Par Nina Delhomme, économiste au Crédit Agricole
• La reprise au Portugal se poursuit, malgré le choc bancaire de cet été (réactions relativement contenues des marchés actions et taux). La confiance économique des agents reste bien orientée permettant le redressement de l’investissement.
• Si la demande externe a été le moteur de la croissance en 2013, la demande interne devrait être son principal moteur en 2014 et 2015. Nous tablons sur une progression du PIB de 0,9% et 1,1% respectivement.
• Suite à la présentation du budget 2015, nous exprimons des doutes quant au respect des objectifs budgétaires définis, en raison de projections de croissance jugées optimistes et du fort risque d’un retour des tensions politiques.
Quand la demande domestique prend le relais de la demande externe
Après une baisse du PIB de 0,4% au T1, la croissance portugaise a été de 0,3% t/t au T2 2014. Cela représente un acquis de croissance de 0,7% pour l’année 2014, en ligne avec notre prévision de croissance de 0,9%. Au T2 2014, la demande externe a été le principal moteur de l’activité. La faiblesse du T1 était principalement liée au recul de la production et des exportations d’énergie, en raison d’effets climatiques et la fermeture exceptionnelle de la raffinerie de Sines au printemps 2014. En conséquence, au T2 2014, les exportations de biens ont rebondi de 3,5% t/t après une baisse de 1,4% au T1. Les exportations de services ont également bien performé au T2 grâce au dynamisme du tourisme. La croissance des exportations provenaient essentiellement des pays de l’UE, notamment du Royaume-Uni, et nettement moins des pays hors UE qui avaient pourtant fortement contribué à la reprise des exportations en 2013. Du côté de la demande interne, l’investissement a progressé de 1,4% t/t au T2 (après 2,8% t/t au T1). Cette amélioration est liée à la stabilisation de l’investissement dans la construction (+0,6% t/t, après -4,1% au T1), ainsi qu’à la progression de l’investissement dans l’équipement (+0,6% t/t) et le rebond dans le secteur des équipements de transports (+15,3%). Nous estimons que le rebond de l’investissement devrait se poursuivre l’an prochain et devenir le principal contributeur à la croissance du PIB.
Par ailleurs, le redémarrage de l’emploi est en cours. Après une baisse au T1 2014 (-0,3% t/t, +1,5% a/a), l’emploi est en hausse de 0,9% t/t (+1,6% a/a) au T2 2014, soutenant la baisse du taux de chômage. En baisse de 2,4 points depuis le T3 2013, le chômage reste néanmoins à un niveau élevé et a atteint 13,1% au T3 2014 (contre 13,9% au T2 2014) selon les données de l’INE. Dans ce contexte, la consommation des ménages progresse quoique lentement. Une augmentation des rémunérations liée à la remise en place du 14e mois pour les fonctionnaires et, dans une moindre mesure, la baisse de l’inflation, expliquent la récente hausse du revenu disponible (+2% a/a au T2). Après une forte progression en 2013, la consommation privée a néanmoins stagné au T2 2014. On s’attend à une progression sur les prochains trimestres mais à un rythme lent. Rappelons que, par rapport à son niveau de 2008, cette dernière est encore en recul de 9%.
Au T3 2014, selon les premières estimations de l’INE, le PIB a progressé de 0,2% t/t (et de 1% a/a) en ligne avec nos projections (voir tableau ci- après). Le détail par composantes ne sera publié qu’à la fin du mois mais le communiqué de presse de l’INE confirme notre scénario d’une moindre contribution de la demande externe au profit de la demande domestique (hausse de la consommation des ménages).
Les finances publiques : un facteur de vulnérabilité
Le projet de loi de finances du gouvernement pour 2015 table sur un déficit public de 4,8% en 2014 (hors résolution du BES) puis 2,7% en 2015 (contre 2,5% pour la cible du programme d’ajustement). Les mesures de consolidation prévues représentent 0,7% du PIB (1 Md€), se répartissant pour moitié entre un effort de réduction des dépenses (notamment une réduction des dépenses de consommation intermédiaire de 0,5 Md€ et de personnel pour environ 190 M€). Le gouvernement projette une baisse de la dette publique dès cette année (de 128% en 2013 à 127,2% en 2014 et 123,7% en 2015) notamment permise par l’utilisation des réserves de cash héritées du sauvetage de 2011. Selon nos projections, la dette publique portugaise devrait atteindre 130,5% du PIB en 2014 puis 129,6% en 2015, un niveau élevé dans un contexte européen laissant le pays vulnérable à des chocs financiers.
Le respect de ces objectifs budgétaires, nécessaire pour maintenir la confiance des investisseurs, repose sur des projections de croissance que nous estimons optimistes (+1,5% de croissance en 2015 contre 1,1% pour notre projection) et, toutes choses égales par ailleurs, vulnérables au contexte politique. Des tensions pourraient en effet ressurgir compte tenu du conservatisme de la Cour constitutionnelle (pour rappel : l’annulation de plusieurs mesures durant l’été avait contraint le gouvernement à revoir les budgets 2014 et 2015) et à l’approche d’élections législatives en 2015. Nous partageons le constat de la Commission européenne quant au ralentissement du rythme de mise en œuvre des réformes structurelles initiées sous le programme d’ajustement et notons que le budget contient plusieurs mesures d’allègement (réduction de la taxe sur les pensions de retraite supérieures à 600 € / mois, restitution d'une partie des coupes salariales imposées aux fonctionnaires). Or, on peut craindre, en cas d’un retour des tensions politiques, un ralentissement plus marqué du rythme de mise en œuvre des mesures de consolidation prévues dans le budget 2015, voire la remise en cause de certaines dispositions. Un tel dérapage des objectifs fixés aurait pour effet de déstabiliser l’amélioration en cours de la confiance des investisseurs, nécessaire à la reprise de l’investissement, un pilier de la reprise économique.