par Isabelle Job, économiste au Crédit Agricole
Le départ du Premier ministre portugais José Socrates, qui s’était toujours refusé à faire appel à l’aide européenne, ouvre la voie à de nouvelles négociations pour mettre le pays sous le parapluie de l’Europe. Mais le vide politique actuel rend le calendrier incertain, ce qui est problématique à l’approche d’échéances financières importantes.
Le Premier ministre portugais José Socrates a présenté sa démission mercredi soir prenant acte du rejet du nouveau plan d’austérité par la chambre des députés. Dans la foulée, le président nouvellement élu a convoqué vendredi l’ensemble des partis politiques, réunion qui devrait se solder par un appel à la dissolution de l’assemblée, avant la tenue d’élections législatives anticipées, dans un délai minimum de cinquante-cinq jours.
A priori, le PSD (parti de centre-droit) a fait trébucher le gouvernement socialiste minoritaire dans l’optique de reprendre les rênes du pouvoir à l’issue du scrutin (38% d’intentions de vote à ce jour). Mais dans les faits, l’alternance politique ne devrait pas aboutir à une remise en cause des engagements budgétaires pris par l’ancien gouvernement. Seuls quelques arbitrages à l’intérieur de ce cadre bien défini devraient permettre aux nouveaux gouvernants de se démarquer de leurs prédécesseurs.
L’appel à l’aide européenne semble désormais quasi inévitable. Le PSD n’y est pas hostile, l’Europe l’appelle de ses vœux pour sauvegarder la stabilité financière dans la région. Les marchés, longtemps sceptiques quant à la capacité du Portugal à se tirer seul d’affaires, ont déjà intégré une telle perspective, ce qui au passage revêt un caractère auto-réalisateur. A l’instar de la configuration de marchés observée avant les sauvetages financiers de la Grèce ou de l’Irlande, les taux portugais se sont envolés sur les maturités à deux et cinq ans, le dix ans réagissant dans une moindre amplitude. Ces conditions de refinancement exorbitantes devraient finir par convaincre les autorités portugaises de se mettre sous le parapluie européen sachant toutefois que le vide politique actuel rend la prise de décision et le calendrier incertain.
Ceci est problématique à l’approche d’échéances financières importantes avec de lourdes tombées les 15 avril et 15 juin, pour un montant total de 9 Mds d’euros. La première échéance de 4,3Mds d’euros devrait être honorée sans difficulté, le Trésor portugais semblant disposer des liquidités nécessaires. Mais la question reste ouverte tant pour l’échéance suivante, que pour le financement du déficit primaire. Plusieurs hypothèses sont envisageables :
- Soit, le Portugal arrive à formuler rapidement sa demande d’aide auprès de l’Europe, mais la question demeure de savoir qui est aujourd’hui capable dans le pays d’endosser une telle décision.
- Soit, les élections arrivent suffisamment en amont pour permettre de sécuriser le plan d’aide avant l’échéance de mi-juin. Dans ce cas, le Trésor portugais pourrait toujours chercher à gagner un peu de temps en se refinançant à très court terme pour les besoins de gestion courante.
- Soit enfin, l’Europe trouve la parade pour aider financièrement le Portugal dans cette période transitoire. On aurait pu imaginer une intervention du FESF qui possède désormais la capacité d’acheter de la dette sur le marché primaire. Mais, le Portugal n’ayant pas conclu d’accord avec la troïka, le pays ne semble pas en droit de bénéficier de cette disposition à caractère exceptionnel. En dernier recours, l’Europe pourrait jouer la montre, grâce à une BCE bienveillante qui se porterait acheteur en dernier ressort de titres portugais sur le marché secondaire (ce qui à rebours permettrait d’attirer des acheteurs à l’émission).
La crise politique portugaise n’arrange pas les affaires d’une Europe qui a déjà bien du mal à trouver une réponse globale et décisive pour mettre un terme à la crise des dettes souveraines. Il y a moins de quinze jours, l’Europe faisait naître des espoirs avec une série de propositions allant dans le bon sens et même quelques bonnes surprises à la clef, témoins de sa détermination à sauvegarder à tout prix l’intégrité de l’Union. Les atermoiements politiques actuels entament cette image d’une Europe unie et solidaire et vont sans doute réduire la portée des décisions prises lors du sommet des 24 et 25 mars. Le relèvement des capacités effectives de prêt du Fonds européen de stabilité financière (FESF) ne sera probablement pas finalisé avant fin juin. Les détails du Mécanisme Européen de Stabilité (MES) vont également faire l’objet de plus amples discussions avec un accord peu susceptible d’intervenir avant début juillet. Enfin, le cas irlandais n’est toujours pas réglé, l’Europe attendant toujours un geste de l’Irlande concernant son avantageuse fiscalité des entreprises pour lui octroyer en échange une baisse des termes de son plan de sauvetage.
Pour l’instant, la contagion semble s’être arrêtée aux portes de l’Espagne. C’est justifié compte tenu du caractère moins risqué et mieux géré de la situation espagnole et c’est une très bonne nouvelle. Mais la patience des marchés a ses limites qu’il ne s’agirait pas d’aller venir tester.