés obligataires périphériques, tandis que la décision de la Fed va probablement limiter les flux en provenance de la zone euro vers les marchés des Treasuries. Les deux effets (demande affaiblie et appréciation de l’euro) sont aptes à freiner les exportations européennes. Une situation dont la zone euro se serait bien passée dans un contexte d’austérité budgétaire et de repli de la demande intérieure.

NOTES

  1. Clemente De Lucia, « Changement d’époque » dans EcoWeek, 7 septembre 2012 »
  2. QE3 (voir Alexandra Estiot, « Ne pas interrompre le traitement »” dans EcoWeek, 14 septembre)

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