Pourquoi la Suède n’a pas connu une récession plus marquée que le Royaume-Uni

par Nathalie Dezeure, économiste chez Natixis

La Suède et le Royaume-Uni ont été fortement affectés par la crise qui a nécessité une intervention massive de l’Etat pour sauver le système bancaire et qui s’est traduite par une dépréciation significative de leurs devises.

Dans un contexte d’effondrement du commerce mondial, la Suède, petite économie ouverte largement industrialisée, aurait dû connaître en 2009 une récession nettement plus marquée que le Royaume-Uni, où le poids de l’industrie manufacturière dans le PIB est plus faible et où la demande intérieure représente près de 104% du PIB (contre 92% en Suède). Or les résultats ont révélé une baisse du PIB de 4,7% en Suède et de 5% au Royaume-Uni. 

Si Royaume-Uni paye le prix de ses déséquilibres – finances publiques très dégradées, déficit courant structurel – la Suède a pu soutenir sa demande intérieure (stabilisateurs automatiques, stimulus fiscal) sans hypothéquer la soutenabilité des finances publiques et tout en restant indépendante des financements extérieurs.

Des économies fortement touchées par la crise

1/ Une profonde récession

La crise a provoqué une récession profonde au Royaume-Uni et en Suède avec un recul du PIB de respectivement 5% et 4,7% en 2009. La trajectoire du PIB de ces deux pays est parallèle et comparable à celle de la zone euro.

2/ Une intervention massive de l’Etat

La crise a également nécessité une intervention massive de l’Etat afin de soutenir le secteur financier, en raison du poids de celui-ci dans la valeur ajoutée (VA) et de l’importance des engagements des banques.

  •  la part des services d’intermédiation financière est nettement plus importante au Royaume-Uni, où elle représente environ 9% du total de la VA et plus de 35% de la VA des services financiers et des services aux entreprises, contre respectivement 4,5% et 20% pour la Suède.
  • les engagements des banques sont très élevés (entre 450% et 500% du PIB) et comparables dans les deux pays.
  • Autre point commun, environ 30% des engagements des banques britanniques et suédoises sont des engagements externes. Néanmoins la structure de ces engagements suggère une plus grande exposition des banques britanniques. Si les banques suédoises sont exposées aux Etats baltes, la plus grande partie de leurs engagements externes concerne les économies européennes « solides » (Allemagne, Danemark, Finlande Norvège). A l’inverse, les engagements externes du Royaume-Uni sont concentrés dans des économies où les risques sont importants (Etats-Unis, Irlande,..).

Les plans de soutien au secteur bancaire mis en place représentent plus de 37% du PIB au Royaume-Uni et environ 22% en Suède1 (y compris les engagements aux titres de garanties).

3/ une dépréciation significative des devises

Enfin, la livre et la couronne suédoise se sont sensiblement affaiblies entre 2007 et 2009, avec une baisse de respectivement 22,6% et 10,6% du taux de change effectif TCE (sur la base de données en moyenne annuelle).

Mais des économies différenciées par les marchés

Pourtant comme le montre l’évolution du change depuis mi-2009, le TCE de la couronne suédoise s’est engagé sur une tendance haussière alors que la livre, après une courte période de hausse, est retombée pour se stabiliser à un niveau qui reste encore 20% en dessous de celui observé fin 2007.

Ces évolutions traduisent d’une part, le changement de statut de la livre2 et d’autre part le caractère cyclique de la couronne suédoise. Mais elles sont également le reflet des déséquilibres plus ou moins marqués de ces deux économies.

Cette différenciation se retrouve également dans la trajectoire des taux souverains et des CDS. Alors que le spread de taux 10 ans Suède / Allemagne reste faible, le spread 10 ans Royaume-Uni / Allemagne s’est sensiblement écarté depuis l’été 2009.

De même, les CDS souverains (5 et 10 ans) sont nettement plus élevés pour le Royaume-Uni que pour la Suède.

Comment expliquer cette différence de perception ?

Cette différenciation se justifie essentiellement par l’ampleur des déséquilibres de l’économie britannique alors qu’ils sont nettement plus limités en Suède.

1/ le besoin de financement externe

En particulier, l’écart entre les CDS suédois et britanniques se justifie par l’existence d’un déficit courant au Royaume-Uni. En effet, la corrélation des CDS souverains 5 ans avec le déficit courant est toujours vérifiée; le déficit courant traduisant la dépendance d’une économie au reste du monde pour financer sa croissance3.

Au Royaume-Uni, la balance commerciale est structurellement négative ce qui se traduit par un solde courant négatif, symptomatique du déficit d’épargne.

2/ les finances publiques

La crise, le plan de soutien des banques et le stimulus fiscal ont provoqué une dégradation des finances publiques. Elle est toutefois restée modérée en Suède alors qu’elle est particulièrement marquée au Royaume-Uni.

Le déficit s’est creusé pour atteindre des niveaux record au Royaume-Uni (-12,6% en 2009) et la dette a augmenté de 55,5% (année fiscale) à plus de 70% en 2009.

En Suède, malgré un stimulus fiscal nettement plus important qu’au Royaume-Uni le déficit a atteint 2,2% en 2009 et la dette publique a progressé de moins de 5 points de PIB pour se maintenir à un niveau relativement faible (42,8%) comparé au Royaume-Uni mais également aux autres pays européens (moyenne zone Euro 2009 environ 80% du PIB).

La Suède disposait en effet de marges de manœuvre plus élevées qu’au Royaume-Uni qui lui ont permis, outre le jeu des stabilisateurs automatiques, d’injecter un stimulus fiscal important en 2009.

Par ailleurs, les perspectives d’évolution des finances publiques sont nettement plus favorables en Suède. Le taux de prélèvement obligatoire y est sensiblement plus élevé (47,1% du PIB) qu’au Royaume-Uni (35,7%) et mieux réparti.

Ainsi, en Suède, le solde structurel primaire, positif depuis le milieu des années 90, devrait le rester dans les années à venir. Au Royaume-Uni, la hausse des prélèvements sociaux à partir de l’exercice fiscale 2011-2012 permettra au solde structurel primaire de redevenir positif en 2012 (selon les projections officielles).

Quant à la dette publique, elle ne devrait augmenter que faiblement en Suède, alors que la hausse sera encore très marquée au Royaume-Uni.

3/ la structure productive

On a vu le poids de la finance et des services aux entreprises dans les deux pays et l’importance des services d’intermédiation financière au Royaume-Uni. Une différence remarquable entre ces deux pays tient au poids du secteur manufacturier et à son évolution au cours des dernières années. Alors que la désindustrialisation s’est accélérée au Royaume-Uni depuis 1995, le poids de l’industrie manufacturière passant de près de 21% de la VA en 1995 à moins de 12% en 2009, en Suède la part du secteur manufacturier a au contraire augmenté (de 16% à plus de 21% en 2008), la baisse de 2009 s’expliquant par des éléments conjoncturels (chute du commerce mondial).

4/ l’évolution et la structure de la demande

En 2009, la baisse du PIB au Royaume-Uni s’explique uniquement par les composantes internes de la demande avec une contribution de l’ordre de -4,1 points de PIB pour la demande intérieure hors stocks, de -1,3 point de PIB pour les stocks alors que la demande extérieure (les exportations nettes) a eu une contribution positive de 0,7 point à la croissance. En Suède, ces contributions sont de respectivement -2,7 points de PIB, -1,4 point et -0,6 point.

– Le commerce extérieur

Ces résultats, conformes à la théorie, montrent que la Suède, petite économie ouverte, a été fortement affectée par la chute du commerce mondial. Pour autant, ils ne signifient pas que le commerce extérieur a été plus favorable au Royaume-Uni qu’en Suède. La contribution positive des exportations nettes au Royaume-Uni s’explique non pas par une surperformance des exportations mais par une forte baisse des importations (-12,1% vs -10,1%), alors que ces dernières sont structurellement plus élevées que les exportations (taux de couverture des importations par les exportations de 91,3%). En d’autres termes, la contribution positive du commerce extérieur ne constitue pas un relais de croissance mais une manifestation de la forte chute de la demande intérieure.

En Suède, la contribution négative des exportations nettes reflète plus la chute des exportations (-12,6%) que la baisse des importations (-13,8%) en raison d’un taux de couverture de plus de 120%.

Ainsi, la contribution positive des exportations nettes observée au Royaume-Uni en 2009 constitue un accident de parcours alors que la part des exportations nettes dans le PIB est négative et que leur contribution depuis 1995 a été en moyenne de -0,2 point de PIB contre +0,6 point en Suède.

Ces résultats s’expliquent par le poids de la demande externe rapporté au PIB qui est structurellement positif en Suède et négatif au Royaume-Uni et par un taux d’ouverture – (Exportations + importations) /2*PIB – nettement plus élevé en Suède. 

– La demande interne

La chute de la demande intérieure hors stocks a été moins marquée en Suède qu’au Royaume-Uni (-3,1% /-4% en 2009) en raison de la résistance de la consommation (-0,7% / -3,1%).

En considérant les principales variables décrivant le marché du travail, la situation apparaît légèrement plus dégradée en Suède qu’au Royaume-Uni :

  • le taux de chômage a augmenté de 2,1 points en 2009 à 8,3% ; la hausse a été similaire au Royaume-Uni (+2 points à 7,6%).
  • la chute de l’emploi semble avoir été plus marquée en Suède (-2,3% vs – 1,7%).

L’avantage suédois se trouve du côté des revenus, avec une progression, certes limitée, des ressources totales, alors qu’elles ont fortement baissé au Royaume- Uni.

Cette évolution s’explique notamment par l’évolution des prestations sociales (stabilisateurs automatiques) alors que les revenus salariaux ont connu une trajectoire identique.

Conclusion

En Suède et au Royaume-Uni la crise a eu des conséquences similaires (crise bancaire nécessitant une intervention massive de l’Etat). Dans un contexte de chute du commerce mondial, certaines caractéristiques structurelles – surpondération de la demande intérieure dans le PIB, et désindustrialisation au Royaume-Uni, taux d’ouverture très élevé et part relativement importante de l’industrie manufacturière en Suède – laissaient envisager une plus grande résistance de l’économie britannique. Les résultats ont au contraire révélé une récession légèrement moins marquée en Suède qui s’explique par …l’évolution de la demande intérieure.

En l’absence de déséquilibre majeur (balance courante excédentaire, déficit budgétaire limité), la Suède a pu soutenir sa demande intérieure (stabilisateurs automatiques, stimulus fiscal) sans hypothéquer la soutenabilité des finances publiques ce qui a permis de limiter la chute du PIB.

NOTES

  1. Flash 2009, n° 404
  2. Note Mensuelle Royaume-Uni, 2009- N° 9 Natixis Mensuel Change 2009- N° 9
  3. Flash 2010, n° 80

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