par Jean-Luc Proutat, économiste chez BNP Paribas
Pékin ne laissera pas le yuan monter contre le dollar, du moins pas autant que la très arrangeante politique monétaire américaine le justifierait. Pour le Premier ministre, Wen Jiabao, il en va de la stabilité économique et sociale du pays, donc du destin de la planète. Fermez le ban ! La Chine continuera d’acheter au prix qu’elle décide les dollars reçus au titre de ses échanges avec le reste du monde, et à les placer en bons du Trésor américain pour l’essentiel.
Ses réserves de changes ont atteint 2 648 milliards de dollars fin septembre, un nouveau record. Quant à l'énorme masse de liquidités induite par la politique de change administré, la Banque centrale de Chine s’efforce de la stériliser en émettant des titres ou en augmentant le coefficient des réserves obligatoires des banques. Elle relève aussi les taux d’intérêt, pour la première fois depuis décembre 2007. Le 19 octobre 2010, celui appliqué aux crédits à un an est passé de 5,31% à 5,56%.
Tenu d’une main de fer, le yuan n'a finalement connu qu'un renchérissement marginal vis-à-vis du billet vert (+2,9% depuis le 6 juin), alors que la plupart des grandes devises s'envolaient (+17% pour l'euro). Il a surtout baissé en regard des monnaies concurrentes d’Asie telles que le yen japonais (-8,7%), la roupie indienne (-3,6%), le won coréen (-7,4%) ou encore le baht thaïlandais (-6,1%).
La Chine soigne sa compétitivité en manipulant son taux de change, mais pas seulement. Elle sécurise activement se débouchés tout comme ses approvisionnements. Ses dépenses militaires sont destinées, entre autres, à armer les frégates qui protégeront ses routes maritimes. Ses achats de métaux, d'hydrocarbures ou de terres agricoles n'ont jamais cessé pendant crise. En 2009, Pékin a prêté contre du pétrole et du gaz au brésilien Petrobras, ainsi qu’aux russes Transneft et Rosneft. Le président Hu Jintao a inauguré le nouveau stade de foot de Dar es-Salaam, en Tanzanie. L'édifice, de facture chinoise, faisait partie d'accords commerciaux, tout comme les ouvrages livrés à l'Angola pour la coupe d'Afrique des Nations. Plus récemment, la Chine s’est engagée à acheter de la dette grecque. Elle jouira en contrepartie des infrastructures portuaires lui donnant accès aux marchés d’Europe centrale et orientale.
Si l’Empire du milieu défend avec tant d’âpreté ses positions concurrentielles, c’est parce qu’il a du mal à renouer avec ses surplus d’antan. Proches de 300 milliards de dollars en 2008, ses excédents commerciaux sont tombés à 182 milliards en septembre 2010 (en cumul sur douze mois). La part de ses exportations dans le PIB a, quant à elle, reculé de 36% à 26%. xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx La crise est bien sûr passée par là. Les grands clients de l'atelier du monde, États-Unis en tête, ont réduit leurs achats à mesure qu'ils se désendettaient ; d'après les statistiques de l'OCDE, le volume des importations des pays développés a chuté d'un quart, entre mars 2008 et juin 2009. Il est remonté depuis mais reste tout de même inférieur de 5% à son point haut d’avant la crise.
Au même titre que les nations occidentales rattrapées par leur dette, la Chine est probablement à un tournant. Sa position concurrentielle ne subit pas seulement les effets de la crise mais aussi une détérioration persistante des termes de l'échange.
Le prix auquel elle vend augmente peu dans l'absolu et baisse en regard de celui auquel elle achète. La valeur unitaire des exportations chinoises a ainsi chuté de 30% depuis dix ans relativement à celle des importations. Le made in China, de plus en plus sophistiqué, revient plus cher en intrants. Au stade final de la commercialisation, son prix est largement tenu par les multinationales étrangères. Pour gagner de l'argent, l'Empire du milieu entretient une armée de main-d'œuvre à faible coût et joue sur les quantités. Il importe toujours plus de produits de base, jusqu'à en faire s'affoler les cours. En dix ans, la facture énergétique et alimentaire réglée par la Chine au reste du monde a été multipliée par 15. Elle engendre un déficit annuel de 300milliards de dollars, l'un des plus élevés au monde en proportion du PIB.
La Chine arrive à un stade où accroître la diffusion planétaire de ses produits n'est plus aussi rentable, et certainement moins facile. Même si les échanges avec les pays du Sud et d'Asie s'intensifient, ses principaux débouchés restent dans l'Union européenne, où part un quart des exportations, et aux Etats-Unis, où part un autre quart. Or plus personne ne s'attend vraiment à voir la dépense s'envoler dans ces zones. La crise a prouvé aux Américains que les limites de la consommation à crédit n'étaient pas extensibles. L'Etat fédéral assure le relais mais emprunte à cette fin 3 milliards et demi de dollars par jour. La tempérance budgétaire viendra tôt où tard. Elle a déjà commencé en Europe.
Le principal relais de croissance de la Chine est en Chine. Son milliard trois cents millions d'habitants ne consomment que 35% des richesses qu'ils produisent, une part faible et qui n'a cessé de régresser depuis quinze ans. Les autorités de Pékin disent vouloir inverser la tendance, ce qui implique de ne plus seulement enrichir la Chine mais les Chinois eux-mêmes. Dans les années à venir, la prolongation du miracle passera par la redistribution de ses fruits.